Cyanide

26 - Tetanospamin champagne ring

Je caresse la petite oreille grise de Cerbère, et déverrouille lentement la porte. Les lumières du salon sont éteintes, seule la vieille horloge lumineuse brille, ornée de végétation à chacun des chiffres que son aiguille pointe. Amande m'a dit que son bruit était très irritant, un chaos incontrôlable qui l'empêche de se concentrer ou même d'avoir les idées claires. Alors j'en déduis qu'Amande n'est pas là.

Je pose l'Americano sur la table basse, à côté du magazine "regarde dans ton miroir... c'est ton concurrent" et d'un vase minimaliste. Puis ses doigts m'effleurent le genou.

« Amande...

Il est allongé dans le canapé, derrière moi, une main sur le front et l'autre contre mon pantalon. Ses yeux sont à peine ouverts, ses lèvres rouges, et son mascara a dessiné de longues courbes noires sur ses joues.

— Salut, Sira...

— Tu as bu, Amande ?...

— Non, non... Je ne sais plus, tu sais... Je me sens bien, tu sais... Le plafond tourne et (...)...

— Le plafond tourne ? Tu es complètement saoul, Amande...

— Je tiens bien l'alcool, Sira ! Je suis russe, ce n'est pas une petite bouteille de vodka qui me jugulera...

— Tu n'es pas russe. Tu es tchèque.

— C'est significativement la même chose ! Russe, tchèque, malgache, javanais... Ne sommes-nous pas que des humains, après tout ? Ou Tony Bulsar t'aurait-il fait adopter la "théorie des races" ?

Je ferme les yeux.

Amande est saoul, Sira. Il est juste saoul. Il ne pense pas réellement que Tony soit antisémite. Ce n'est que de l'alcool. Et puis, tu te doutais qu'il boirait, non ? Tu l'as laissé alors qu'il pleurait, ce n'est que la récolte de tes semailles.

— Je t'ai ramené ton café, Amande. Noir, sans sucre, juste comme tu l'aimes. Bois-le vite, et ensuite on ira dormir, d'accord ?

— Et on couchera ensemble aussi, hein ?

— Hein ?... Non, non... Il est tard, tu es bourré et tes parents sont là... Pas aujourd'hui.

— Passer une simple soirée avec Tony t'a tant dégoûté de moi ? Tu ne fais même pas semblant, Sira ?

— Amande, je-...

— Non !!, hurle-t-il. Non, arrête !! Je sais très bien ce que tu penses, et tu-...

Il s'arrête.

Il s'arrête, comme frappé par la foudre, et zieute la bouteille vide qui traîne sur le sol. Il se recroqueville contre lui-même, ses genoux contre son front et sa chemise tombant un peu sur son épaule.

Parfois je ne comprends rien d'Amande.

— Je-..., commence-t-il, le début d'une phrase qui ne vient pas.

Je ne sais pas s'il dit d'autres mots, je ne peux pas l'entendre, mais je ne veux pas risquer de l'énerver encore plus en lui demandant de signer. J'attendrai qu'il se calme, puis nous irons juste dormir.

— J'ai eu une nuit difficile. Je suppose que cela se voit à mon état.

Je hoche la tête. Oui. Ça se voit. Comme le nez au milieu de la figure.

— Tu es revenu, Sira. Tu es revenu parce que... Tu me préfères moi à Tony, pas vrai ?...

Lorsqu'il lève les yeux vers moi, sa voix tremble. Il n'est pas sûr de ce qu'il avance. Il bluffe, comme au poker. Il veut m'entendre dire que c'est vrai, mais lui-même n'en est pas convaincu.