L'Héritage (L'Hybride, Livre 3)

16.1 : Trabajadores

L'odeur confinée de la salle rappelait à Éric son bref passage en tant qu'employé. Il n'était pas du genre à jouer les piliers de bar, mais il aimait l'atmosphère du P'tit Clarme. Quand bien même sa propre sœur l'avait sorti de l'ambiance surannée qui le caractérisait, il avait su conserver une ambiance familiale et sans chichis.

Les anciens ne venaient plus, ou seulement les jours les plus creux. De nouveaux habitués avaient, eux, pris certaines habitudes et il reconnaissait de plus en plus de visages ; signe de leur fréquentation régulière. Toutefois, cela se voyait davantage les week-ends et jours fériés. Par ce temps humide et froid, un jeudi soir, Éric ne s'attendait pas à trouver foule. Et de fait, il n'aperçut que deux des trois ivrognes habituels, attablés non loin du bar et en grande discussion sur l'avenir du monde – ou de leurs verres vides. Le dernier cas recelait toutefois moins de mystère.

Assis seul au comptoir, il sirotait sa bière habituelle. Après une journée épuisante au bureau, il avait espéré rentrer chez lui pour se reposer... mais Clara en avait décidé autrement. En son absence elle avait choisi de laisser le bar entre ses mains et celles de Nicolas. Selon elle, quelques jours suffiraient à son entreprise. Laquelle ? Il n'en savait fichtre rien et commençait à s'agacer de ce comportement. Certes, il ne pouvait pas lui reprocher de ne pas l'avoir prévenu, cette fois... mais il aurait aimé s'assurer qu'elle ne risquait rien. Clara avait tendance à attirer les ennuis et il aurait préféré être là pour la soutenir, à défaut de mieux.

Quant à Nicolas, le pauvre garçon n'y connaissait pas grand-chose et ne lui serait pas d'une grande aide, hormis pour mettre les perturbateurs dehors. Cela dit, le nouvel acolyte de Boris semblait à même d'assumer le poste.

— Fais pas cette tête, dit Gilles.

Appuyé de l'autre côté du comptoir, il regardait Éric en souriant. Dire qu'il avait lui-même travaillé de ce côté quelques mois plus tôt...

Il n'y a pas photo, il s'en sort mieux que moi.

— Elle m'agace, répondit-il.

— Clara a besoin de régler ses affaires seules. Sans pouvoirs, ajouta-t-il sur le ton de la confidence, on ne servirait que de cibles faciles. Ça ne l'aiderait pas, on l'encombrerait.

Éric grogna et termina son verre.

— ... Je sais. Mais ça m'agace quand même. Tu sais ce qu'elle est partie faire ?

— Pas vraiment. Mais je sais que ni toi ni moi n'aurions pu l'accompagner. On l'aide à notre manière, en restant bien sages au bar.

Il parcourut la salle du regard. Deux autres clients avaient osé s'aventurer à l'intérieur. À presque vingt heures, ils avaient terminé leur consommation et ne tarderaient plus à partir. Le changement de style du bar et, surtout, les concerts des Guns avaient renouvelé une partie de la clientèle et relancé sa réputation. Si les Clarmais avaient renoué avec le P'tit Clarme, ces derniers temps, peu montraient le bout de leur nez. Des incidents nocturnes avaient frappé pas mal de gens dans le quartier et accusaient une hausse spectaculaire. Outre les blessés, on comptait quelques morts. La police enquêtait mais aucune information ne filtrait. D'ailleurs, Éric devinait que les deux hommes étaient des membres des forces de l'ordre venus enquêter sur les causes de cette insécurité grandissante, dont le foyer semblait provenir du quartier de l'usine. Sans doute avaient-ils cherché à trouver un des hommes qu'ils pistaient au bar et fait chou blanc.

Il pesta entre ses dents. Ces faits divers, qu'il ne couvrait que rarement pour les besoins du journal, l'intriguaient. Il se rappela alors ce que Gilles lui avait dit la semaine passée, tandis qu'il recherchait sa sœur.

— Gilles ?

— Hum ?

— Tu m'as dit que les accidents qui se produisent dans le coin sont dus à de la magie ?