2.1 : Aides

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Le souffle coupé, le corps tétanisé, Nicolas ne comprenait plus ce qui lui arrivait.

Son frère se tenait devant lui.

S'il s'agissait d'un nouveau tour de son esprit dévoré par la folie, il en trouvait l'ironie de mauvais goût. La situation lui paraissait réelle pourtant ; trop pour n'être qu'une hallucination. Après toutes ces années, avait-il enfin réussi... ?

La lueur blanchâtre émise par la plume lui dévoilait son visage, accentuait les traits que les années avaient brouillés : ses yeux si bleus, ses cheveux si clairs, sa peau si pâle... Tout y était : son petit nez en trompette, les quelques taches de rousseur qui apparaissaient tout autour, et cette bouille enfantine qui savait tant amadouer leur mère... Non, il n'avait pas changé, à l'exception peut-être du sourire désinvolte qui étirait ses lèvres. Il ne lui avait pas souvent vu cette expression.

Estomaqué, il se laissa tomber à genoux. Le revoir l'émerveillait et lui brisait le cœur tout à la fois. Submergé par ses émotions contradictoires, il ne savait plus comment agir et se contentait de l'observer, les bras ballants.

Leur différence physique avait toujours fait jaser autour d'eux. Souvent, on avait douté de leur lien fraternel. Pourtant, Nicolas en était sûr : Jonah était son petit frère, celui qui avait hérité de son père. Il se rappelait encore du ventre arrondi de sa mère, de cette trop brève période où ils avaient vécu heureux, tous les quatre.

Il tendit la main pour s'assurer qu'il ne rêvait pas puis arrêta son geste à mi-chemin : Jonah était mort, sa silhouette translucide en attestait. À travers et derrière lui, il apercevait les meubles surmontés de draps blancs, tels des fantômes d'antan venus assister à leurs retrouvailles. Ses doigts ne rencontreraient que le vide, à n'en pas douter. Il préférait ne pas en faire l'expérience.

Jonathan montra quelques signes d'impatience. Après un soupir, il se laissa tomber en tailleur face à son grand frère.

— Moi qui pensais que tu aurais plein de choses à me dire...

Sa voix.

Sa voix.

Elle résonnait dans sa tête plus qu'à ses oreilles, mais c'était bien la sienne. Agrémentée d'un écho caverneux, sans doute venu de l'au-delà, elle lui donnait des frissons autant qu'elle éveillait des souvenirs encore confus.

Je dois me ressaisir.

À côté d'eux, en lévitation, la plume émettait une lumière douce et chaleureuse. Son rayonnement pulsait comme les battements d'un cœur. Lorsqu'il y perdait son regard, Nicolas éprouvait la même sensation que lorsque, petit, sa mère le berçait dans ses bras : celle d'être en sécurité, réconforté.

Il secoua la tête.

— Pourquoi... Comment peux-tu être... ici... maintenant... ?

— Tu voulais me voir, non ?

Les mots lui manquèrent.

Il n'attendait pas cette réponse si franche, si vraie. Il n'avait aspiré qu'à cela depuis le jour où on lui avait annoncé que Jonathan était décédé d'un arrêt cardiaque. Qu'il ne le reverrait plus jamais.

Pourtant, le revoir, le retrouver. Lui parler... s'expliquer. S'excuser. Peut-être même trouver un moyen de réparer son erreur ? Changer le passé...

La folie n'est pas en train de me dévorer. Il y a longtemps qu'elle a terminé son repas !

— Tu le savais ?

— Bien sûr. Je garde un œil sur toi.

Sa gorge se serra. Allait-il pleurer ? Non. Son corps ne lui appartenait plus. Les larmes ne lui étaient plus permises. Dans sa palette d'émotions, seule la colère se montrait disponible. Avant de se laisser à nouveau happer par ses propres ténèbres, il déglutit et se reprit.

L'Héritage (L'Hybride, Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant