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-Aller, viens jouer avec nous Camille ! 

-On ira doucement, promis !

Au devant de ces deux grandes paires d'yeux suppliantes, Camille hésita un instant. D'un regard, il passa sur leurs visages, comme pour traquer le diable caché en ces traits avant de caresser avec une plus grande envie encore les béquilles qui reposaient à ses côtés. Après tout, qu'est-ce qui l'en empêchait ? Finalement, il repoussa d'un geste le sermon da sa mère qui criait à dix pas pour vivement s'emparer des fines tiges métalliques qui le supporteraient et s'élança. L'herbe verte défilait sous ses pieds à une vitesse qui lui paraissait presque incroyable, depuis quand n'avait-il pas galopé dans les champs à travers leur chemin ? Bientôt, la broussaille qui s'insinuait en ses vêtement et s'enroulait telle les anneaux de minuscules serpents sur le pourtour de ses béquilles céda la place à la terre, nue et aride face au ciel. La course était finie. Il n'y avait sur le mont Salomon -encore fallait-il qu'il soit qualifiable de mont car le haut de son front dégarni n'effleurait jamais qu'à peine les nuages les plus bas- qu'un minuscule amas de verdure, bien sagement assis sous les rameaux d'un arbre mort où les enfants aimaient se réfugier après leur long périple afin de partager un barre de leur chocolat préféré. Ensemble ils jacassaient joyeusement, jusqu'à la fin du jour, de l'an, de leur vie toute entière, et gloussaient avec bruit sur la colline déserte. Cette fois cependant, un œil semblait guetter leur arrivée. Il était là, ici et ailleurs à la fois, les pans de son long manteau gris, immobiles maigres le vent, dessinaient de finesse ses longues jambes altières et remontaient avec fierté tout le long de son buste qu'ils couronnaient d'un col large. Son front, dissimulé d'un grand chapeau à larges bords ne laissaient entrevoir de sa figure qu'un océan de deux puis jumeaux qui fixaient avec passion la ligne bleue de l'horizon. C'est Hugo qui gravit d'abord le dernier saut de l'épopée, suivi de près par Eugène et enfin par Camille, rouge sous sa peau matte . Sa poitrine fragile se gonflait et se dégonflait à toute vitesse tandis qu'il jetait ses béquilles et s'asseyait brutalement sur une pierre de bordure. C'est à peine s'il parvenait à entendre les quelques mots de son ami, chuchotés, presque lâchés dans le creux de son oreille :

-Les gars, c'est qui ce mec ?

Le second haussa les épaules.

-Ze sais pas, zuste que ça fait trois jours qu'on l'a pas vu bouzer.

-C'est un taré, comment il fait pour tenir ? Manger ok... Mais trois jours sans allez aux chiottes c'est chaud quand même ! Qu'est-ce qu'il fout ?

-Il regarde au loin, commenta Eugène, c'est peut-être un acteur de télé-réalité.

-Qu'est-ce qu'il viendrait faire à Combebrume, le contredit Hugo, on est un des patelins les plus paumés de l'histoire des trous du cul du mondes !

-C'est vrai, ze crois que même le président nous a oublié !

Seul, Camille ne disait rien tant il paraissait absorbé, bien plus que par sa barre, du douloureux spectacle d'un homme, trop triste même pour parler, pour montrer les blessures qui recourbaient son dos, pour descende d'une colline et tous les retrouver. Il le lisait, il voyait dans ses yeux la souffrance de l'humain, des peines, bien trop lourdes pour être supportés, loin de là l'émission, le plaisir, la télé...

-Il doit avoir faim... souffla le garçon.

-Nan... T'inquiète Cam, ze suis sûr qu'il a prévu ! le rassura son ami, aller, mange donc, ton corps a besoin de beaucoup chocolat pour se réparer !

Mais le blessé ne répondait plus, non, à la place, une force, celle du partage et du devoir, le fit lever, s'emparer d'une béquille pour la lui apporter. Elle n'était pas bien grosse, un peu veille et mal coupée, mais il sentait, au plus profond de lui que ces carreaux tout juste un peu fondus par l'enfant de l'été offriraient à son cœur un semblant de gaieté. Ainsi il tendit la main, vers son corps replié et donna à sa Terre une raison d'être aimée.

La tâche blancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant