3.4 : Destin

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La journée passa très vite. Elle assista au ballet des pêcheurs qui s'installaient, patientaient, remontaient un poisson puis quittaient leur place, parfois remplacés par un autre homme. Ceux-là n'éveillaient pas son empathie, concentrés sur leur ligne ou pris au piège de leurs propres pensées. Au contraire, leurs cœurs paisibles lui procuraient un véritable bien-être.

Le vent soufflait doucement et l'eau clapotait ; l'environnement se voulait propice aux réflexions. Elle se contenta donc de laisser son esprit vagabonder, filer comme un cours d'eau dans l'espoir que, peut-être, elle pêcherait à son tour la solution à ses problèmes.

En fin d'après-midi, c'est la pluie qui la sortit de sa torpeur. Le soleil, soudain voilé par d'épais nuages gris, avait battu en retraite sans qu'elle le remarquât. L'averse, puissante, tomba sur la région sans prévenir. En moins d'une minute, Clara était trempée. Comme les pêcheurs, surpris par ce brusque changement de météo, elle courut en quête d'un endroit où s'abriter. Un abri-bûches vide, à l'orée du bois, lui offrit le salut qu'elle espérait. Très vite, un pêcheur ayant eu la même idée la rejoignit en pestant.

— Quel temps !

Elle frissonna et le dévisagea. Sa voix ne lui était pas inconnue. Ses épaules se contractèrent.

— Il n'était pas question de pluie aujourd'hui... sinon j'aurais pris mon équipement.

Il souffla de mécontentement, ôta sa casquette et la secoua. Aux courts cheveux marron et à son profil si caractéristique, elle n'eut plus aucun doute : Marc l'accompagnait dans sa mésaventure.

Vais-je tomber sur lui chaque fois que je me trouve surprise par une averse ?

Il se retourna vers elle, plissa les yeux puis se figea lorsqu'il la reconnut.

— C'est une blague, murmura-t-il.

— Pas que je sache.

— Que fais-tu ici ?

— Je te retourne la question, rétorqua-t-elle aussitôt.

Elle n'avait aucun compte à lui rendre et lui rendit son regard inquisiteur. Devant son air revêche, il se rembrunit et passa une main sur sa tête pour rabattre ses cheveux mouillés. Sa casquette dégouttait.

S'il y avait un homme qu'elle ne s'attendait pas à trouver dans un tel endroit, c'était bien lui. Surtout dans cet accoutrement ! Toujours tiré à quatre épingles, elle ne se l'était jamais imaginé comme... le commun des mortels. Pourtant, face à elle se tenait un homme à l'allure ordinaire. Sa barbe naissante et ses vêtements confortables, à mille lieues de ses habituels costumes, n'offraient pas le moindre indice de son statut social.

Alors qu'elle découvrait un Marc plus humain, moins inaccessible, Clara se rappela qu'ils se connaissaient peu. Elle ignorait tout de lui et n'avait jamais suspecté qu'il aimait la pêche. À dire vrai, elle ne s'était jamais posé la question de ses passe-temps.

— Je vais finir par croire que tu me suis, ironisa-t-il, volontairement piquant.

Son humour incisif ne contribua en rien à réchauffer l'atmosphère. Quand bien même elle avait aidé dans sa relaxe, Clara restait celle qui l'avait conduit en prison. Beaucoup d'amertume émanait encore de lui.

« S'il te plaît. Ferme-moi à l'empathie pour le moment.

— Je la bloque déjà...

— Alors fais plus.

— Ça te sera préjudiciable...

— Je t'en supplie. »

Comme un robinet dont on coupe l'eau, Clara sentit ces émotions étrangères se réduire à un mince filet, jusqu'à totalement disparaître. Malgré la désagréable sensation d'être soudain privée d'un sens, elle soupira de soulagement. Face à cet homme qui la mettait dans tous ses états, elle préférait garder la tête froide. Elle ne se sentait pas en mesure de gérer ses propres sentiments et les siens tout à la fois. Le « non ! » tonitruant qui les avait séparés quelques mois plus tôt venait bien de quelque part ; la mise en garde avait été d'une telle violence qu'elle ne pouvait l'ignorer. Combien de fois encore le trouverait-elle sur son chemin ? Que devait-elle comprendre par ce prétendu hasard ?

L'Héritage (L'Hybride, Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant