3.5 : Destin

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Elle s'éveilla dans ce qui ressemblait à une caverne. Les flammes des torches abîmées et sans fioriture projetaient des ombres dansantes sur les parois de roche brune, irrégulière. Parmi la multitude d'odeurs désagréables qui se mêlaient, la plus présente était celle de la sueur.

Sans s'appesantir sur ce détail, elle se leva et constata que, non seulement son corps bougeait seul, mais en plus il revêtait désormais des formes masculines. Vêtue d'un seul pantalon en laine grossière, elle avait tout loisir d'apprécier la toison noire qui recouvrait désormais son torse plat. Son regard se porta vers une chemise de lin froissée, abandonnée au bord de la couchette. Elle l'attrapa, l'enfila puis la laça de ses mains carrées et calleuses.

La dernière fois que Clara s'était retrouvée dans une situation similaire, elle avait voyagé dans le temps et réinvesti son propre corps. Si l'expérience se répétait dans les mêmes conditions, ses rêves mêlés à sa magie l'avaient emmenée faire un bond dans le temps. Et à en juger par son environnement et sa tenue, elle n'avait aucune difficulté à le croire. Très certainement, elle ne pourrait pas influer sur son hôte temporaire ni agir à sa place ; pas plus que la fois précédente. Par curiosité, elle tenta de tourner la tête, lever le bras, tourner sur elle-même... son corps d'accueil ne répondit à aucune de ses volontés. Résignée, elle se retrancha et observa. Elle ignorait encore ce qui provoquait ces visions et comment les interrompre, et refusait de croire que cette capacité se réveillait sans raison.

Le hasard, c'est comme les coïncidences. Je n'y crois plus beaucoup...

L'homme poussa une vieille porte et s'engagea dans un boyau plus fréquenté. Pieds nus sur la pierre froide et irrégulière, il ignorait les petites pointes qui s'enfonçaient parfois dans sa chair. Sur sa route, il croisa et salua plusieurs personnes dont il ne distinguait pas les visages, mais tous avaient un point commun : ils faisaient montre envers lui d'une grande déférence.

Sans se retourner plus d'une seconde sur les personnes qu'il croisait, il atteignit la sortie de la caverne, baignée de lumière.

Au niveau de l'ouverture béante, une dizaine d'individus s'étaient rassemblés, revêtus de tenues similaires à la sienne. Ils s'agenouillèrent sitôt qu'il s'arrêta. Clara s'interrogea sur le nombre d'années qu'elle venait de traverser : cent ? deux cent ? trois ?... une chose était certaine, il y avait au bas mot plus d'un siècle.

Dans l'assemblée, tous arboraient la même peau hâlée par le soleil, témoin de longues journées à travailler au grand air. L'homme qu'elle était devenue les survola du regard ; Clara distingua des disparités entre leurs mises. Si les coloris bruns et sombres s'accordaient, certains affichaient une tenue soignée là où d'autres s'étaient couverts de haillons troués ou rapiécés. Un rassemblement qui ne manqua pas de l'étonner.

Elle leur parla. L'homme leur parla. Elle sentait les muscles de sa mâchoire rouler, apercevait des lèvres s'agiter en réponse, mais un bourdonnement sourd emplissait ses oreilles et l'empêchait de saisir toute la portée de la discussion.

Puis l'homme fit quelques pas et s'arrêta devant un pupitre. Un épais grimoire de cuir relié, reposait dessus. Un symbole en or illustrait sa couverture épaisse et luisait sous les rayons du soleil levant. À travers les yeux de cet inconnu, elle reconnut deux « S » superposés, dont la boucle inférieure du premier se mêlait à la supérieure du second. Les deux s'emboîtaient parfaitement et formaient un rond au centre duquel un point venait achever la gravure.

Négligemment posé là, à portée de main, l'ouvrage paraissait accessible à quiconque souhaitait le consulter. Pourtant, Clara distinguait autour de lui un inextricable réseau de sorts de défense. Quand elle l'observait, l'image qui se formait dans sa tête était celle d'une meute de chiens affamés et dressés au combat ; elle n'y aurait pas touché sans d'infinies précautions et la certitude de bien faire. Le malheureux qui chercherait à en percer les secrets soit s'en rappellerait longtemps, soit mourrait sur le champ.

Ses doigts abîmés effleurèrent la couverture. Les sortilèges y répondirent avec docilité.

Non seulement c'est un sorcier, mais il est l'auteur des sortilèges de protection...

Après avoir testé, d'une manière qui lui échappait, l'intégrité des puissants sorts, il traversa ses fidèles en direction de l'ouverture de la caverne. Une épaisse forêt en bouchait la vue, et si l'ouverture se trouvait en altitude, elle ne se situait pas au-delà de la canopée. Il entreprit donc d'escalader la roche et se hissa sans peine par-dessus le rebord de l'entrée. Une main en visière pour protéger ses yeux du soleil matinal, bas, il admira la formidable étendue d'arbres qui tapissait le sol et plus loin, en contrebas, aperçut les fumées d'un village. Autour s'étalaient des champs à perte de vue. Ses lèvres formèrent un sourire.

— Merci.

L'Héritage (L'Hybride, Livre 3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant