1.5 : Fuite

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Nicolas reprit conscience dans le couloir du premier étage, désemparé d'avoir encore perdu le fil de sa conscience. Une angoisse sourde le dévora. Qu'avait-il fait ? Combien de temps s'était écoulé ? Prêt à rebrancher le vieux téléviseur de sa mère pour s'assurer de la date, il renonça. Peut-être valait-il mieux ne rien savoir... Toutefois, si cet état perdurait ou s'aggravait – ce qu'il craignait – il devrait sérieusement songer à quitter Clarme pour limiter les dégâts.

Ça ne servira à rien, comprit-il aussitôt.

Rien ne pourrait le retenir d'aller jusqu'au bout de ses pulsions. Il était un Fossoyeur. Peu de personnes avaient la capacité de le contenir. Il ne disposait d'aucune alternative sûre...

Assis contre un mur à l'étage, il jeta un regard terne à la fenêtre. Le ciel couvert de nuages gris annonçait la pluie.

C'est lors de ces moments de conscience, de plus en plus rares, qu'il réalisait à quel point Clara lui manquait. Quand il songeait à ce qu'il avait failli faire, il comprenait qu'elle l'eût écouté. Ne plus revenir... sortir de sa vie. Dans ces circonstances, c'était un mal pour un bien. Sa transformation l'avait profondément changé et au moins, cette mésaventure avait donné une bonne raison à Clara de le fuir.

Son absence lui faisait mal, pourtant.

Mais que deviendrait-il si, en plus de son frère, il la tuait ? Une vague de panique s'empara de lui à cette éventualité. S'il lui ôtait la vie lors d'un de ses accès de démence et revenait ensuite à lui sans même s'en rappeler...

Pris d'une sueur froide, il ne réfléchit pas et élança son don à la recherche de Clara pour s'assurer de n'avoir pas déjà commis l'irréparable. La tension dans ses épaules s'amenuisa lorsqu'il trouva sa destinataire ; toutefois elle lui ferma résolument l'accès à sa conscience sans discuter. La douleur le disputait au soulagement.

Nicolas...

Une voix féminine. Séductrice. Enjôleuse. Inconnue.

Je deviens vraiment fou.

La voix le détourna de ses interrogations. Il se leva et se laissa guider vers le fond du couloir. Le vieux plancher grinçait sous ses pieds tandis qu'il approchait d'un placard mural.

Entre...

Il tira la porte et observa les étagères étroites en bois blanc, vidées de leur contenu et sur lesquelles une fine couche de poussière commençait à se déposer. Un infime courant d'air chatouilla son visage et éveilla sa curiosité. Une à une, il ôta les planches, les arracha au besoin, puis tendit la main pour déterminer l'origine du souffle frais.

Une fêlure sur le contour du placard en était responsable. De là, provenaient le petit filet de vent et la voix qui l'invitait, l'incitait à le rejoindre. Quant à son origine, il demeurait perplexe.

D'un geste brutal, il poussa le fond. Sa main passa au travers sans difficulté tant la paroi était fine, et lui révéla une pièce dérobée. Quelques coups supplémentaires plus tard, ce qui restait de la plaque de bois s'effondra, emportant avec elle quelques briques qui l'avaient consolidée et une partie de l'encadrement. Le claquement sur le vieux plancher résonna en écho dans la salle vide.

— Approche...

Il avait cru connaître cette maison par cœur. Il y avait grandi...

Je me suis encore trompé.

Il enjamba les vestiges du placard et s'engagea à l'intérieur. La pièce était presque vide. Une infime source de lumière s'agitait sur la paroi opposée, d'où provenait le courant d'air : une fenêtre brisée, dissimulée par le lierre qui recouvrait la façade nord. Il ôta les vestiges du carreau cassé et passa son bras à l'extérieur pour arracher les fins branchages emmêlés les uns aux autres. La lumière terne de cette matinée pluvieuse rendit de pâles couleurs au plancher et aux murs, autant qu'elle révéla les particules de poussière soulevées et les traces de ses semelles sur le sol.

L'Héritage (L'Hybride, Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant