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Harry marchait en zigzaguant dans la rue. Tout y était comme dans un rêve : on aurait dit un de ces dessins d'enfants, maladroits et coloré qui tanguent toujours un petit peu sur le côté. La chaleur de l'après-midi tapait sur ses épaules d'une main de fer tandis que les épais rayons de soleil semblaient voler en de curieux serpentins vitreux autour du bonhomme bringuebalant. Enfin, il arriva en vue d'une petite place où une grande statue de marbre offrait tout juste assez d'ombre pour que l'on puisse s'y abriter. Là s'amusaient deux gringalets, courtauds et en bras de chemise, qui sautaient sur le socle de pierre sous le regard attendri de leur mère. Plus à gauche, un autre inconnu fumait tranquillement sa clope qu'il écrasait de temps en temps contre le béton blanchi avant de s'en rallumer "une toute dernière", comme il le disait. Il y avait aussi un couple de jeunes tourtereaux, assis là, sur un banc, les yeux perdus en ceux de l'autre et le cœur trop amoureux. Tout, partout, la foule. Soudain, un nuage obscurcit ce ciel bleu de mensonges et l'orage commença bien vite par  la chute du premier bambin qui se trouvait là, bientôt rejoint par une sœur qui ne se relèvera. Et un à un des cris, la femme qui tombe, suivi de l'étranger, du jeune couple et de ce monde. Les cris résonnaient sans cesse à ses oreilles pâteuses tandis qu'il avançait, mais plus vite, désormais, dans la longue avenue jonchée de centaines de cadavres, qui pleuvaient comme en rafales sur le trottoir grisâtre alors que les plaintes, de la gauche à la droite surgissaient de nulle part. 

-Aaaaaaaaaaaah ! un cri résonna dans la nuit.

Dans la pénombre, Harry ouvrit brusquement les yeux sur la falaise de verres brisés et une bouteille de rhum bien serré entre ses poings. Assommé ? Encore ? Alors tout cela n'était qu'un rêve, il n'y avait jamais eu d'homme-mystère, d'exorcisme au coin des rues, ni mêmes de ce fléau qui tuait et qui tue. Minuit, cela faisait donc deux heures que le bar avait fermé, deux heure qu'il dormait seul, affalé sur sa table, tel laissé pour mort dans l'échoppe déserte. Déserte ? Mais qui avait crié ? Lentement, le bonhomme se retourna face au comptoir et se leva afin de pouvoir s'y pencher d'avantage. Une femme s'y reposait, elle aussi avachie sur le sol, sans doute par la soif qui l'y avait lui-même conduit. Cependant, l'apparition ne rêvait plus, mais dévisageait plutôt intensément son visage bouffi de ses grands yeux clairs et immobiles. Harry se saisit de sa main, froide, l'agita, d'abord doucement puis pris d'une peur panique : c'était-elle qui avait crié, du moins, avait-elle essayé, pour la toute dernière fis de sa vie. Non, tous ces morts n'étaient pas un songe, il en avait la preuve juste au bout de son bras ! La pauvre Géraldine, cela s'inscrivait sur son bracelet, au dessus de son poignet, au sein duquel reposait un petit papier blanc tout froissé contre sa paume. Plus rapide que la faux, il le déplia et tomba hélas, vide dénude devant les quelques mots, à peine griffonnés qui y étaient inscrit :

TH bla

Pouvait-on tout juste lire.

La tâche blancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant