Cyanide

47 - Shaking from Paraquat breathes

TW : mentions de sang, crues d'automutilation, de TS / TCA

Les bouteilles s'entrechoquent, la musique fait vibrer les verres, et je suis toujours là, assis en position fœtale sur le sol près de la table basse, à côté d'Apaté et de son bras autour de mes épaules et d'un cendrier rempli à ras bord.

Thio m'a félicité mille fois de m'être fiancé. Mais il n'avait pas l'air très heureux. Masya m'a fait une bise, même si je ne suis plus très à l'aise avec elle. Je préfère Thio. Thio, Cassius et Akée, les seules personnes dont j'apprécie la présence.

Les amis d'Amande, eux, ont eu des réactions plus hypocrites. De grands cris et embrassades, couverts de jalousie et de snobisme, leur monde traître où je ne comprends pas tout. Il est étrange qu'il aime ce monde. Mais bon. Amande est et restera toujours un mystère.

En parlant de lui, il est assis sur le canapé, les jambes croisées, et l'anneau que je lui ai acheté trône sur son doigt, contre son menton. Jed n'est pas bien loin, trop à l'aise dans son cardigan court, et sa main caresse le genou d'Amande de gauche à droite.

Amande ne dit rien.

Ça me donne des haut-le-coeur.

Toutes les images qu'Akée m'a montré surgissent dans mon esprit embrumé. Les bras ensanglantés. Leurs langues liées l'une à l'autre. Leurs corps nus et leurs cigarettes, entremêlés et si avides d'amour.
Amande et Jed.
Amande aimait Jed.
Amande aime Jed.

Amande n'est plus avec Jed uniquement parce que c'était trop douloureux.

Alors je regarde Jed. Jed et son sourire narquois. Jed et ses joues un peu creusées, comme un mannequin, Jed et ses poignets osseux, Jed et sa maigreur magnifique de torturé des abîmes.
Jed va tellement mieux avec Amande.
Et surtout, Jed est tellement plus beau que moi...

Amande fait une blague, et je ne l'entends pas.
Et Jed, lui, rigole.

Jed rigole et moi je n'ai pas entendu, alors je reste là, la bouche ouverte, comme un con sourd et grassouillet qui n'a rien à faire aux soirées hipster des étudiants bien friqués de la fac.

Je me lève. Je ne sais pas si Amande pose ses yeux sur moi, mais je me lève, si brusquement que le bras d'Apaté tombe au sol, je me presse de gagner une chambre en priant pour qu'elle soit vide, et m'enferme à double tour derrière les barricades d'une porte en stupide PVC.

Je pose Léo et Renard sur la table de chevet, et sors Cerbère de ma poche. Je respire pour essayer de me calmer, comme mon psychiatre me l'avait appris, et je compte les mailles de la laine de Cerbère sous mon pouce, mais rien n'y fait, et je pleure à chaudes larmes.

Pauvre petit handicapé.
C'est avec toi qu'Amande s'est fiancé, mais tu trouves le moyen d'aller pleurnicher sur ton poids et ton visage au lieu de passer du temps avec la seule personne à t'aimer.
Stupide sourd.

Tout de même désireux de garder un minimum de dignité, j'étouffe mes sanglots dans ma main. J'ignore s'ils restent audibles, mais je fais de mon mieux. Et au bout d'un petit moment, peut-être cinq minutes, quelqu'un tape du pied sur le sol devant la porte cinq petites notes accélérées.

C'est Amande. Il sait que j'en sens les vibrations. En revanche, je ne sais pas si je veux qu'il me voie dans cet état. Mais comme Amande a passé son adolescence dans des soirées pleines de mauvaises fréquentations, il crochète la serrure et la porte s'ouvre.

Dès qu'il me voit, il s'affole, et ferme la porte pour se précipiter vers moi. Aussi paniqué que s'il avait vu un esprit, mon fiancé vient me serrer dans ses bras, m'envelopper sous la couverture et me rendre mes appareils.