50 - Digitalis lanata blindness

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Quand je me réveille, c'est à cause des ongles d'Amande qui transpercent la chair de mon avant-bras.

Dans la pénombre, l'orange tangerine des lampadaires éclaire quelques paillettes sur son visage courbé.

Les éclats de ses larmes.

Je me rue sur Léo et Renard, et nous aveugle de l'interrupteur de la chambre.

« Amande !! Qu'est-ce qui ne va pas ?!

Il lâche mon bras, et tourne la tête pour se cacher de moi.

— J'ai fait un cauchemar., dit-il, accompagné d'un signe.

Je l'enlace. Parfois j'ai l'impression que ses pensées s'évertuent à ne lui laisser aucun répit.

— Tu veux en parler ?

— Tu m'enterrais vivant. Et à chaque pelletée de terre froide qui recouvrait mon corps, des voix chuchotaient mon insignifiance, et même pire, ma fongibilité. Jed, Petr, mes parents, et même toi. Puis des griffes de sorcières sont sorties du sol et m'ont attrapé par les épaules pour m'enfoncer dans le magma terrestre. Elles me perçaient la peau, et mes cicatrices se sont rouvertes. Elles m'ont noyé dans la lave, et ont continué à hurler les mêmes mots que les voix d'avant, mais ont décidé de me montrer des images de scènes misérables de ma vie pour m'achever.

— Oh, Amande...

— Je te souhaite de ne jamais connaître le sentiment de claustrophobie humide et froide que ce genre d'endroit peut apporter.

— Et toi aussi, Amande. Tu ne le vivras jamais. Tu verras. Je ne te ferai jamais ça.

— Ne t'en fais pas. Le Strašidlo s'en est déjà chargé.

— Le quoi ?

— Le Strašidlo. C'est comme ça que nous appelions le monsieur glauque qui traînait dans les égouts de Prague, quand j'étais petit. Ça veut dire quelque chose comme « croque-mitaine ».

Je n'ai aucune idée de comment interpréter cela.

— Tu sais... Quand je faisais beaucoup de cauchemars, il y a longtemps... Thio m'a dit quelque chose qui m'a beaucoup aidé. Il m'a dit que tous les personnages dans mes cauchemars étaient en réalité moi. Que c'était moi qui disais tout ce que les voix disaient. Et qu'avoir peur de soi est insensé.

— Thio ne sait pas qu'il est parfois inévitable d'avoir peur de soi. Il n'est pas comme moi.

J'avale ma salive.

Même à moi, il m'arrive d'avoir peur d'Amande. Comment pourrais-je lui en vouloir ?...

Alors je ne réponds juste rien. Et peut-être que c'est une erreur. Mais je câline son corps tremblant et couvert de sueur pendant de longues et douloureuses minutes. Il se calme, un peu.
Je me sens tellement impuissant.

— Hé, Sira...

— Oui ?

— Pourquoi Thio ne peut-il pas conduire ?

J'avale ma salive.
Masoso-tay.

Est-ce que je devrais répondre ?
Tout en sachant que Thio lui-même déteste ce sujet.

— Il n'a pas réussi à avoir son permis, pour plusieurs raisons de santé.

— C'est-à-dire ?

— Thio ne voit pas très bien. Il le nie mais c'est le cas. Et il a des difficultés motrices, notamment dans ses jambes.

— Il est possible de conduire quand on voit mal, tu sais. Tant qu'on a des lunettes.

— J'en suis conscient. Mais Thio refuse de reconnaître son problème. Il est dans un déni total, et ferme toute discussion sur porter d'éventuelles lentilles ou lunettes. Il dit qu'il voit très bien.

CyanideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant