L'Héritage (L'Hybride, Livre 3)

3.2 : Destin

Le train s'arrêta moins d'une minute plus tard à un quai quasi-désert. Des parents accueillirent leur fils, un homme embrassa chaleureusement la femme qui venait de descendre du wagon. Clara s'éloigna sans un regard en arrière, loin des gens. Sur sa demande expresse, l'Ange avait mis son empathie en sourdine sitôt qu'elle avait trouvé Anya et Ben, mais force était de constater que l'effet s'estompait. La capacité de Clara à manier ses pouvoirs s'améliorait et compliquait le blocage. Malgré elle, des bribes de sentiments lui parvenaient et la proximité physique les accentuait. Son seul moyen d'y mettre un terme rapidement était la distance.

La pluie avait cessé. Un soleil timide tentait de réchauffer l'atmosphère encore très humide ; il ne réussit qu'à faire luire la pellicule de pluie déposée plus tôt sur les toits. Nichée au creux d'un vallon, la ville étincelante plongerait bientôt dans l'obscurité, les reliefs qui l'entouraient occulteraient plus tôt que la normale les rayons du couchant. Clara ne devait donc pas tarder si elle souhaitait découvrir les environs.

Très vite, elle atteignit la bordure de la ville et repéra un chemin de randonnée. Sans réfléchir, elle s'y engagea. Une vaste plaine, encore humide, s'offrait à sa vue. Ses baskets s'embourbaient dans la terre meuble ; elle les troqua d'un claquement de doigts contre de solides chaussures de marche montantes et descendit la vallée jusqu'à un lac en contrebas. Les rayons du soleil reflétaient sur sa surface et lui offraient un spectacle idyllique. Pourtant, elle restait bloquée sur le même cycle sans fin de pensées.

Devait-elle revenir vers Nicolas ? Si oui, une discussion houleuse se profilait. Comment y réagirait-il ? Mais avant tout : pouvait-elle lui pardonner ?

Elle passa une main devant ses yeux. Le lac l'éblouissait.

Pardonner serait difficile. Il lui faudrait trouver la meilleure raison du monde et assurer à Clara qu'il ne recommencerait jamais. En portant la main sur elle, le lien de confiance s'était rompu. Et avant de retrouver cette confiance, ils devraient avant tout renouer des rapports sains.

Lorsqu'elle combinait tous les éléments, cette perspective lui semblait impossible. Et une nouvelle fois, Clara se perdit dans le cercle sans fin de ses réflexions. Son corps et son esprit s'en trouvaient ralentis, accaparés par ces réflexions stériles qui l'amenaient chaque fois à la même conclusion.

Je ne sais pas quoi faire...

La semaine passée, le choc l'avait conduite à penser que tout était terminé. Mais pouvaient-ils faire ainsi table rase de leur histoire sans même chercher à discuter ? Devait-elle se plier à son injonction de ne plus jamais revenir ? Pour le bien de Nicolas, ou pour le sien ?

Seule au milieu de la prairie, Clara s'était arrêtée, de nouveau paralysée par son incapacité d'agir de manière satisfaisante. Avec une progression cependant : elle éprouvait pour la première fois le besoin de lui parler. De comprendre. Et ce, même si l'idée d'échanger sur cet évènement, en plus de gripper les rouages de son cerveau et de rendre ses mots maladroits, l'angoissait. Elle voulait le voir, lui expliquer son attitude, écouter ce qu'il avait à dire pour justifier la sienne. Dans ses rêves, tout se terminait bien mais pourtant, la boule au creux de son estomac le lui rappelait : rien ne le lui certifiait. Nicolas était devenu... un étranger. Il était l'inconnue de l'équation, de lui dépendait le résultat final. Pouvait-elle laisser planer le doute ou devait-elle agir, au risque de précipiter leur rupture ?

Des deux maux, lequel était le moindre ? À quoi conduirait un nouvel affrontement ? Accepterait-il de la revoir sans se montrer violent ?

Je ne sais pas !

Son estomac se contractait à chaque nouvelle interrogation. Quand chaque mot, chaque vision, chaque odeur, chaque pensée bouclait sur Nicolas, l'altercation, l'horizon bouché, comment se détendre ? Le magnifique paysage qui s'étalait sous ses yeux ne réussissait même plus à faire illusion.