Chapitre 2

203K 5.4K 419
                                        

- Fais attention à toi Sam. Écris-moi dès que tu es arrivée.

   Thomas plante son regard bleu dans le mien. C'est la première fois que je le sens triste et angoissé, lui qui est d'habitude si froid et distant, en apparence. Cette constatation me serre la gorge et je dois faire un effort pour retenir mes larmes.

- Tu... Tu vas me manquer, me dit-il cette fois d'une voix tremblante.

Ne pleure pas. Ne pleure pas. Ne pleure pas.

Je déteste pleurer devant les gens. Et ce matin l'aéroport de Roissy est particulièrement bondé.

"Dernier appel pour le vol 757 à destination de..."

- Bon... Je crois qu'il est temps que j'y aille, dis-je en détournant les yeux.

  Thomas se rapproche un peu de moi, il pose une main dans mon dos et me tire vers lui. De son autre main, il me caresse la joue et il penche la tête vers la mienne. Nous échangeons un long baiser "d'adieu" qui me semble pourtant trop court. J'ignore ce que notre relation va devenir pendant ces six mois loin l'un de l'autre. J'imagine qu'il n'y a pas meilleur test que celui-ci. J'espère secrètement que cette expérience va agir sur lui comme un électrochoc et qu'il va se décider à emménager avec moi.

- Allez, file maintenant, tu vas rater ton vol, me dit-il en désignant de la tête la porte d'embarquement. Je vais retourner voir ta mère avant de prendre la route pour rentrer. Je crois qu'elle n'a pas supporté les adieux.

- D'accord, dis-lui que je l'aime très fort. Et... Je t'aime toi aussi.

- Je t'aime.

     Quelques minutes plus tard, pendant qu'on vérifie encore mon passeport, je me retourne pour regarder Thomas resté de l'autre côté du plexiglass de sécurité.

Mes yeux et mon cerveau photographient l'image de mon petit copain pour les emporter avec eux. Ses courts cheveux bruns, ses yeux clairs, sa fine silhouette, son expression perdue et son regard chargé de sentiments confus ... Pendant un instant, je me dis qu'il a l'air d'un enfant comme ça.

  L'agent me dit que je suis en ordre et me souhaite bon voyage. Je lève la main vers thomas qui imite mon geste et je pars.

À mesure que j'avance dans le "tunnel" qui mène à l'avion, des larmes roulent sur mes joues...

- Poulet ou poisson?

    Une hôtesse se tient au-dessus de moi avec deux petites barquettes en aluminium dans chaque main. Elle a un sourcil en l'air pour souligner sa question.

- Euh... Poulet, merci.

   Ainsi, quelque part au-dessus de l'Atlantique, je prends mon premier repas en apesanteur. Je n'avais jamais pris l'avion avant aujourd'hui. Je n'en ai jamais eu l'occasion. Mon père est mort il y a six ans dans un accident de la route. Il était chauffeur routier. Quant à ma mère, disons que ses phobies sociales et ses tocs se sont décuplés depuis ce drame. Elle ne travaille plus depuis et ne sort de chez elle qu'en cas de besoin. Elle habite toujours à Enghien les bains, en région parisienne et j'ai pu me prendre un petit deux pièces dans le 17eme.

   En gros, nous n'avons jamais roulé sur l'or et j'ai eu un job en plus de l'école dès l'âge de seize ans. Ce voyage relève du miracle.

    Après avoir regardé je ne sais combien de clips vidéo sur le petit écran collé au siège d'en face, je mets le film "vous avez un message" en pause au moment où Meg Ryan propose un rendez-vous à Tom Hanks. J'ai la vessie qui va exploser si je ne vais pas aux toilettes tout de suite.

    Les chiottes sont vraiment dégueulasses dans les avions, c'est tout ce que j'ai à dire.

Je me lave les mains du mieux que je peux à cause du ridicule débit d'eau qui sort du robinet. J'attache mes longs cheveux bruns en un maladroit chignon et je pince mes joues pour leur donner un peu de couleurs, même si je sais au fond de moi que j'ai l'air pâle à cause de la lumière jaune de la petite cabine. Dans le miroir, je constate que mes yeux noisettes sont cernés et que mon crayon a dégouliné. Larmes et maquillage ne font pas bon ménage...

   Je m'observe un moment dans le miroir et je me demande si c'est bien moi qui suit dans un avion à destination de l'autre bout du monde... Des millions d'incertitudes me frappent en plus de mon reflet dans le miroir. Comment va se passer cette moitié d'année dans un endroit que je ne connais pas? Quelles expériences je vais vivre? Est-ce que ça va m'être bénéfique? Vais-je décrocher un stage? Mon couple va-t-il survivre à ça?

Au moment où les questions se bousculent dans ma tête, une secousse me fait basculer contre la petite porte frêle des toilettes.

PING..."Mesdames et messieurs, nous traversons une zone de turbulences, veuillez regagner vos sièges et attacher vos ceintures. Ladies and gentlemen..."

En regagnant mon siège, tout ce que j'espère, c'est que ces turbulences ne reflètent pas les réponses à mes questions...

Miss GreyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant