4.1 : Liens

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Trois jours supplémentaires s'étaient écoulés lorsque Clara parvint à une minuscule aire de repos. Le soleil venait de se lever. Un voile blanc et dense lui permettait tout juste de distinguer la petite route caillouteuse par où le bus s'était engagé. À côté d'elle, un simple poteau aux couleurs de la compagnie de transports indiquait l'arrêt. Quatre silhouettes adolescentes se précipitèrent en riant à l'intérieur, sans remarquer sa présence. Les portes se refermèrent et le bus se remit en mouvement.

Elle tourna sur elle-même. Le brouillard étouffait déjà la lueur rougeoyante de ses phares arrière. Il ne passerait plus ici avant la soirée ; il était trop tard pour faire demi-tour.

J'ai voulu me perdre, je crois que j'ai réussi.

Un vieux banc couvert de mousse, perdu au milieu d'un petit espace d'herbe trop haute, complétait le décor. La forte odeur d'humus mêlée aux notes plus boisées des conifères annonçaient la proximité de la forêt. D'ailleurs, les premiers arbres apparaissaient en lisière, derrière le fossé où s'écoulaient les eaux de pluie des derniers jours. Au-delà, à l'exception du village où elle se rendait, ne l'attendait qu'une faune et une flore sauvages.

Elle en avait entendu parler la veille. Les mains serrées autour d'une tasse de chocolat chaud, elle avait trouvé refuge dans le café d'une petite ville voisine pour échapper à une averse d'une rare violence. Ses oreilles avaient alors surpris la discussion de deux hommes âgés sur la disparition d'un homme de la région. Puis en réponse, l'un d'eux avait évoqué la légende du Montagnard. Quand elle avait creusé la question, on lui avait dressé le portrait d'un croque-mitaine local, misanthrope et dangereux, qui descendait par cycles dans la vallée pour y récupérer des corps et voler leur jeunesse.

Bien sûr, aucun des deux hommes ne croyait vraiment à cette légende. Ils ne l'avaient évoquée que pour qualifier l'auteur de cette mystérieuse série noire, mais notèrent l'intérêt de Clara pour le personnage. L'un deux lui avait alors déclaré :

« Si jamais tu viens à le rencontrer, reste humble, car le sorcier jette les pires sorts aux prétentieux ! »

Les deux hommes avaient ponctué cette tirade de grands éclats de rire et lui avaient indiqué comment se rendre à un petit village de montagne, que la légende désignait comme son repaire.

Et de nouveaux ennuis.

La sensation, confuse, ressemblait à celle que la brume laissait sur sa peau, à cette sensation d'humidité poisseuse sans mouiller réellement. Au cœur de cette zone, la magie, une magie, était à l'œuvre.

Alors qu'elle arpentait la pelouse trop haute et détrempée, Clara songeait que cette légende n'était peut-être pas inventée de toute pièce. Depuis sa discussion avec les deux hommes, elle ne pouvait s'empêcher de faire le lien avec le sorcier aperçu dans son rêve. La grotte dans laquelle il se terrait alors creusait-elle ses galeries sous ce massif ? Une chose était sûre : l'air charriait des effluves de magie. On l'avait utilisée peu de temps auparavant. En réponse, tant l'Ange que ses pouvoirs de Trabajadora avaient accru leur vigilance. Même si elle ne paraissait pas en danger immédiat, cette activité l'intriguait.

Encore le hasard...

Au-dessus de sa tête, l'épais brouillard dérobait le sommet à son regard. Au milieu du froufrou des feuilles et du clapotis de l'eau, Clara trouva une petite route. À peine plus large qu'une voiture, elle montait en pente raide et amorçait un premier virage en épingle que devait maudire toute personne amenée à l'emprunter. Les traces de pneus boueuses témoignaient d'une activité humaine récente. Sur sa droite, un panneau réfléchissant au pied dévoré par le lierre indiquait « TARAPÈS » en lettres capitales, à une distance de sept kilomètres.

L'Héritage (L'Hybride, Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant