57 - Asbestos clothes for my big day

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TW : acte de violence envers les handicapés très puissant, potentiellement dérangeant / TCA / mentions de suicide

Aujourd'hui est un grand jour.

Probablement pas plus grand que les autres, techniquement parlant, mais un jour de grande importance.

Aujourd'hui, j'ai décidé de faire des trucs.

Je sors de mon appartement pour la première fois depuis ce qui semble être une éternité. Je tremble comme une feuille, et je tiens à peine debout, mais par rapport à la faim dans le monde, ça ne casse pas trois pattes à un canard. J'ai réussi à me convaincre de me balader, alors je vais le faire.

Je marche plutôt longtemps, à vrai dire. Peut-être trois stations de métro. Peut-être un peu plus. Je me rends à pied vers mon dojo. Ou peut-être le nom « ancien dojo » est-il plus approprié.

Je prends mon double des clés, et en ouvre la porte vitrée. J'enfile mon kimono, et noue ma ceinture. Les néons ont du mal à s'allumer, je salue avant de monter sur le tatami. Je tire de toute ma force un vieux sac de frappe usé jusqu'au centre du dojo.

Et là, je tente mes anciens coups. Je frappe et je me fais mal, je donne des coups et je crie, je me défoule contre ce pauvre sac de coton et ça me fait un bien fou.

J'ai perdu beaucoup de ma souplesse. Et de ma force. De mon endurance, aussi. C'est frustrant de voir que mon corps n'est plus capable de ce qu'il faisait si aisément avant. À l'époque où je faisais des compétitions. Et où Thio m'encourageait.

Non, ne pense pas à lui.
Concentre-toi sur le sac.

Au bout d'un moment, les plantes de mes pieds sont râpées par le sol du tatami. Les phalanges de mes doigts sont pleines d'égratignures. Et mes genoux demandent merci. Je continue tout de même. Je veux voir si je suis capable d'atteindre la même amplitude que j'avais dans le passé, avec mes pieds.

J'échoue misérablement. Je mets ça sur le dos de mon manque d'échauffement. Et quand je suis trop fatigué pour respirer, je range le sac et retourne me changer.

Hé bien. C'était libérateur.

Même si ce n'était plus comme avant.

Alors je sors de nouveau. Je vais voir un film pour enfants au cinéma, même si je suis terrifié qu'on me prenne pour un pédocriminel. C'est une rediffusion de Vice-Versa, et quand Bing Bong dit sa fameuse réplique dévastatrice, je pleure comme une madeleine.

« Emmène-la sur la Lune pour moi, d'accord ? »

Oui, Masya. Emmène-le sur la Lune pour moi.

C'est un peu gênant de sortir de la salle d'un film Pixar couvert de larmes, bousculé par des peuplées de gamins joyeux pressés vers la porte. Mais je suppose qu'au moins, j'ai ressenti quelque chose. Et c'est déjà pas mal.

Après cette leçon d'humilité, je marche encore quelques stations pour aller vers le cinquième, trouver ma boulangerie préférée. Celle qui vend les meilleures tartes aux pommes. Et même si je la vomirai très certainement ce soir, je déguste ma pâtisserie sur un banc, avec une arabesque de Debussy dans les oreilles.

C'est dommage que les sucreries soient si mauvaises pour mon corps. Parce qu'elles sont vraiment les saveurs que je préfère.

Je me lève une énième fois, courage Sira, et je m'assois au bord d'un des quais de la Seine, sur un large banc en béton, bien l'un des seuls que la municipalité n'ait pas séparé en deux pour nuire aux sans-abris.

Je sors mes fusains, et mon vieux et vaillant skecthbook.
Je dessine ce que je vois. L'eau miroitante du fleuve. Le gris du ciel. Les petites herbes au bord. Les pétales écrasés sur les pavés. Le pont au loin.

CyanideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant