23

3 1 0
                                        

Cyril referma doucement la porte d'entrée pour ne pas les réveiller, il était tard, elle devaient  déjà dormir. Lentement, il glissa sur la pointe des pieds dans le couloir, resté allumé et son ombre furtive promettait sur les mur étroits à la vieille tapisserie de couleur pastel la silhouette d'un homme qui ne veut être pris. Les lampes poussiéreuses, avec leur abat-jour défraîchit brillaient d'un éclat pâle dans entre vestes et manteau, sans doute Clothilde les avait elle encore oubliées lorsque la petite fille était redescendue, comme chaque soir pour se servir un verre d'eau fraîche. Ah ! Je vous jure, celle là ! pestait-il alors, défaisant ses chaussures et les balançant dans un coin de l'entrée, à gauche de la porte, J't'en foutrai moi, des gamines comme ça ! Ces paroles résonnèrent en son cœur comme un coup de maillet, le maillet du destin qui s'abat sans crier gare pour nous enfoncer profondément en les misères les plus folles. Son ventre gargouilla, depuis huit heure il n'avait rien mangé et les petits points blanc de la faim achevaient de tourner au devant de ses yeux lorsqu'il s'avachit sur un chaise de la cuisine, une part de fondant à la main. Le bonhomme s'apprêtait d'ailleurs à mordre à pleine dents dans le gâteau quand une voix, glaciale s'éleva de derrière la porte.

-Mais, le mérites-tu vraiment ?

Cyril releva la tête, c'était sa femme, ravissante comme au premier jours. Ses longs cheveux roux descendaient en cascade le long de son visage aux traits précis et aux pommettes saillantes, superbement illuminées par deux yeux pers gorgés d'étincelles. Son cou d'échassier descendait sur une poitrine généreuse et une taille fine aux formes plus que gracieuses dissimulées d'un peignoir de chambre mauve, celui qu'il lui avait offert. Cependant, le temps avait lassé sa marque, ces cheveux, autrefois feux des cœurs avaient perdu de leur éclats et se striaient ça et là  de mèches grises et tristes alors que sa silhouette, si délicate au mois de mai, n'offrait guère plus que l'épave d'une rose fanée. Et la joie... Oui, cela demeurait sans nul doute le pire, la joie qui brûlait jadis ses prunelles, toute entière, disparue. Une tension palpable flottait en l'air, comme fruit d'une haine silencieuse.

-Alors, répéta Jeanette, le mérites-tu ?

Quelque chose n'allait pas. Cyril engouffra une première bouchée de gâteau en ses lèvres grandes ouvertes. Puis, mâchant bruyamment, le jeune homme assura :

-Bien sûr ma chérie, j'ai eu une dure journée, tu sais !

-Vraiment ?

Il avala les dernières miettes.

-Oh ! Oui, tu ne peux pas t'imaginer ! D'abord j'ai dû réparer le tiroir de mon bureau, la femme de ménage l'avait encore bousillé ! Ensuite Pierre a renversé son café sur le bras de ma chemise. Le café était bouillant, ça m'a fait un mal de chien !

Un goutte de sueur courrait désormais tout du long de son dos.

-Chérie ?

Mais jeune femme demeurait silencieuse. Le regard perdu dans le vague, elle sembler fixer le on-ne-sait-quoi qui flétrissait son âme. Lentement, Jeanette s'approcha de la chaise sur laquelle il reposait, posa la pointe de son menton sur la courbe de son épaule et l'entoura tendrement, parut-il,  de ses deux bras avant de lui susurrer, tout juste au creux de son oreille :

-Alors, tu t'en es tapé combien aujourd'hui ?

Elle savait.

-Comment ? feignit l'hypocrite, Mais enfin, qu'est-ce que tu racontes ?

-Tu sais, continua Jeannette, plus venimeusement encore, Cassandra, cette fille que tu allait voir chaque soir ! Tu ne va pas me dire qu'il n'y en avait pas d'autre !

-Qui t'as raconté ça ? murmura Cyril, plus rouge que le sang.

Elle l'avait trahi ! Cette stupide petite peste l'avait trahi ! Diable eussent étés les enfants et leur langue trop bien pendu ! Pourtant, son épouse ne répondit point, peut être désirait-elle, malgré le vain de la cause, protéger la petite créature qui faisait son enfer. Non, au lieu de cela, et contre chacune de ses attentes, la jeune femme, celle qu'il pensait connaître explosa devant lui. En quelques secondes à peine, Cyril vit tout ce qu'il tant croyait avoir aimé, la douceur et la bonté, se muer en une chose bien trop terrible pour être raconté. Toujours est-il que, entre deux grondement sinistres de la bête, le démon regretta ses injustes paroles, celle qui l'avaient pousser à blasphémer contre sa fille et sa famille toute entière. Malheureusement, ce bref instant de lucidité ne paru que le temps d'une seconde et le bonhomme replongea bien vite dans de sombres abysses. Derrière la porte entrouverte, deux petits yeux guettaient, inquiet l'ignoble monstre à deux têtes qui déchirait la maison de cris, à cette heure avancé de la nuit. Finalement, ce fut lui qui décida de partir, enfin non. C'est elle qui le chassa d'une gifle et d'un éclat, Jeannette détruisit à jamais le peu d'amour, de paix qui, dans le cœur du démon restait.

La tâche blancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant