70 - Atropine heartbeats

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« Souris bien au conducteur quand on monte, Sugar.

Je le lorgne d'un œil peu convaincu. Il paiera l'amende de sa poche.

Un de ses hoodies cache le guidon du vélo lorsque le bus s'arrête devant nous. Je trouve ce plan stupide. Si les vélos s'avèrent être interdits, comme je le suspecte, il n'y a pas moyen que son plan suffise à duper le conducteur. Je doute qu'il existe homme sur Terre qui soit moins intelligent que Thio.

Cela dit, le conducteur ne s'oppose pas à nous et nous souhaite une bonne journée lorsque nous validons nos titres de transport.

Comme quoi, j'ai parfois tort.

Le trajet n'est pas trop long. Les paysages sont jolis. Insulaires, sableux, bucoliques. Je ne peux pas mentir, ça change des bleus et gris de Paris.
Le soleil n'est pas filtré par la vitre, et me dore la peau. Je ferme les yeux. J'ai du mal avec toutes les vibrations du bus, mais j'apprécie le poids du sac à dos sur mes cuisses, la main de Thio dans la mienne, et la sensation de faim au creux de mon estomac.
Ça va plutôt bien.

Nous descendons à la gare routière, et Thio remercie le pauvre chauffeur, de grands gestes chaleureux et d'une belle poignée de main. Nous montons alors dans un autre bus vers le Maïdo, et je soupire, parce que les vélos sont probablement autorisés si aucun des conducteurs n'a rien dit au sujet de notre véhicule sans papiers.

— Il fait bon, non ?!

— Si, c'est vrai.

— Okay, il est temps de passer aux choses sérieuses, Sugar ! Passe-moi le sac !

Il y fourre son hoodie, bien roulé en boule, qui prend bien de la place. J'enfile les deux bretelles. Le fait que le dos du sac soit bombé par son sweat-shirt est désagréable contre mon dos, mais j'évite de me plaindre. Thio chevauche la selle du précieux vélo de Mimose, frétillant comme un gardon.

— Monte, Sugar !

Alors comme dans notre jeunesse, je m'assois sur le porte-bagage, accroché de toutes mes forces à la taille de Thio. Je sais que c'est dangereux, je sais qu'il risque de céder, mais pour une fois je décide de ne pas m'écouter. D'être insouciant comme lui.

Et Thio se met à pédaler. Il n'aime pas particulièrement le cyclisme, malgré son affinité pour les sports en tous genres. Il trouve que ça manque d'action. Mais il est plutôt bon.

Thio pédale vite, sous le soleil, et ça malgré les côtes typiques des régions volcaniques. Je rigole quand nous sautons, et l'air me fouette les joues.

Une vingtaine de minutes plus tard, il met pied à terre.

— On est arrivés, Sugar ! Je suis super content !

Et il se remet en route. La verdure des arbres ne laisse plus que quelques rayons percer leur feuillage jusqu'à mon nez, et l'air sent vraiment bon, la sève et l'herbe brûlée. Le goudron longe une route entre les troncs, le torse de Thio réchauffe mes mains, et j'écarte mes pieds des roues. Je rigole, et penche ma tête en arrière.

Le ciel est bleu, il fait beau, j'ai bien chaud, et le vent fait danser tous mes cheveux. Ils me rentrent dans les yeux, parfois, affolés, mais je m'en moque. Aujourd'hui n'est pas un jour trop désagréable. Là, enlacé à mon meilleur ami au beau milieu d'une forêt tropicale, ça va plutôt bien.

Thio freine quand nous sommes vraiment dans les profondeurs des bois, sur la terre sèche.

C'est lui qui a insisté pour venir ici. La route forestière des Tamarins. J'ignore comment il a eu écho de cet endroit paumé, mais il a dit qu'il voulait vraiment goûter un des fruits, et m'a obligé à venir avec lui. En ce qui me concerne, je trouve ça plutôt scandaleux, mais je ne suis pas sûr que mon avis importe. Alors mon samourai me traîne le long des sentiers, le nez vers le ciel, à la recherche de son désiré arbre fruitier.

CyanideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant