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Lorsque la caissière lui tendit la main afin d'y recueillir les quelques larmes de son âme, la pauvre femme déposa, toute tremblante, la dernières de ses pièces dans le creux de sa paume. Et, voilà, en moins de temps qu'il en faut pour pleurer, pour regarder le long cours de la vie défiler peu à peu, Jeannette venait là de gaspiller le maigre reste du salaire de son mois. La porte claqua derrière elle tandis que l'employée, une mégère dont les deux petits yeux noirs et porcins, enfoncés, presque cloué dans les viscères de son crâne, dégageaient une sorte de force malfaisante les regardait s'éloigner, tapie près de la vitrine comme dans une antre de cristal. La veille distinguait à peine encore les deux formes, deux silhouettes sombres qui tournaient au coin de la rue avant de disparaître de leur triste venue. Cela faisait cinq ans que Jeannette fréquentait cette épicerie. Chaque mardi depuis sa naissance, elle allait sans relâche, sous la pluie et la tempête pour cueillir à sa petite de minuscules carrés de sucre roux que la gamine suçait alors avec délice. Le vent avait soufflé, les murs était tombés, ainsi que ses blanches pommettes, si altières autrefois... Mais le sucre, oui, le sucre, lui demeurerait. Ah ! Tout aurait donc été si parfait, s'il n'y avait pas eu ce vent, ce fameux vent, celui qui souffle, jour après jours pour revenir encore ! Seulement, personne ne pouvait prévoir et personne le le pourra jamais, ce bien funeste soir ou elle dut s'en aller, laisser loin derrière elle ses plus douce contrée, la foule, le bruit la scène, les fans, et les tournées... À ses côtés, Clothilde gambadait gaiement, de la gauche vers la droite, davantage excitée que les centaines de puces qui bondissait en rafale du pelage d'Enzo, un magnifique labrador à poils ras dont la maigreur commençait à creuser de nombreux petits sillons sous le blanc de sa fourrure, une bouche de plus à nourrir, sans doute... Mais malgré cela et la ruine qui accablait inlassablement sa famille, Jeannette ne parvenait plus à s'en séparer, comme de cette tradition de lui donner une confiserie, qui contre la misère, illuminait sa vie. Enfin la façade de la petite baraque s'amoncela à l'horizon, partiellement cachée par un mur d'herbes hautes des de ronces sinueuses. Six mètres, trois mètres, un mètres, la pauvre femme plongea, comme à son habitude, ses longs doigts maigres dans la poche de sa veste, trop légère pour la saison. La clef coulissa en la serrure, la poignée grinça et la porte s'ouvrit en un claquement sur un carrelage rose noirci par de multiples passages. Une odeur âcre flottait dans la maison, un parfum de renfermé et de détresse qui agressait tous les soir un peu plus les narines de Jeanne. Soudain, un petit bruit qui semblait l'appeler tel un pépiement d'oiseau lui fit tourner la tête, Clothilde avait finit son sucre :

-Dis maman, tu feras quand le ménage ?

Un faible pincement qui se transforma vite en un puissant étau enserra l'os de son cœur. Non, elle ne devait pas savoir.

La tâche blancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant