48 - Tubocurarine furrow near my heart

106 10 6
                                    

Roulé en boule sur mon lit, je meurtris mes oreilles du Clair de Lune de Debussy. Épris d'ironie, mon affectueux portable me conseille de « baisser le volume » afin de « protéger mon ouïe ». Comme s'il restait quelque chose à protéger. Elle est aussi morte que Cerbère.

Et puisqu'on parle du meurtre de Cerbère, Amande dort chez Jed depuis deux jours. Il a raison, c'est bien comme ça que je vais arrêter de le jalouser. Aller dormir chez son ex c'est tellement sensé, surtout après avoir brûlé le meilleur ami de notre fiancé.

Mais Amande et la logique ne se sont jamais entendus, comme moi et de quelconques paroles, alors je profite simplement du mouvement de la pluie contre mes volets cassés et de la musique dans mes appareils.

Et là, le Loup apparaît.

Amande (Evžen) De Prusse, droit comme un I magistral au pas de ma porte.

Il s'approche de moi. Il s'assoit sur le lit, face à moi, et j'arrête ma musique sans qu'il le sache. En tailleur, bien sagement, il me regarde et je plisse les yeux pour lui montrer que sa présence n'est pas exactement désirée. Et il déboutonne sa chemise, devant moi.

« Si tu crois que j'ai envie de coucher avec toi, tu te trompes complètement, De Prusse. Là tout de suite, l'idée-même de toucher ton corps me donne des nausées.

Il n'écoute pas, et retire son haut pour se retrouver en débardeur, blanc.

Puis il me présente ses avant-bras, tout striés de ses cicatrices blanches, avec deux petits pansements en cachant des plus récentes à la cime de ses poignets.

— J'ai peur., dit-il.

J'ai bien envie de lui rire au nez, mais je ne fais rien de tel. Il ne mérite même pas de me voir sourire.

— Si tu acceptes de m'écouter, Sira, j'ai décidé de me mettre à nu devant toi. Au sens figuré du terme. Je veux tout, mais absolument tout t'expliquer. Et libre à toi de me détester après.

— Je suis déjà libre de le faire maintenant.

— Oui, tu l'es.

Il ferme les yeux, et inspire un grand coup. Son torse se lève, et quand il se baisse il répète :

— J'ai peur. Si je suis si souvent un connard c'est parce que j'ai peur. J'ai peur de te perdre, Sira. Et dès que j'ai l'impression que cela pourrait être le cas, dès qu'une situation me fait penser à ton départ, je ne suis plus capable de réfléchir correctement et je fais tout ce qui me semble pouvoir te faire rester sur le moment. Quand je t'imagine partir, j'ai juste-... J'ai envie de mourir, Sira. Je ne veux pas vivre sans toi. Et je suis terrorisé. Quand tu me parles de Jed, et que je me dis que cette facette de moi pourrait t'avoir dégoûté, quand tu prends le numéro du garçon de ta fac, et que je me demande s'il te plaît, quand tu sors Cerbère, et que je me mets en tête que Thio t'aide plus que moi... Je n'agis plus rationnellement. Et je sais combien-... Je peux être un connard.  

— Tant mieux si tu le sais.

Il lève la tête vers le plafond, et tous ses cheveux blonds chutent en arrière, comme les flots insoumis d'une cascade d'or, la couronne étincelante d'un ange tombé dans les Enfers.

— Je suis désolé, pour Cerbère. Et même si aucun objet en ma possession ne semble être de valeur égale à la sienne, je pense que je comprends pourquoi ça t'a fait tant de mal. Je n'ai pas réfléchi sur le moment, je me suis emporté, et je n'avais pas réalisé à quel point il comptait pour toi, ni que ma rancoeur m'aveuglait trop pour que je ne prenne une décision sensée. J'aimerais pouvoir t'en offrir un autre, mais je pense qu'aucune peluche ne saurait remplacer la valeur émotionnelle qu'avait celle-ci, je me trompe ?

CyanideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant