Le corps s'étendait devant eux, froid et sans vie. De ses yeux devenus vitreux à sa chair amollie, on aurait dit que l'être humain entier avait quitté ce monde, cédant bien trop vite place une étrange créature à la peau flasque et fétide. Le palais de mort qui entourait sa carcasse rendait dans la pièce déserte de petits relents nauséabonds et désagréables, ce même parfum macabre présent chaque soir de vie lorsque Dieu échange la peine contre l'âme ; si bien que l'on ne pouvait à cette heure pénétrer en la salle sans tout de suite remarquer la bonne femme endormie, couchée sur la table comme sur un divan, les mains croisées sur sa poitrine nue et les yeux, bien loin devant. Cela faisait presque mal à Harry de devoir la quitter, cette parfaite inconnue qui l'avait vue sombrer... Il prit sa main, froide, et songea encore plus fort à ces moment passés, ces petites joies au retour du travail, les grandes réceptions et ces soirées de liesses, bien trop vites transformées en cauchemars d'ivresse, de vin coulant à flot dans sa bouche sèche et son désir, ardent d'en prendre encore un verre... Elle, elle n'avait jamais rien dit, l'avait laissé faire. Pourquoi l'aurait-elle dont fait après tout, elle qui vivait de son malheur ? Une porte claqua derrière son dos et son ami entra, plus charmant que jamais dans son habit de blanc. Harry passa une dernière fois, une toute dernière fois sa main sur les contours grossiers de son visage, ses joues rondes et son nez brusqué, et ses yeux creusés par les cernes... Peut être aurait-il pu l'aimer. Mais c'était trop tard, le train passait, il ne l'avait pas pris et demeurait toujours pauvre et seul, dans sa nuit. Ô cruauté de l'heure ! Mais qu'as tu accompli en déchirant son cœur et prenant une vie ? Ô cruauté des temps, de l'ombre qui ramasse ! Pourquoi ne pas laisser cet espoir fugace, celui de t'échapper, juste une semaine de plus pour venir à tes pieds, cœur de flammes, cœur fendu ? Oui, cœur fendu, c'était le terme, quand la lame s'enfonça, perçant un corps sans âme, et une âme sans émois. James cisaillait son ventre extirpant une a une ses entrailles, souillait son lit de mort, il cherchait une réponse à la victime du sort. À ses côtés, Harry, lui, ne disait rien, au contraire, il se contentait de donner, d'un geste presque mécanique, une scie ou un scalpel lorsqu'on le lui demandait, tant et si bien que, lorsque le jour commença à poindre par la fenêtre ouverte, le lieutenant posa son masque exténué avant de s'avachir, sans force sur une chaise voisine. La pâleur de son visage renvoyait les rares éclats dans de petites étincelles moites de sueur et d'effort tandis que le policier reprenait lentement son souffle. Il parvînt cependant à articuler, entre deux raclements de gorge un léger :
-Rien.
-Rien ? s'exclama Harry, stupéfait, Commença rien ?
-Rien, répéta James, que dire de plus ?
-Même pas un petit infarctus, un genre de cancer ou je-sais-pas-quoi ?
-Rien je te dis, cette femme était en parfaite santé, d'après le dossier, elle n'avait aucune allergie !
-Mais comment est-ce possible ? recommença le bougre, Je l'ai vu mourrir, juste devant mes yeux !
Pour la première fois depuis longtemps, Harry avait peur. Oh ! Non pas de ce fléau, ce charme mystérieux qui ôtait tant de pères, de joies et de familles, non, ce qu'il craignait vraiment, c'était ce silence, le mutisme de la science, la peur de ne savoir et de mourrir idiot, propre à l'homme, aux saints et aux enfants des cours. La peur de l'ignorance d'un nouveau lendemain.

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La tâche blanche
HororLe mal... Il réside en chacun de nous, dans nos cœurs et dans nos gestes. Il nous possède, nous contrôle complètement et ronge, plus vicieux que la nuit, nos tendres sentiments. Prenez garde, vous qui croyez au bien, qui fausser dans l'espoir d'un s...