6.1 : Discussions

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Le séjour s'ouvrait sur une cuisine, dont seul un muret à mi-hauteur servait de séparation. Quand Clara passa la porte, la grande pièce était à demi éclairée par le plafonnier de la cuisine. Elle fut accueillie par l'odeur du détergent, le tic-tac de l'horloge et le fredonnement de Marie qui essuyait la vaisselle fraîchement lavée. Celle-ci releva les yeux et abandonna son verre sur le plan de travail pour se précipiter vers Clara.

— Te voilà rentrée ! Je m'inquiétais. Tu as vraiment trouvé leur trace ?

— Juste l'endroit où ils se cachent...

Marie actionna l'interrupteur et, dans la pleine lumière, poussa un petit cri.

— Tu es pleine de terre !

Clara réalisa qu'elle était en effet couverte de boue jusqu'aux genoux, et probablement d'autres fluides...

Elle frissonna.

Par respect pour son hôtesse, elle ôta ses chaussures et voulut aller se changer immédiatement, mais sa nouvelle amie l'arrêta d'une main.

— Ça ne va pas ? Tu es bien pâle.

— Je suis juste un peu fatiguée...

Marie tordit sa bouche, dubitative.

— Viens t'asseoir deux minutes. Tu veux manger un morceau ?

Clara se laissa guider jusqu'à un tabouret de la cuisine et sourit malgré elle, l'estomac encore en vrac.

— Je te remercie... non.

Sous son regard suspicieux, Clara s'efforça de paraître plus convaincante.

— C'était beaucoup pour moi, aujourd'hui...

Cette réponse, qui avait le mérite d'être au moins partiellement vraie, sembla la satisfaire.

— Tu n'aurais pas dû y aller, encore moins seule. J'aurais dû appeler la police. C'est grave, quand même !

— Tu m'as dit toi-même qu'ils ne faisaient rien...

— Mais là, quelqu'un s'est fait agresser ! Comment j'ai pu te laisser partir ?

— Ne t'en fais pas pour ça, dit Clara en effaçant toutes ses objections.

Elle eut aussitôt le sentiment qu'une chape de plomb s'abattait sur ses épaules. Sa tête bascula en avant sous le poids de la fatigue.

« Tu en as trop fait, murmura l'Ange. Reste calme un moment. »

— Chloé ?

Dans un effort qui lui parut surhumain, elle releva le menton.

— Je suis juste fatiguée... dis-moi plutôt : où en sont Éric et Nicolas ? Il a mangé ?

— Pas grand-chose.

Marie posa son torchon et plutôt que de se remettre au travail, prépara du café. Le contrecoup passé, Clara choisit de reprendre sa tâche, quand bien même elle aurait préféré s'endormir sur place. Bouger l'aiderait à rester éveillée.

— Il a grignoté, précisa-t-elle en versant deux cuillères de café dans le filtre. Ton frère m'a aidée à le forcer un peu, mais...

Après un moment de silence, elle ajouta :

— Tu sais, tout à l'heure je me demandais comment tu avais pu faire fuir vos agresseurs alors que ce grand gaillard n'y était pas parvenu... mais je comprends, maintenant.

Elle jeta un regard en direction des escaliers.

— Il est mal en point.

Aussi inquiète qu'en colère, Clara serra les poings. Depuis quand Nicolas se laissait-il aller ainsi ? Pourquoi ne se battait-il pas davantage ? Le savoir en vie, vraiment en vie, la rassurait, même si à ce rythme, il ne le resterait plus longtemps. Pour apaiser leurs tensions, ils avaient besoin d'une vraie discussion, mais son comportement le fragilisait et mettait à mal cette perspective. Le moment n'était peut-être pas bienvenu pour leur permettre de se retrouver. L'affronter dans ces circonstances risquait d'accentuer le mal plutôt que le résoudre.

L'Héritage (L'Hybride, Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant