1.6 : Fuite

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Une silhouette noire naquit de l'ombre des murs de pierre. Les blocs, plus hauts qu'un homme, s'empilaient les uns aux autres jusqu'à une hauteur vertigineuse. Il n'en avait jamais vu le plafond, perdu dans les ténèbres. Comme à chacune de ses visites, il se demandait quand et comment cet immense château avait été construit ; pour qui. Par ses impressionnantes dimensions, on l'aurait cru destiné à abriter des géants. Toutefois, jamais il n'en avait croisé dans ses murs.

Celui qu'il était venu trouver s'était arrêté. Bien sûr, il avait senti sa présence bien avant de l'apercevoir. D'une chiquenaude, l'autre releva le bord de son chapeau et observa le visiteur impromptu. Ses amples vêtements noirs ne dévoilaient que son menton et ses doigts fins. À ses yeux, c'était déjà trop. Leur peau fine et parcheminée laissait transparaître veines et vaisseaux. Une hideuse apparence à laquelle il commençait à peine à s'habituer.

— Que fais-tu ici ? demanda-t-il.

— Ne joue pas les innocents, répondit la voix grinçante du sorcier sous sa capuche. Tu le sais aussi bien que moi.

Il marqua un temps d'arrêt, puis reprit :

— Les disciples d'Igor se rassemblent. Cela pourrait bien marcher, cette fois.

L'homme au chapeau le considéra un instant et se rappela le gâchis de son existence. Belga avait possédé un talent prometteur, mais il avait été brisé par une malédiction ancienne et incurable... Toute son énergie était consacré à la combattre. Il en avait perdu son envergure. Et l'odeur nauséabonde qui se dégageait de son corps pourrissant prouvait que sa magie ne suffisait pas.

Chaque fois qu'il le voyait, il se demandait comment son corps pouvait encore tenir en un seul morceau. Ce simple fait l'indisposait et l'intriguait : même dans cet état, il persistait à résister. Son savoir et son pouvoir faisaient partie des plus grands ayant jamais existé. Après tant d'années, parviendrait-il à trouver la solution avant de tomber en lambeaux ?

— Et ? dit-il.

— Il faut intervenir.

— Si je ne l'ai pas fait plus tôt, c'est pour une bonne raison.

— Je comprends, insista le simulacre d'homme, mais cette fois, ils ont trouvé un or... En plus des argents et des cuivrés... la donne pourrait changer.

Agacé de dépenser son temps pour des priorités qui ne le concernaient pas, il sonda les potentialités à venir. Les images, les sons, les couleurs, les impressions affluèrent dans son esprit en un si court laps de temps que le sorcier ne le remarqua sans doute pas.

À contrecœur, il reconnut que son interlocuteur marquait un point. Tous les avenirs possibles convergeaient vers une route qu'il ne devait pas emprunter.

— Beaucoup d'anciennes menaces refont surface, ces derniers temps...

— Clarme s'agite.

— C'est normal, elle s'est éveillée.

Belga marqua un temps d'arrêt, puis porta un doigt rachitique à ses lèvres craquelées.

Elle aussi ?

Il lâcha un soupir et secoua la tête.

— Que comptes-tu faire pour Igor ?

D'un mouvement fluide de la main, l'homme au chapeau ouvrit un petit vortex d'à peine quarante centimètres de large. Le sorcier lorgna avec avidité sur l'autre côté, où une planche supportait de nombreux fils d'une extrême finesse, tous superposés, emmêlés, côte à côte. Un lieu, un objet dont il avait soupçonné l'existence sans jamais pouvoir en attester. Un instant, il songea que son interlocuteur se relâchait avec le temps ou commençait à le considérer comme un allié. Une ouverture dont il ne manquerait pas de profiter à l'occasion.

Mais il n'en était rien. L'homme au chapeau ne craignait pas ce sorcier. Quand bien même il avait cumulé au fil de ses nombreuses années de vie un pouvoir impressionnant pour un homme, il n'était rien face à lui. Sans peine, il saurait maîtriser ses écarts. Au contraire, il espérait tester sa très relative confiance.

De ses doigts agiles, il pinça une corde un plus épaisse que les autres et la tira du lot, puis l'imprégna d'un sort subtil dont le visiteur cagoulé ignorait la nature. Mais s'il ne saisissait pas les détails, il en voyait bien assez pour comprendre ce qui se passait. Il protesta :

— Il ne voudra pas...

— T'ai-je demandé ton avis ?

Un œil gris clair sortit de l'obscurité de son stetson et le dévisagea à lui en donner la chair de poule. Bien que vexé, Belga n'ajouta rien et adopta une posture soumise. L'homme sourit, satisfait.

— J'ai besoin d'un élément imprévisible, expliqua-t-il.

Il s'absorba ensuite dans la contemplation de la planche. Là où son interlocuteur ne distinguait rien, lui voyait parfaitement les fils se réarranger.

— Elle est la candidate idéale.

— Permets-moi d'en douter.

Sourcil froncé, il dissipa le vortex et se tourna à nouveau vers son visiteur.

— Alors, je te laisse le soin de lui porter assistance, Belga.

Après une seconde de stupeur, le sorcier ricana.

— Tu joues avec le feu, et tu me places en première ligne.

Après un bref silence, son interlocuteur déclara :

— Espérais-tu que je règle le problème d'un claquement de doigts ? Impudent.

Belga baissa la tête dans l'ombre de sa capuche.

— Tu m'estimes donc plus efficace que toi ? grinça-t-il.

L'autre sourit, amusé par la répartie du sorcier autant que par l'inquiétude qu'il sentait poindre sous la tunique noire.

— J'aifait plus que ma part. À toi de faire la tienne.

L'Héritage (L'Hybride, Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant