5 - Convallotoxin bouquet

206 24 18
                                    

           Thio hoche nonchalamment la tête à tout ce que dit la présentatrice du journal télévisé.

Vous vous rappelez de Thio, n'est-ce pas ? Un très grand brun au teint basané, taillé comme une armoire à glace. Gentil comme un petit chiot docile, aussi affectueux, fidèle et prévenant qu'un labrador. Mais lorsqu'il s'énerve, il sort les crocs et mord quiconque vient le déranger.

Ce n'est pas une façon de parler. Je l'ai déjà vu mordre quelqu'un.

Il maîtrise la LSF presque aussi bien que moi, puisque nous étions déjà meilleurs amis avant mon accident. Il a suivi les cours avec moi.

« Bla, bla, bla, mais va te faire fourrer comme une dinde de Noël, premier ministre de mon bip ! Ce pays part en cacahouète, Sira, c'est n'importe quoi...

Il accompagne tous ses mots de signes, et je souris.

« Et tu ferais quoi si tu étais premier ministre ? », signe-je, déjà prêt à entendre des insanités.

Thio pose sa main sur son torse bombé, sur son t-shirt blanc.

— Premièrement..., commence-t-il en montant son pouce levé. J'interdirais formellement la consommation de coriandre. Masya m'a forcé à manger du gözleme qu'elle a ramené de chez ses parents et c'était bourré de coriandre !

Il galère un peu à signer « coriandre », en décrivant la forme des feuilles et de la tige, et je ris aux éclats.

« Tu t'es enfin mis avec Masya ? », demandent mes mains.

Masya a choisi elle-même le signe de son prénom, quand je l'ai rencontrée. Car épeler le nom des gens incessamment, c'est compliqué pour parler vite. Certaines personnes choisissent leur propre signe. Moi... Je n'ai pas encore trouvé le mien. Je ne sais pas ce qui me qualifie assez pour être mon nom.

« Bouclette », l'index tournant en descendant le long de la joue, est le signe qu'elle a choisi.

— Argh..., se plaint-il. Tu vas continuer longtemps avec ça ?... On ne sort pas ensemble.

Il insiste sur la négation, il la signe deux fois.

— N'insulte pas ton futur premier ministre, Sugar. Tu ne voudrais pas te retrouver derrière les barreaux.

Ses deux poignets collés l'un sur l'autre, se débattant contre des menottes imaginaires. « Prison ».

— Dictateur..., chuchote-je en collant puis décollant tour à tour mes index de ma bouche.

Il s'éclaircit la voix et me balaye de la main comme s'il chassait un moustique.

— Deuxièmement..., ajoute-t-il un « deux ». Je ferais une réforme du système de la fac.

Mon index part de ma tempe vers l'extérieur. « Pourquoi ? »

— Parce que ça me saoule ! Les gens intelligents comme moi devraient être diplômés d'office, tu ne crois pas ? Je devrais être à La Réunion en train de me la couler douce sous des cocotiers, et au lieu de ça, je me retrouve coincé dans une affreuse Cité U, enseveli sous les cours !

— Et en trois ?, questionne-je à voix haute.

— Troisièmement..., soupire-t-il.

Thio réfléchit un moment, parce qu'il a parfois du mal à mettre ses idées en place.

— Troisièmement, je te créerais un ministère rien qu'à toi !, se réjouit-il en passant son bras autour de mes épaules. Et on se ferait des soirées ministres très sérieuses où je te défoncerais à Mario Kart !

CyanideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant