Le dos d'Harry grinçait douloureusement sous sa chemise froissée, une journée venait encore de s'écouler. D'un geste, il poussa la porte en bois de la taverne et la fit claquer contre le mur avec fracas. À sa droite, un jeune couple de deux tourtereaux tout juste tombé du nid de leur enfance fixaient, semblait-il avec insistance le nouvel arrivant tandis que le barman, jusqu'à présent affairé à son labeur, relevait brusquement la tête. Que regardaient-ils tous ? Le grand homme s'élança, de sa démarche chancelante et grotesque, à travers ce champ d'yeux ahuris d'où dépassaient tantôt un enfant, tantôt une femme ou un des nombreux vieillards qui traînaient chaque soir au comptoir, avec tout l'acharnement que leurs vieux os malades leur permettait. Les chaises crissaient sur son passage tandis qu'il chancelait vers le fond de la salle pour s'avachir enfin sur le premier des sièges qui tombait sous sa main. Il commanda d'abord un whisky, puis, voyant que cela ne lui suffisait point, cria le serveur pour un verre de rhum, deux après et des dizaines d'autres. À la fin de la soirée, c'était à peine si le gaillard pouvait encore contempler, de son œil devenu vitreux, le petit rouleau de papier blanc, joliment présenté sur le cendrier de terre cuite, qui rendait à l'humain la justice du salaire. Sur un tabouret voisin, un homme. Grand, blond, ses iris d'un bleu nacré perçaient au travers d'un long visage mince. Lui n'avait qu'un verre devant lui, un petit gobelet de plastique à peine entamé que l'inconnu observait pourtant avec insistance. Enfin, ce dernier se décida, et d'un geste si altier et parfait, qu'il aurait bien été impossible de mettre un âge sur chacun de ses mouvements, l'étranger porta délicatement l'auge grossière à ses lèvres délicates, en lapa prudemment quelques gouttes avant de le reposer brutalement sur la table. Une grimace de dégout déformait à présent son visage lorsque ses si beaux yeux, autre fois bleu azurs revêtaient une violente teinte d'orage. Harry abandonna lui aussi sa chope, soudainement écœuré de sa boisson. Quel miracle œuvrait donc à ses côtés ? Brutalement sorti de sa torpeur, le gaillard relança en sa direction plusieurs petites œillades curieuses. Mais non, inexplicablement, il ne restait en l'océan de son regard aucune trace, pas même la plus petite du nuage qui venait d'en effleurer la surface. Le pauvre homme baissa la tête et contempla un instant le verre vide entre ses mains. Décidément, cette foutue gnaule n'apportait rien de bon ! Il aurait pu rentrer chez lui, payer simplement le prix de sa course et oublier l'ivresse, juste le temps d'une nuit... Mais il leva le bras, et tendit en direction du barman l'abîme de son verre vide en crachant plus qu'il ne parlait un maladroit :
-Une autre tournée pour moi !

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La tâche blanche
TerrorLe mal... Il réside en chacun de nous, dans nos cœurs et dans nos gestes. Il nous possède, nous contrôle complètement et ronge, plus vicieux que la nuit, nos tendres sentiments. Prenez garde, vous qui croyez au bien, qui fausser dans l'espoir d'un s...