La tâche blanche

55

Depuis dix jours qu'il le suivait, pas à pas, nuits après jours, Camille ne s'était jamais senti aussi proche et pourtant, aussi loin de l'inconnu. Bien sûr, le jeune homme... Car il paraissait homme maintenant ! Oui, le jeune homme s'efforçait au mieux possible de suivre chaque conseil, chaque leçon que Karl lui donnait. Les amis mangeaient ensemble, marchaient ensemble jusqu'au zénith, puis le père devenait maître et l'orphelin, le plus doux des élèves. Ainsi, en une semaine et demie seulement, Camille avait appris à écouter la mort, à sentir le vent sur sa peau, et comment vivre à pleine vitesse le terrible jour nouveau, ce soleil maléfique qui, chaque aube nous trace, à tous, une nouvelle marque. C'est vrai, on ne compte plus cette vie qui défile ! Elle est là, elle nous est donnée et nous la gâchons toute seconde à regarder séries, films et dessins animés. Les yeux rivés sur notre écran, nous oublions le temps qui passe... Ou plutôt non ! Nous voulons l'oublier, nier les mille et un regrets qui blanchissent nous cheveux et usent nos visages, nos yeux... Nous ne sommes gardiens du temps, pas plus que de ces machines qui nous le volent tant, mais un simple jouet, tourné et retourné dans les mains d'un grand mystère, une énigme éternelle. Cela, Camille le savait, et il savait que tôt ou tard, il devrait s'en aller, délaisser cette Terre, ses amis, son passé... Ceux-là semblaient déjà bien loin... Il ne lui restait donc que Karl, debout devant son nez, qui paraissait l'attendre. Subitement tiré de ses pensées, l'adolescent se releva maladroitement pour faire face à cet homme qui lui apprenait tant.

-Alors ? commença t-il, On fait quoi aujourd'hui ?

L'intime inconnu sourit doucement, mais pas de ces sourires gais que Camille appréciait tant, on aurait au contraire parlé de ces rictus forcés, plein de peine et d'inquiétude, d'un homme, d'un dieu, d'un instant redouté.