Ma main bute contre un verre avant d'atteindre la boîte de Léo et Renard. Je me frotte les yeux, un mal de crâne immense.
Roulé en boule contre lui-même, Amande dort. Ses cils blonds sont clos, ses bras croisés, et il a cette aura mystique des statues recouvertes de lierre et de mousse dans les forêts. Une aura mystérieuse mais grandiose, une aura de désespoir et de paix à la fois. C'est assez difficile à décrire.
Je sais que c'est mal, mais je ne peux m'empêcher de jeter un coup d'œil à ses avant-bras. Toujours saufs. Je soupire de soulagement, mais bon. Quand bien même se serait-il blessé pendant mon sommeil, qu'aurais-je bien pu y faire ?
Puisqu'il dort, je repose Léo et Renard.
Léo, c'est celui de gauche, et Renard, celui de droite. C'est Thio qui les a nommé comme ça. Il disait que dire « mes appareils », ça faisait trop formel. Que bien sûr, ce n'était pas un mot tabou et que je ne devais pas en avoir honte, mais qu'il était plus festif de leur donner des noms. J'étais un peu submergé par toutes les informations sur mon nouveau handicap à l'époque, alors j'ai accepté sans trop y accorder d'importance. Mais c'est resté.
Je frôle un bout de papier. Il est écrit « Sira » dessus. C'est l'écriture d'Amande. Alors je prends l'enveloppe.
Un sceau en cire bordeaux est déposé au dos, une rose toute éclose.
En pattes de mouche, il est écrit « tu peux l'ouvrir ».
Je l'ouvre, en prenant bien garde de ne pas endommager le joli cachet, et sors une demi-dizaine de feuilles de beau papier, granuleux et fleuri. Parfumé d'eau de Cologne, doux au toucher, et recouvert de mots aux lettres très uniformes, aux grandes courbes prétentieuses, des cursives italiques et serrées.
« Le premier septembre au matin, », je lis.
Ce matin, donc.
« Adoré et bien-aimé petit prince,
Je me trouve peiné de toutes ces feuilles qui jaunissent, du mercure qui baisse et des trottoirs sombres déjà pleins de flaques. On dit que Septembre est un mois maussade, un mois de rentrée, un mois d'automne confiné sans pouvoir profiter du regretté ciel d'été. Je ne suis pas d'accord. J'aime ces pluies et j'aime Septembre, et je célèbrerais le mois qui t'est dédié jusqu'à mon souffle dernier.
Les champs de blé, les vignes gorgées, les calmes nuits tempérées, — j'aime Septembre et je t'aime, toi. Plus les saisons passent et plus notre monde change, meilleure est ma certitude que je t'aimerais sous tous les temps, je t'aimais, je t'aime et je t'aimerai.
J'admets volontiers que la nuit dernière n'a pas été aisée : mais ton secours m'a ranimé. Je m'excuse des difficultés affrontées, je m'excuse de ce que j'eus pu te faire traverser. J'espère avoir pu trouver ton pardon, bien que je doute quelquefois le mériter.
Mon esprit est ténèbres, Sira. À l'instant-même où je grave ces mots, des lettres qui resteront sur ce papier pour notre perpétuité, la tentation est grande. La tentation de succomber à mes abysses. Mais lorsque je te vois, là, reposant dans mon lit, illuminant de ton humble éclat ma sombre vie... Je me surprends à penser que je dois devenir une meilleure personne. Pour toi. Pour t'offrir ce que tu mérites et bien plus encore. Je voudrais te couvrir d'or, Sira, je voudrais voir dans tes yeux de diamant tout l'éclat de la joie humaine, je voudrais t'emmener voir les plus prestigieux trésors de notre monde et te dire qu'ils ne valent pas l'ombre de toi.
Oh, mon Sira... Tu n'imagines pas à quel point je t'aime. Moi qui aime mettre des mots sur mes pensées, les coucher sur le papier, il m'est tout bonnement impossible d'exprimer en de simples mots combien je t'aime. « Aimer », c'est trop faible. « Adorer », encore trop peu. « Beaucoup aimer », « énormément aimer », « aimer à la folie », tout ça ne sera jamais assez pour décrire la dysrythmie de mon cœur, les aimants de tes lèvres ou la liturgie de tes paroles. Aucun mot des quelques centaines de milliers de notre langue ne peut quantifier ce que je ressens, alors y'a-t-il encore avantage à les utiliser ?
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Cyanide
Teen FictionLes médias dépeignent les relations toxiques comme l'histoire d'un bel amant violent et manipulateur abusant de son partenaire sans remord aucun. Sira aime Amande. Et bon sang, ce qu'Amande aime Sira. Pourtant, un an tout pile après le début de sa m...