21 - Apomorphine diet

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Je consulte mon téléphone, onze heures vingt-quatre, et je fracasse mon front contre le plastique de cette stupide table en terrasse.

Là, tout de suite, je déteste tout. La chaise en osier qui grince à tous mes mouvements, le chat errant qui s'étire sur les pavés disloqués, l'odeur de café et de spéculos trop corsés, et même la brise d'été qui vient alléger mes souffrances estivales. Tout.

Et puis j'ai mal au front. Mais ce n'est probablement pas lié.

Je lève la tête lorsqu'on me tapote l'épaule. Devant moi se dresse une grande jeune femme, à la peau chocolat et aux énormes boucles décolorées. Son ventre rond forme quelques bourrelets sous son crop-top vert, et ses lèvres bleues m'offrent un grand sourire.

Quand je la vois, ici, son visage familier et son regard réconfortant, j'ai juste envie qu'elle me serre dans ses bras, et que je meure étouffé par son affection pour ne plus jamais reposer les pieds dans mon école pourrie. Mais Masya et moi, on n'est pas amis. Alors il est inutile d'espérer qu'elle me sauve.

« Aww, mon chou..., épelle-t-elle.

Et comme si elle avait lu dans mes pensées, Masya m'aide à me lever, et me fait un énorme câlin. Elle sent l'huile essentielle d'abricot et le shampoing au beurre de karité, et la pression de ses bras est idéale pour apaiser mon cœur.

Quand je pense qu'elle va me lâcher, elle ne le fait pas, et conserve son étreinte. Douce. Et je m'abandonne à la douceur de sa chaleur.

— C'est épuisant, la rentrée, hein ?...

La presque-copine de Thio tire une chaise, et s'assoit en face de moi. Elle sort de son sac sa balle antistress fétiche, de différentes nuances de rose et d'orange, et commence à la malaxer dans son poing en regardant dans le vide. Ça lui arrive, parfois. De mettre son cerveau en pause.

— Tu sembles drainé, Sira.

— Je suis un peu fatigué. La reprise des cours...

Elle signe beaucoup plus vite, depuis quelques temps. Je suppose qu'elle a dû s'entraîner avec Thio. C'est bizarre, comme date. Mais bon, si ça leur sert de prétexte pour se rapprocher...

— Tu dors assez ?

— Oui, ça va... Et toi, Masya ? Tout va comme tu le veux ?...

— Oh, tu sais ce que c'est..., sourit-elle. Vésuve me tire de mes lectures pour me montrer des passages « obnubilants » d'un quelconque livre sur les tortues, et Thio me demande si à la fin du monde il y aura toujours du ketchup... C'est la routine, mais j'apprécie ma stabilité.

— Et la Turquie, c'était bien ?

— Oui, plutôt bien... Thio a rouspété quand mes parents l'ont forcé à manger du gözleme, mais au final, le courant est bien passé... C'est rare que Thio ne s'entende pas avec quelqu'un. »

« C'est parce que les gens sont super gentils avec moi !!, surgit l'immense Grec.

Je ne sais pas si les gens sont effectivement super gentils avec lui ou s'il est trop naïf pour réaliser leur prédation, mais je ne dis rien.

Derrière lui, j'aperçois Leien.

Leien est un affectueux châtain aux yeux vairons, pansexuel et toujours affublé de son top en maille sous un sweat-shirt pastel. On était amis au lycée, puisque les gays s'attirent comme des aimants, du moins selon Vésuve — et iel n'est pas toujours une source fiable.

Mais des rumeurs ont circulé sur lui, depuis le début de la fac. On murmurait qu'il aimait briser des couples. Et en y repensant, je me dis qu'il en était capable. Sa bouille adorable, l'innocence qui brille dans ses yeux, son faux air timide presque trop hypocrite... Leien est un bon ami, ou plutôt l'était. Même si à choisir, je préférerais ne pas trop le fréquenter. Et qu'il ne s'approche pas non plus de mon copain bien-aimé.

CyanideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant