46 - Lying in bed with Curare plegia

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« La lune est belle, ce soir.

Je m'assois dans les bras d'Amande, sous un bruit de crissement de tiges et de feuilles alors que j'écrase les futurs tournesols sous mon poids.

— Oui., je dis. Elle est belle.

Ce champ, dans l'Essonne, est celui à côté de la maison de la grand-mère de Jed, là où il fait parfois d'énormes soirées. Et Amande a pu marchander avec lui pour qu'il lui prête les clés pour ce week-end, afin qu'on puisse prendre du temps pour nous deux.

C'est agréable. On a fait du vélo, un peu, et on a traîné dans des parcs. Rien de bien extravagant, si vous êtes déjà allés en Essonne vous savez que ça ne regorge pas d'attractions. Mais on était tous les deux. Et on a beaucoup parlé. De nous, de lui, de moi, et de comment faire pour que ça marche entre nous, malgré tous les obstacles. On a profité de ces instants loin de tout notre monde pour se donner les moyens de se redécouvrir, et réapprendre à s'aimer.
C'est facile, mais à la fois compliqué.

— Parfois je pense à ma mort., inspire Amande. Pas ma mort en temps que telle, mais plutôt mon enterrement.

Je serre ses doigts dans les miens, sous la voûte obscure du ciel éteint, et je ferme les yeux pour ne plus me sentir tourner.

— Je me demande les réactions de mes proches. S'ils viendraient. S'ils se sentiraient coupables. S'ils pleureraient. Qui ferait un discours et ce qu'ils diraient. Et je m'interroge aussi sur les autres. Ceux dont je n'étais pas proche. Comment ils réagiraient.

— Mais tout ça, tu ne le sauras jamais.

— Non, bien sûr que non. Et c'est parce que je ne le saurai jamais que c'est fascinant. Personne ne sait comment ils réagiraient face à la mort d'un de leur proche, alors imaginer les réactions de personnes qui ne savent elles-mêmes pas comment elles réagiraient semble arrogant...

— Moi je sais comment je réagirais, si tu mourrais.

— Alors comment ?

— Je pleurerais. Énormément. Je pense que je n'y croirais pas au début, puis je pleurerais, et ensuite je serais en colère, tout en pleurant. Mais je ne sais pas si j'irais à ton enterrement. Je ne sais pas si j'y arriverais.

— De mon humble avis, je pense qu'il est impossible que tu puisses prévoir ta réaction à cent pour-cents. Cela dit, ça me semble représentatif de tes comportements habituels, alors peut-être réagirais-tu comme cela. Je ne le saurai jamais, hélas.

Je pousse un long soupir.
Amande aime vraiment la mort, et toutes ces choses sombres et mystiques dont il peut s'obséder de la sordidité.
Moi, je n'aime pas trop ça.
Quand je suis avec lui, je préfère ne pas penser à ce qui trotte sans arrêt dans ma tête. Ce genre de pensées.

— J'espère que tu iras.

— Où donc ?

— À mon enterrement.

— Oh... Pourquoi ?...

— Parce que c'est pour toi que je vis, alors il est évident que ta présence est la seule qui compte.

Je rigole :

— Tu dis toujours des insanités...

Tout sourire, les yeux à peine ouverts, Amande pose son index et majeur sous mon menton, et son pouce frôle ma lèvre.

— Pourquoi seraient-elles insanités ? Les paroles que je te dis ne sont jamais que ma vérité, petit prince.

— Je crois que tu essayes de me rendre dépendant à toi.

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