-Dis papa, tu l'aime toujours Maman, hein ?
Cyril s'arrêta soudainement de marcher. Dans le creux de sa paume, la petite main moite et chaude de sa fillette semblait brusquement céder la place à un moignon de chair dure et glaciale. À sa gauche, tout près de son genoux, Clothilde le regardait avec tant insistance que le bonhomme sut dès le premier instant que ce démon qui le poursuivait depuis trop longtemps déjà venait de l'acculer, une fois de plus. Que dire ? Que faire ? Que répondre à ces grands yeux gris qui fixaient en vain son âme, comme en quête d'une réponse ? Et qu'elle était jolie, la pucette en bras de chemise et boucles d'or qui courait par-ci, par-là dans les rues de Combebrume ! Avait-il vraiment le cœur de lui mentir ? Muet tout d'abord, Cyril se pencha vers la petite. Doucement, très doucement, le faux père approcha sa bouche cousue du creux de son oreille et d'un geste, en écarta les quelques mèches blondes qui les recouvraient avant d'y chanter en un souffle :
-Mais bien sûr ma chérie ! Qu'est-ce qui t'as mis cette vilaine idée dans ta tête ?
Clothilde plongea encore plus profondément ses iris perses dans le blanc de son visage, on aurait alors dit que toute la détresse du monde se reflétait en cet enfant, un minuscule bout de femme cramponnée à son père, comme de peur de le voir s'en aller.
-Tu es toujours parti en ce moment ! sanglota la fillette, Maman et moi on te voit presque plus et ça la rend triste ! Elle dit qu'elle déteste ton travail et toi aussi !
le puissant goût des larmes effleura un instant les papilles de Cyril tandis que l'émotion qui harcelait chaque seconde davantage la fleur de ses entrailles transformait tout son être en un gigantesque tambour de haine et de chagrin. DRING, DRING, DRING, criait la bicyclette qui croisait leur chemin avant de disparaître dans l'obscur d'un recoin. BAM, BAM, BAM, cognait le cor de sa poitrine. C'était vrai, incroyable, mais vrai. Elles, elles lui manquaient toutes deux. Fébrilement, il passa sa main cailleuse sur ses cheveux dorés et descendit le long de son visage rougit par les larmes jusqu'au creux que formait son cou à la naissance. C'était vrai. Leurs interminables balades dans le parc Luciel, les bons repas qu'elle lui faisait... Tout cela lui manquait. Mais serait-il réellement prêt à renoncer à l'autre part, à la passion qui accablait son cœur, le mardi, à sa vue ? Quelle cruauté que cette vie, dieu de peine aux deux visages qui indiquent chacun un plus terrible destin ! Mais doit-on vraiment choisir, quand on caresse équilibre, de pencher la balance au risque de détruire ? Dans ses bras, Clothilde pleurait maintenant à chaudes larmes, il lui fallait agir. Aussi l'enserra t-il, plus fort que jamais, pour vendre à son oreille le dangereux secret :
-Tu sais ma chérie, il n'y a rien que je n'aime plus que vous, ta maman et toi êtes mes trésors les plus précieux et je ferai n'importe quoi pour vous protéger !
-Mais alors pourquoi tu reste plus avec nous ?
C'était là.
-Je vais te dire un immense secret mon bébé, tu es d'accord ?
Clothilde hocha faiblement la tête.
-Très bien, mais il faut que tu me promette de ne rien dire à Maman.
-Je te le promets, acquiesça la fillette.
-Eh bien voilà, il arrive que parfois, les papas tombent amoureux d'une autre dame que les mamans et qu'ils décident de vivre avec cette autre dame en même temps !
La petite écarquilla les yeux, éberluée.
-Et Maman ? Elle veut bien ?
-Bien sûr.
Mensonge.
-Et comment elle s'appelle, la dame ?
Ignoble mensonge.
-Cassandra.
-C'est bizarre comme nom, gloussa t-elle.
-Oui.
-Mais c'est joli.
-Très joli.
Ainsi le père et la fille reprirent leur route sous le soleil paresseux et deux yeux, perchés tout au bord de la falaise, qui semblaient, sans relâche, les scruter.

VOUS LISEZ
La tâche blanche
HorrorLe mal... Il réside en chacun de nous, dans nos cœurs et dans nos gestes. Il nous possède, nous contrôle complètement et ronge, plus vicieux que la nuit, nos tendres sentiments. Prenez garde, vous qui croyez au bien, qui fausser dans l'espoir d'un s...