La tâche blanche

19

Harry tendit le brouillon à l'homme, le lieutenant James Plott qui se tenait ici. Le brave homme, un grand gaillard dans la force de l'âge dont les cheveux crépus commençaient à peine de grisonner sur Le Brun de ses tempes sauta de son fauteuil, où il était avachi pour se saisir du petit papier. 

-Elle m'a laissé ça.

Le lieutenant fronça les sourcils.

-C'est tout ?

-C'est tout.

-Rien d'autre ?

-Rien.

-Bien...

Plus rien ne semblait vouloir arrêter l'officier, ni l'étrangeté de cette découverte, ni le peu d'informations... Bien au contraire cette preuve, cet unique indice griffonné à la hâte par les yeux d'une mourante parurent en un instant raviver le flambeau qui dormait en son cœur pour chasser d'un éclat la faible nonchalance qui noyait son état. Penché sur le petit carré, James Plott dévorait chaque parcelle de ce précieux torchon, passait ses doigts endurcis sur les lettres d'acier comme pour leur dérober un mystère, un trésor, la vérité. Enfin le bonhomme se rassit, l'étincelle de son regard ne semblait jamais avoir brillé aussi fort et un minuscule sourire éclairait maintenant le sillon de sa bouche.

-Alors ? commença Harry, qu'est-ce que ça veut dire ?

Surpris, le brave homme leva les yeux de son ouvrage.

-Quoi donc ?

-TH bla, qu'est-ce que ça veut dire ?

-Ah ! Ça... répondit le lieutenant, Je n'en ai absolument aucune idée !

Il demeurait comme un enfant, de minuscules paillettes, fruits d'impatience et d'excitation affluaient en cascade tout le long de ses yeux tandis que le talon de sa chaussure martelait frénétiquement le tapis de coton. C'était absurde !

-Alors pourquoi êtes-vous si joyeux ? explosa Harry, C'est insensé ! Vous dites ne rien savoir sur ce mot et pourtant vous voilà plus gai qu'un étourneau ! Cette femme est morte ! Vous comprenez ce que je dis ?

Soudainement ramené d'entre les vies, le policier chassa la bête furieuse qui rugissait en lui et plongea ses yeux d'encre dans ceux de Harry.

-Parce que vous pensez que nous autres, parce que nous portons uniformes et insignes dorées nous apportons réponse à tout ? Mon pauvre monsieur ! Vous vous trompez allègrement ! Assez des vols à deux cartouches et des meurtres de pacotille ! Le mystère ! Voilà ce qui me pousse à me lever chaque matin ! J'arrive au boulot et là, un pauvre type avec un paquet d'énigme et une histoire bien glauquasse m'attend comme le Messi ! C'est vous qui ne comprenez pas !

-Donc vous ne voulez pas m'aider ?

-Mais si, bien au contraire ! Nous formerons une si belle équipe vous et moi !

-Il en est hors de question !

-Dans ce cas c'est vous qui ne voulez pas que je vous aide.

À ces paroles, le silence tomba sur le bureau animé, le pauvre bougre se trouvait acculé : d'un côté le salut, l'ignorance, la sûreté ; de l'autre un désir, presque bestial de la trouver... Mais que choisir ? Que faire quand l'avenir se rapproche ? Doit-on laisser, un temps le destin l'emporter, ou lutter de ses vaines forces pour vivre à l'instanté? Pourquoi voulait-il donc, doux désir de la chair, percer, un bout de papier, indomptable mystère ? Sa main, tendu devant son corps semblait tant l'attirer, telle une dernière promesse pour retrouver la paix. C'est ainsi que, le seize mars de cette année, Harry rompit le mal pour l'unique liberté.