1 - Arsenic down my veins

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TW : suicide, tentative de suicide

            Le quatre avril de l'année de mes vingt ans, j'ai marché pendant une heure jusqu'à la Seine, dans le but dans me jeter dedans.

Je ne l'ai pas fait. Évidemment. Sinon je ne serais plus là. Mais je dois dire que cette scène, aussi acide qu'amère quand j'y repense, est le fruit bien mûr de dizaines et de dizaines de mauvaises décisions.

Même lui. Même lui, je l'ai blessé. Et pourtant, ce sont ses bras qui m'ont enlacé, avant que mon corps ne tombe dans l'eau glacée.

Il est un peu mon antidote. Et moi je suis empoisonné.

     « Dis, Sira... Tu sais que je t'aime ?...

Je souris à mon ami Amande et passe ma main sur mon cœur avant de la lui tendre. « Je t'aime ».

— Non, non..., me corrige-t-il.

Il forme un bec de canard avec ses deux mains, ses doigts serrés et collés à son pouce, et les fait se toucher en tournant.

— Je t'aime., répète-t-il.

Je secoue la tête, et refais son dernier signe en lui expliquant :

— Ça, c'est amour.

Je plie mes poings et les mets l'un dans l'autre.

— Ça, c'est ami.

Amande éclate de rire.

— C'est bien ce que je dis ! Je t'aime !

Il signe alors les mots « je t'aime » et « amour », me laissant confus.

— Que je t'explique, Sira... C'est comme ça que les gens normaux demandent aux autres de sortir avec eux.

Je ne suis pas sûr de bien comprendre. Alors je tapote sur mon appareil, mais Amande m'arrête en souriant.

— Tu as très bien compris, mon pote. Je suis amoureux de toi., répète-t-il en s'accompagnant du signe « amour ».

Lentement, pour qu'il comprenne bien, je lève mon index, mon pouce plié collé sur le côté. G. Puis je ferme mon poing et mets mon pouce à l'horizontale. A. Et enfin, je sors mon auriculaire et mon pouce. Y.

Il lit mes signes avec un air concentré, et s'illumine :

— C'est ça ! Gay ! Tu le sais, non, que je suis gay ? Et toi aussi, n'est-ce pas ? Hé bien, je suis gay-ment amoureux de toi !

Je fronce les sourcils, dans l'incompréhension.

Il fait deux signes K et les frotte sous son menton. « Déclaration ».

— C'est une déclaration, Sira ! Je veux sortir avec toi, est-ce que tu veux bien sortir avec moi ?

— M-... Moi ?...

Il me montre du doigt en hochant la tête, un grand sourire déchirant son visage clair.

Alors je colle le bout de mon pouce et de mon index, et fais basculer mon poignet à l'horizontale. « Oui », signe-je, comme si je n'étais pas en train de sentir mon cœur bouillir dans ma poitrine.

— Waw !!

De sa main ouverte aux doigts serrés, il se caresse le buste en un petit cercle. « Content ».

— Je suis heureux ! C'est formidable !, s'écrie-t-il.

Je souris, les yeux fermés. C'est vrai que ça fait un moment que j'aime Amande, mais je ne pensais pas qu'il se déclarerait à moi... Il dit souvent qu'il aime les garçons grands, musclés et extravertis... Pas les... Sourds...

— Je m'améliore, en Langue des Signes, n'est-ce pas ? Tu es bouche bée, hein ?, se vante-t-il.

J'agite mes mains ouvertes avec mes doigts espacés. « Bravo ».

— Hé hé, merci, Sira ! C'est grâce à toi ! Tu es un bon professeur !

— Merci., souris-je.

Je n'aime pas ma voix.

Je suis malentendant. Les gens n'ont pas envie d'être mes amis quand ils apprennent que c'est compliqué pour moi de les comprendre s'ils n'utilisent pas la Langue des Signes, mais Amande, lui, il m'a demandé comment dire « ami » dès le jour où nous nous sommes rencontrés.

Et puis, Amande est ce garçon qui est ouvertement gay à la fac. Il n'est pas particulièrement stéréotypé, et son homosexualité n'est pas visible ou quoi que ce soit, mais il est venu le premier jour en portant fièrement en cape le drapeau LGBTQ+. J'ai trouvé ça marrant. Les gens chuchotaient dans son dos, mais finalement, ils l'ont plutôt bien accueilli.

Amande est comme ça. Un leader amical adulé par tous, qui défile au ralenti avec son arc-en-ciel autour des épaules. Et toujours un gobelet de café à la main.
C'est comme ça que je le vois, du moins.

— Je ne suis jamais sorti avec un malentendant... Je suis sûr que c'est fantastique. Surtout si le malentendant en question est Sira Balamin.

Flatté, je ris après avoir fini de suivre les mouvements de ses lèvres.

Ç'a été dur d'apprendre à lire sur les lèvres, après l'accident qui m'a rendu sourd. Enfin, je ne suis pas complètement sourd, et pas de naissance, alors j'ai la chance d'entendre quand même quelques bribes de phrases qui me permettent de saisir le sens global des phrases.

— Tu as-... Tu as eu-...

— Prends ton temps, Sira.

Il forme une pierre avec sa main, le pouce posé sur les autres doigts. S. Puis il lève le petit-doigt. I. Il croise son index et son majeur. R. Avant de fermer son poing et de laisser paraître son pouce à l'horizontale. A. « Sira ». Mon prénom.

Amande sait que c'est dur pour moi de parler. Je ne reconnais plus ma voix. Entre mon accident et maintenant, j'ai mué, mais j'ai aussi perdu la perception de ma propre voix. Alors quand je parle, je n'entends pas vraiment ce que je dis, et je sais également que ma voix sonne bizarrement. Ce sont les gens autour de moi qui me l'ont fait comprendre. Elle semble mal articulée, et nasale. Ou quelque chose comme ça.

— Tu as eu-... Beaucoup de copains-... ?

— Avant toi ?

Je balance ma tête d'avant en arrière pour acquiescer.

— Quelques-uns, en effet... Je les ai aimés, bien sûr, mais c'est du passé, maintenant.

Je hoche la tête une seconde fois, et il me taquine :

— Tu serais jaloux~ ? »

Puis nous rions ensemble.

Voilà. C'est aussi simplement qu'a commencé ma complexe relation amoureuse avec Amande De Prusse.

Enfin... « Complexe »... Je ne sais pas si elle était vraiment complexe. Avec le recul, je me dis que j'ai été un idiot. Amande aussi a sa part de responsabilité pour ce qui s'est passé, mais je ne le blâmerai pas. Je suis là pour vous apprendre à ne pas faire les mêmes erreurs que moi, pas pour me plaindre et me morfondre sur les conneries aveugles que j'ai commises.

Je dirais plutôt que mon histoire avec Amande était... Douloureuse. Mais j'ai été heureux.

Il paraît que c'est le principal, non ? Avoir été heureux une fois, ça peut faire oublier qu'on a été malheureux cent fois, n'est-ce pas ?

N'est-ce pas ?...

CyanideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant