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Jeannette posa vite son sac et claque la porte. Non, elle ne devais pas voir cela ! Plus légère qu'une plume malgré la légère couche de graisse qui recouvrait de nouveau le contour de ses épaules, la jeune femme glissa le long du mur. Une main plaquée sur son œil gauche, elle avançait prudemment en direction de la cuisine, songeant encore à sa mésaventure. Ah ! Pour sûr elle ne se doutait de rien, ce matin à son réveil ! Elle s'était levée, habillée comme tous les jours et chargeait à son bras son atout préféré, un modeste cabas à peine décoré. Et la voilà partie, rieuse et pleine de joie, vers la place du soleil qui réchauffait ses pas. Là elle vaquait en paix entre fleurs et volailles afin de rapporter boissons et victuailles. 

-Bonjour, lançait-elle ainsi, au vendeur de saisons, je voudrais dix carottes et deux ou trois oignons !

Hélas ! N'obtînt t-elle de réponse que des pleurs et des cris, lorsqu'une vague huante l'emporta vers la nuit ! La pauvre mère roula, percuta ciel et Terre avant de s'écrouler, seule dans la poussière. Des pieds la percutaient sans cesse tandis que des cris résonnaient de toute part si fort qu'ils déchiraient ses tympans et emplissaient son palais d'un désagréable goût de fer, le sang que l'on lui arrachait. Soudain, Jeannette sentit que quelqu'un l'attirait vers le haut, la hissait sur son épaule pour la hisser au loin de la cohue. Et, lorsque la poussière eut enfin quitté son regard, la jeune femme ouvrit les yeux sur Arnaud, le second du boucher et derrière lui, deux corps entrelacés.

-Maman ! Ça sert pas à faire ça la viande, tu sais ! 

C'était Clothilde.

-Tu veux que je te montre ?

-Non, non... Merci ma chérie, ça va, je te jure !

-Ah ! D'accord... Dis, je peux prendre une glace ? continua la petitiote.

-La dernière, concéda la bonne mère, sinon tu n'auras plus faim pour ce soir. Ce serait dommage, on mange du steak ce soir !

Un éclair de gourmandise alluma un instant son regard.

-Celui que tu es en train de presser contre ton visage ?

-Oui, celui-là !

-Chouette !

Vite, la fillette s'empressa de refermer la glacière, offrit à sa joue meurtrie un rapide baiser et dévala la marche pour s'en aller jouer.

Jeanette ferma ses paupières, qu'avaient-ils donc, ces corps ? Oui, elle s'en s'en souvenait maintenant ! Comme elle s'état approché, tout doucement telle une ombre pour fixer sur le sol un présage des plus sombres. Lui, entier de noir vêtu, de rare cheveux blonds cendrés dépassaient de sa capuche rabattue de laquelle pointait un nez légèrement en trompette. Il semblait jeune, trop jeune sans doute pour ce couteau planté et le liquide brunâtre, effroyable sang séché. Trop jeune pour tuer, comme il n'y a jamais d'âge et pour mourir aussi du fléau de janvier. Cet homme était mort deux fois, en corps et en pensée, puni par tous ses crimes, il ne se relèverait. Finalement, Jeanette ferma la porte du frigidaire et caressa doucement le bourrelet de son œil avant de lancer à la benne la pièce de chaire rouge, amollie et réchauffée. Il n'y en aurait pas pour elle, ce soir.

La tâche blancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant