-Je n'avais jamais vu cela ! raconta la marchande, aux mille yeux de l'écran. La vieille femme tenait à peine debout sur les deux moignons tous fripés et rabougris qui lui faisaient office de jambes. Elle tremblait paraissait-il de chacun de ses membres, tenant fébrilement le micro tandis que ses deux petites pupilles noires auréolées d'une peau violacée jetaient en tous les recoins de petits regards farouches où panique et inquiétude semblaient sauvagement s'entremêler. Autour d'elle, des dizaines de journalistes avides tels de monstrueuses fourmi-humaines gesticulaient en criant et envoyant de cruels jets de lumière.
-Racontez nous Geneviève, réclama l'un d'eux.
-Je... murmura la vieille, presque à bout de souffle.
-Vous ont-ils menacés ? demanda une autre.
-Non... Ils....
Mais la bonne dame n'eut guère le temps de finir sa phrase tant l'émeute grondante du savoir bouillonnait au devant de son visage. Partout, des caméras et des micros qui la pourchassaient sans le répit. Geneviève avait beau détourner le regard, fuir la bête information, toujours cette vision, d'un homme tourné vers elle, les yeux exorbités et le bras vers son cœur, comme pour en arracher ces instants de stupeur. Et le brouhaha s'élevait, plus persistant à chaque seconde :
-Oh ! Oui ! Je vois déjà cela aux gros titres ! s'exclama un troisième, "La douce Geneviève Ferras agressée par une horde de client" ! scandaient les uns.
-C'est le scoop du siècle ! hurlaient les autres.
Et tous batifolaient, en une espèce d'hystérie mensongère, celle qui lui faisait croire, à tord, qu'ils étaient là pour elle.
-Alors, insista encore une nouvelle, pourquoi vous ont-ils attaqué .
-Ils ne m'ont pas attaqués ils...
-Comptez-vous porter plainte, alerter la police ?
Non, il n'étaient pas là pour elle, bien sûr qu'ils n'étaient pas là pour elle ! Comment la vieille femme avait-elle dont pu croire, ne serait-ce qu'une seule seconde qu'un seul d'entre eux daignerait l'écouter ? Naïve Geneviève, elle qui approchait les soixante-dix ans sur cette terre, elle les connaissait bien ! Et pourtant, voilà qu'elle s'y accrochait, à cette unique espoir, celui d'exister ! Toute sa vie elle s'était battue, elle s'était accroché à ce désir fantôme, et s'entêtait en vain à braver leur raison. Une marche près l'autre, comme défilent les jours, elle s'était hissée sur le chemin des dieux pour lâchement retomber dans l'antre miséreux. Juste une supérette, dans le coin de la rue, un taudis, rien de plus, mais ils étaient heureux... Et un matin, dans bien cent ans peut être, elle leur lèguerait de ses vides fenêtres. Mais pour l'instant, la bonne dame était là, bien présente et plus vive que le froid, elle se battrait encore, et se battrait toujours, jusqu'en son dernier souffle, son éternel retour. Et ils allaient l'entendre ! Ces jeunes prétentieux qui prenaient sa présence sans véritables vœux. Alors elle se leva, encore plus haut sur ses deux jambes fatiguées, prit devant elle la perche qu'ils avaient délaissée, et narra la folie qui ce jour l'accablait.

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La tâche blanche
HorrorLe mal... Il réside en chacun de nous, dans nos cœurs et dans nos gestes. Il nous possède, nous contrôle complètement et ronge, plus vicieux que la nuit, nos tendres sentiments. Prenez garde, vous qui croyez au bien, qui fausser dans l'espoir d'un s...