Le faible gargouillis qui fuyait de ses entrailles résonna dans la pâleur froide du matin tel un véritable coup de tonnerre, aujourd'hui encore elle n'avait déjeuné. Prétextant par la faim, la maladie ou pour un simple régime, la pauvre femme repoussait assiette après assiettes pour La voir subsister. Et pourtant Dieu sait qu'elle en avait envie, de ces tartines fumantes et de ce thé qui coulaient en cascade dans sa gorge grande ouverte ! Elle ne pourrait continuer longtemps ainsi, Jeanne le savait. Chaque semaine qui passait accablait un peu plus la carcasse de son corps fatigué et elle comptait les heures, comme inlassablement, en attente de cet acte, ce point final qui marquerait à jamais la fin de sa souffrance. Mais avait-elle vraiment le droit de l'abandonner, sa petite, aux mains d'un monde, d'un terrible brasier ? Que ferait-elle une fois lâchée, isolée dans les rues avec pour seul confort un père des yeux perdus, qui quittait le logis à la pointe de l'aube, pour ne rentrer qu'une fois le soleil loin du globe ? Non, elle devait se battre, bannir ces chères faiblesses et courir de son amour à une lutte perdue. Il y avait en ce temps-là un jolie petite boulangerie qui dormait au coin de rue, on l'aurait dit à l'affut du moindre passant curieux qui porterait en lui une panse vide et des poches remplies. En effet, dès le quatrième coups, une foule noire et insondable d'écoliers affamés jaillissaient de toute part comme un démon aux mille mains. D'un bon ils franchissaient la porte, la bouche tendue et l'œil ouvert avant de repartir dans la meute affamé, un pain au chocolat sous le bras. Oh ! Qu'elle en avait envie ! À la vue de cet enfant, paresseusement affalé sur un banc, et un croissant à son côté, le rose de ses papilles se teintait bien vite de blanc et dégoulinait jusqu'à Terre, sous les supplications de son ventre trop fin. Soudain, la pauvre femme n'y tînt plus et, animée d'une seule force plus terrible encore que celle de la vengeance, se rua sur le bambin. Ses mains agrippèrent la viennoiserie avec hargne tandis qu'elle la fourrait goulument dans sa bouche grand ouverte. Tout en mâchant, Jeannette courait à perdre souffle. Derrière elle, l'enfant volé poussait à son tendre bourreau des cris de protestation alors qu'elle ne cessait de s'éloigner. Devait-elle vraiment le regretter ?
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La tâche blanche
TerrorLe mal... Il réside en chacun de nous, dans nos cœurs et dans nos gestes. Il nous possède, nous contrôle complètement et ronge, plus vicieux que la nuit, nos tendres sentiments. Prenez garde, vous qui croyez au bien, qui fausser dans l'espoir d'un s...