Du bout de ma fourchette, je trempe un morceau de poisson pané dans la sauce pomme-frites, et en s'agitant sur son tabouret, Thio sort trois sachets de ketchup Amora d'on ne sait où. Il les ouvre, en explosant leur plastique, et les vide sur les pauvres haricots verts qui gisent dans son assiette. Désormais qualifiables de haricots rouges, il en fourre une cuillerée dans sa bouche et s'exclame :
« Vous ne savez pas che que ma mère m'a dit !
Il avale sa bouchée peu ragoûtante, et signe sa phrase, avant que Masya ne le regarde d'un air épuisé :
— Non, mais je suppose que tu vas nous le dire...
— Exact !
Il s'empiffre à nouveau de ses haricots verts-rouges, tout en se dandinant à m'en donner le tournis, et raconte :
— Elle m'a dit que Sira, quand on était petits, était un jour venu à la maison pour demander à ma mère de lui donner des kourabiedes ! Mais c'était l'été, alors ma mère n'en avait pas, et du coup Sira a pleuré ! Du coup ma mère en a fait, juste pour lui, et elle n'a pas voulu m'en donner, elle disait que c'était juste pour Sira ! Du coup j'ai pleuré aussi. Mais moi je n'ai pas eu de kourabiedes !
J'avoue que suivre l'alphabet de « kourabiedes » en LSF s'avère être un challenge visuel, même pour moi.
— C'était-... L'année où j'ai passé Noël avec ta famille ?
Je place ma main ouverte sous mon menton et serre le poing en le baissant pour mimer une barbe. « Noël ».
— Correct ! Pour toi, Vounó, les kourabiedes c'est genre des pâtisseries grecques délicieuses qu'on mange pour Noël. Et comme Sugar était venu chez moi à Noël, il avait eu l'immensissime honneur de goûter aux kourabiedes de ma daronne. Donc bien sûr, il a succombé. Mais c'est une évidence. Sa cuisine est la meilleure de toute l'Europe, c'est certifié par votre humble serviteur Thio Nitrimes.
— Pourquoi Sira était chez toi pour Noël ?
Masya a beaucoup plus de mal à signer que nous. C'est normal, on ne se connaît que depuis un ou deux ans. Et sa seule source d'apprentissage de la langue des signes, c'est Thio et moi.
Mais elle se débrouille bien. Et elle y met du sien. Je ne sais pas si c'est sa curiosité naturelle ou une réelle affection à mon égard, mais elle est très studieuse et persévère pour s'améliorer. Tsara, je pense.
(« C'est bien, je pense. »)— Oh, Sugar était un sacré turbulent avant, tu sais ? On ne dirait pas comme ça, mais il niquait des mamans ! Si si, je te jure ! J'étais là !
Masya secoue la tête, n'y croyant pas, et ses boucles déteintes mirifiques s'agitent de tous les côtés de sa tête. Les cheveux de Masya, ils sont vraiment magnifiques. Ses cheveux presque crépus d'un blond-roux artificiel, ses lèvres rondes et toujours peintes d'une touche de couleur, et ses créoles en or pendues à ses oreilles chocolat. Bien qu'elle ne soit pas assez crédule pour gober les salades de Thio, Masya est vraiment une femme sublime. Et je pense, si mon avis importe, qu'ils feraient un beau couple.
La nonchalante mais chaleureuse femme fatale, et le sportif au grand cœur. C'est digne d'un film d'amour cliché trois étoiles, mais ça se vend bien.
— Ne me crois pas si ça te chante, mais c'est un fait ! Avéré ! ...Ça veut dire ça « avéré » ?...
Je lui confirme d'un hochement de tête.
— Cool. Hé bah Sira s'était pris la tête avec son père. Faut dire que son père, ce n'est pas le couteau le plus aiguisé du tiroir.
— Ça, ça veut dire « stupide », Thio., le corrige-je.
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Cyanide
Подростковая литератураLes médias dépeignent les relations toxiques comme l'histoire d'un bel amant violent et manipulateur abusant de son partenaire sans remord aucun. Sira aime Amande. Et bon sang, ce qu'Amande aime Sira. Pourtant, un an tout pile après le début de sa m...