Chapitre 1

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J'ouvre les yeux, et je soupire. D'aussi loin que remontent mes souvenirs, j'ai toujours détesté la rentrée. Ou même l'école en général. Je me redresse, et sors de mon lit. J'attrape des vêtements au hasard dans mon placard, et je file dans la salle de bain. Je prends une douche, me prodigue les soins nécessaires tel que le brossage de dents, m'habille, et je m'apprête à aller dans la cuisine, lorsque je remarque sur la clavicule gauche une drôle de marque noir. Que fait-elle là ? Je n'ai jamais eu de marque à cet endroit. Surprise, j'observe cette étrange tâche, lorsque je sursaute. La tâche a bougé. Je me rapproche du miroir. C'est indéniable, la tâche bouge. Elle évolue, elle est en mouvement. En mouvement. Et je fais quoi, moi, maintenant ? OK, respire. Je dois aller en cours. On verra ça ce soir. La tâche bouge... Ça me donne presque envie de vomir. Je détache mon regard du miroir et je vais dans la cuisine.

Je ne prends pas de petit déjeuner, tout d'abord parce que c'est trop cher, et ensuite parce que j'arrive aisément à tenir jusqu'au déjeuner sans mourir de faim. Je vais cependant dans la cuisine car j'aime la sensation de froid qui m'envahit quand je marche, pieds nus, sur le carrelage glacé de la cuisine, le silence pesant de l'instant, de la solitude. Bien plus que toute personne "normale". Je m'assois sur l'unique chaise, et j'appuie ma joue sur le verre glacé de la table. C'est mon moment préféré dans la journée. Je dors mal la nuit, et je suis sans cesse en contrôle durant la journée. Je m'octroie ainsi cinq minutes de repos, autant physique que moral, et me lance dans ma journée. Je mets une paire de chaussettes, mes baskets en toile (qui furent un jour bleues), ma veste militaire, et je vérifie que je n'oublie rien. Chewing-gum à la menthe (seul luxe que je m'offre), écouteurs, MP3, clefs, tout cela dans les poches, sac de cours (un vulgaire sac en tissu, autrefois marron), écharpe et élastique. Je jette un coup d'œil dans le salon, je vérifie qu'il est là, et je pars en claquant la porte, que je ferme à clef. Je mâche un chewing-gum, tout en écoutant de la musique.

Je marche en regardant mes pieds. Cela fait trois ans que j'ai ces chaussures. Ce sont de vulgaires baskets en toile, qui ont supportées la neige, la pluie, le vent et le soleil. Autant dire qu'elles n'ont plus leur couleur d'origine. Au bout de la rue, je tourne à droite dans une impasse, je continue jusqu'à un lampadaire, que j'escalade, et me voilà sur les toits. J'adore aussi ce moment dans la journée, surtout quand la police me voit et qu'une course-poursuite s'ensuit. Cela arrivait rarement, jusqu'au jour où ils ont enfin compris que je passais tous les jours par là. Depuis, ils me guettent. Heureusement, ils n'ont pas encore trouvé l'endroit où je monte. Et puis, je crois que ça les amuse, au fond. J'adore aller à l'école, mais je déteste y être. Je serpente sur les toits, ignorant le risque d'une chute à cause de la rosée. Si je ne tombe pas, tant mieux, et si je tombe, eh bien peut-être que j'aurai enfin la chance de mourir. Au point où j'en suis. Mais je ne pense pas à ça. Je souris, heureuse de ce petit instant suspendu dans le temps, ce petit moment de bonheur pur et simple.

Soudain, alors que je saute d'un toit à l'autre, je les entends, ils sont 400m plus bas dans la rue, mais ils m'ont vu. En même temps, on va dire que je me détache sur le fond gris du ciel. Ils se mettent à courir, il y en a même un qui crie. A sa voix, je reconnais un jeune, en stage sans doute. Il est nouveau. Il est tout excité, je l'entends dans ses cris. Mes sens sont plus puissants que la normale. C'est pour cela que je suis capable de distinguer ces détails. J'éclate de rire, et je me mets moi aussi à courir. Je fais d'immenses bonds pour couvrir les espaces vides entre les toits, je cours toujours plus vite, toujours plus loin, tandis que les policiers se font distancer. Le nouveau pousse un hurlement de frustration, mais les autres rient. Je m'arrête, me retourne, leur fais un signe de la main, et continue mon chemin. J'avise le lampadaire près du primaire/collège/lycée, et je descends. La course aura durée une demi-heure, comme d'habitude. Le portail d'entrée est ouvert, mais je sais que les cours ont sans doute déjà commencés. Je pousse un soupir, l'ivresse de la course retombée. J'ai ratée la répartition des classes. Je vais encore avoir droit à un savon de la part de la CPE. Ce n'est pas comme si c'était la première fois que j'arrivais en retard non plus... Je me dirige vers le bureau de la CPE, et je toque. Je l'entends pousser un soupir presque inaudible, se racler la gorge et ouvrir la bouche.

Des ailes dans le dos - MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant