45 - Injecting Potassium chloride by myself

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                  « Il est l'heure. Il devrait bientôt sortir., signe Masya.

Je hoche la tête, les mains entre mes cuisses, et mes jambes balançant dans le vide.
Il est certes rare que Thio se pointe véritablement à ses cours — qui sont sa passion — mais quand il le fait, Masya et moi l'encourageons en venant le chercher après. Ça lui fait plaisir, et ça l'incite à y aller plus souvent.
Ce dont il a bien besoin.

Non, j'exagère... Thio n'en a pas l'air, principalement parce qu'il est très naïf, mais les STAPS c'est son truc. Malgré l'aspect scientifique de la matière. Il n'est pas du tout littéraire, et pas trop matheux, mais il comprend bien les sciences quand il s'abaisse à écouter. Il avait certes des notes catastrophiques au collège et pendant la première moitié du lycée, mais quand il a renoncé de force à son rêve d'être sportif et s'est tourné vers le coaching, il s'est mis à bosser.
Il réussit bien.
Je suis fier de lui.
Je ne lui dis probablement pas assez.

Et il n'a pas de père, alors...
Peut-être a-t-il besoin que je le lui dise un peu plus. C'est moi qui l'accompagnerai à sa remise des diplômes, avec Anthí et Claes.
Et je serai fier de lui.

— Ces derniers temps, il fait frais, non ?, dit Masya pour tuer le temps.

Je regarde le goudron du sol du campus, sur notre petit muret à nous, celui où l'on s'assoit toujours.

— Oui, un peu.

— Thio m'a dit que tu avais rompu avec Amande.

Je soupire.
À chaque fois que quelqu'un le dit, ça résonne dans ma tête et le signe de « rompre » me fracasse le crâne.
Ça fait si réel.
Et ça fait si mal.

— Il devait en être ravi, pour te le clamer haut et fort...

— Je ne te cache pas qu'il en était très heureux. Thio t'aime, et ne t'avoir rien que pour lui, enfin c'est ce qu'il pense, ça le fait se sentir spécial.

— C'est surtout qu'il déteste Amande.

— Amande ne lui a-t-il pas donné toutes les raisons de le détester ?

Je déglutis.
C'est vrai que toujours le traiter d'idiot devant lui n'était pas fin.
Et je détestais aussi quand il faisait ça.

— Je pense également que c'est une bonne chose. Parfois Amande n'était pas très correct avec toi.

— C'était juste une situation compliquée. Pour tous les deux.

— Si tu le dis, Sira... »

Et il apparaît.

À une dizaine de mètres de nous, son éternel café à la main, il sort de cours et marche sans être pressé.

Amande n'a pas changé.

Ça ne fait pas si longtemps, en même temps. Mais une partie de moi pensait... Qu'il serait dévasté. Qu'il aurait l'air pitoyable, avec de longues cernes et mal coiffé. Que son regard croiserait le mien et qu'il se mettrait à pleurer.
Parce qu'Amande a toujours été comme ça.
Dans tous ses états quand je viens à lui manquer.

Or, il est magnifique. Aujourd'hui, il est splendide. Et je ne sais pas si je suis objectif, ou bien si je le regrette tellement que mon esprit se l'enjolive, mais ses cheveux flottent un peu plus que d'habitude, et sa mâchoire est serrée et son collier souligne les tendons de son cou et sa chemise n'a aucun pli.

Mais il ne me voit pas. Amande traine juste avec ses stupides amis sans têtes, ceux dont je ne retiens jamais les noms, dans l'éventualité où je les aurais rencontrés. Il n'a pas l'air heureux, certes, mais il n'a pas l'air mal, et même si ce n'est pas ce que je lui souhaitais... Cela me blesse, un peu.
Qu'il ait l'air normal tandis que moi, je peine à me maintenir en vie.

CyanideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant