Chapitre 34

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Le soir, je file dans ma suite prendre une douche. Je suis affamée, je ne sais même plus à quand remonte le dernier aliment que j'ai mangé. Le système des barres énergétiques que j'avale tout au long de la journée n'aura pas tenu bien longtemps. J'envoie un message à Lachlyn pour qu'elle m'apporte quelque chose à manger, et je file sous la douche. Mélio entre dans la suite et s'affale sur un canapé, et une fois lavée, je sors de la salle de bain le rejoindre, enfouie dans un grand jogging et un t-shirt noir. Je m'allonge sur le grand canapé crème et regarde le plafond blanc.
« Mmh, tu sais ce que j'ai envie de faire ? » demande Mélio.
« Mmh ? »
« Regarder un film avec toi. »
Lachlyn entre alors que nous choisissons le DVD.
- Je t'ai apporté un plateau-repas, dit-elle en souriant.
Je la serre dans mes bras, heureuse de la voir, elle plante un baiser sur ma joue, je sens que je rougis, et elle rit.
« Je l'invite à regarder avec nous ? »
« Si tu veux. » répond Mélio, mais je sens qu'il voudrait que ce soit un moment rien qu'entre nous. Moi aussi.
- Je vous laisse, dit Lachlyn en posant le plateau sur la table en verre, bonne soirée !
- Merci !
​Elle disparaît et nous arrêtons notre choix sur « Kingsman, agent secret ». Je lance le film et retourne m'assoir sur le canapé, les jambes repliées contre moi, Mélio posant ses pattes dessus. Le film est génial, Mélio et moi adorons, et il nous détend considérablement. Mon compagnon prend bien soin de ne pas mentionner quoi que ce soit en rapport avec l'entraînement, et la soirée se déroule agréablement. Je mange un peu, donne le reste à mon lion qui engloutit le tout en une bouchée, et m'allonge sur le canapé, le sourire aux lèvres.
Mon père, que j'identifie à son odeur, entre avec fracas dans ma chambre, et j'ouvre les yeux, me rendant compte que je me suis endormie.
- Thana ! Un nouvel attentat ! s'exclame-t-il, les yeux écarquillés.
Je me lève d'un bond, le monde vacille dangereusement mais j'ouvre grand les yeux et me pince le bras pour recouvrer mes forces. Je me précipite à sa suite jusqu'à son bureau, et vois la vidéo qui tourne en boucle sur son grand fide. Je colle mon fide au sien et fais glisser la vidéo sur le mien pour pouvoir l'observer. L'explosion est extraordinaire par sa puissance. Je vois très clairement les vitrines et l'enseigne de la boulangerie exploser violemment, le verre se brise en un grand bruit, l'enseigne se détache du mur et vole en éclats, et les gens assistent à la scène, les cris retentissent, une femme pleure, son bébé sanglotant dans ses bras, et je vois un homme en tablier blanc regarder la scène, atterré.
- J'arrive tout de suite, dis-j' à mon père en me précipitant vers la salle de contrôle des caméras.
J'entre dans la pièce, et une jeune femme blonde se tourne vers moi en sursautant.
- Comment c'est arrivé ? crié-j' en brandissant la plaque bleue où tourne la vidéo.
- Je... je ne sais pas Votre Altesse...
- Y a-t-il eu des moments sans personne devant les caméras ?
- Je ne sais pas, je ne suis pas responsable du roulement des surveillants.
- Allez chercher votre responsable, amenez-le dans le bureau de mon père.
- Euh...
- Tout de suite !
Je sors de la pièce pour retourner dans le bureau. Mon père s'entretient avec plusieurs hommes sur les victimes, mortes ou blessées, et j'écoute d'une oreille distraite. Aucun mort, plusieurs blessés, un entre la vie et la mort, mais peu de victimes.
- Comment se fait-il qu'il n'y ait aucun mort ? L'explosion provient visiblement de l'intérieur de la boutique ! interrompé-je l'homme.
- Nous essayons pour le moment d'en savoir le plus possible, Votre Altesse.
Un homme toque faiblement à la porte, et je vais lui ouvrir. Livide, il attend sur le pas de la porte, hésitant.
- Vous êtes ?
- Responsable des surveillances vidéo, Votre Altesse.
- Entrez, j'ai quelques questions à vous poser. Y a-t-il des moments sans personne devant les caméras ?
- Non Votre Altesse, les roulements se font dans la pièce et je tiens à ce que les discussions soient minimes pour avoir une vigilance constante.
- Mais lors comment a-t-on pu laisser passer ça ? m'écrié-je furieusement.
- Je ne sais pas Votre Altesse, je vais vérifier les heures de roulement, si vous le souhaitez...
- Très bien. Vérifiez les heures de roulement, je vous rappelle si besoin. Quel est votre numéro, s'il vous plaît ?
Je ne fais pas dans la douceur, mais il ne relève pas mon ton autoritaire, face à l'urgence de la situation. Il me donne son numéro, et j'appelle Forte pour qu'il m'emmène sur le lieu de l'explosion. Le bitume frotte contre mes pieds nus, et me voilà devant l'épave fumante de la boutique. Je m'approche de l'homme en tablier.
- Monsieur ?
Il se tourne vers moi.
- Oui Mademoiselle ?
Forte se précipite sur lui et fronce les sourcils.
- C'est Votre Altesse, réplique-t-il sèchement.
L'homme écarquille les yeux et s'incline en hésitant. Je hoche la tête.
- Pourriez-vous me dire ce qu'il s'est passé exactement ?
- Je nettoyais les fourneaux, car la journée est terminée, et Jean-Baptiste, mon employé, entre dans les fourneaux pour prendre les dernières baguettes, lorsqu'il s'arrête, et écoute quelque chose. Là, il commence à se rapprocher de la porte qui donne sur le local à poubelle, et il commence à crier de sortir immédiatement. Il me pousse vers la sortie, il pousse les clients, et alors qu'il pousse une vieille dame, ma belle boulangerie explose, tout d'un coup. Jean-Baptiste, qui était le plus proche de la porte, a été emmené aux urgences immédiatement, on m'a dit qu'il était dans un état grave. Voilà Votre Altesse.
- Je vous remercie.
Je m'éloigne et m'engouffre dans les décombres enfumées de la boulangerie. L'air est tout simplement irrespirable, mais je persévère et me déplace tant bien que mal, essayant de m'imaginer les lieux. Finalement, j'arrive sur le lieu que j'imagine être celui où était cachée la bombe, et je fouille à la recherche de n'importe quoi à remarquer ou collecter qui pourrait nous être utile. Mais je ne vois rien, et frustrée de tous ces évènements, je ressors encore plus furieuse. Je me dirige vers un pompier qui rassure une vieille dame, et je lui demande de but en blanc dans quel hôpital Jean-Baptiste a été emmené. Forte m'y emmène et je demande à le voir à l'accueil. La femme secoue la tête et m'invite à m'assoir sur un fauteuil, mais j'insiste, perds patience, dit que j'ai une autorisation royale, et arrive finalement à savoir où il est. Je file dans sa chambre, vide. Il doit être encore en soin, j'imagine. Pour passer le temps, je regarde de nouveau la vidéo, et décide de regarder les précédentes pour tenter de remarquer un détail étrange. Je divise l'écran en plusieurs pour voir selon les différentes caméras qui filment cet endroit-là, et remonte le temps. Je regarde les personnes qui entrent et sortent de la boulangerie, le temps passé dedans, les sacs qu'ils portent, leurs attitudes, leurs visages, mais mes yeux et mon cerveau fatiguent à vouloir suivre plusieurs vidéos à la fois en accéléré, et je ne remarque rien. Je continue pendant deux heures, lorsqu'un infirmier tirant un brancard pousse la porte. Il me voit, fait mine de vouloir sortir, mais je l'interromps.
- Vous êtes dans la bonne chambre. Je suis une visiteuse.
Il me regarde puis hausse les épaules et installe le blessé sur le lit. Je me lève pour le rejoindre. Agé d'à peine un ou deux ans de plus que moi, il est salement amoché. Mais il est conscient, et pour le moins étonné d'avoir mon si gracieux visage au-dessus du sien.
- Bonjour Jean-Baptiste, commencé-je. Je suis la Princesse Thana Loster.
Il écarquille les yeux et rougit.
- J'espère que vous allez mieux.
- Je vais mieux, merci, Votre Altesse.
- Je voulais m'assurer que votre état s'était amélioré.
- Euh, oui, merci, je suis très touché par votre sollicitude...
- Je vais vous laisser vous reposer, j'ai cependant une question à vous poser. Comment avez-vous su qu'il y avait une bombe dans le local à poubelle ?
Il réfléchit un instant.
- Je suis allé chercher la dernière fournée de pain, lorsque j'ai entendu un très léger bruit. J'ai pensé que j'avais rêvé, mais je continuais à l'entendre. Je me suis approché, et j'ai entendu tic, tac, tic, tac, puis plus rapide, tic tic tic, alors comme j'avais entendu parler des infiltrations et de l'explosion de la maison il n'y a pas longtemps, j'ai sauté à cette conclusion et j'ai poussé tout le monde dehors.
- Merci monsieur. Le moins qu'on puisse dire, c'est que votre perspicacité a sauvée beaucoup de vies, aujourd'hui. Je vais vous laisser vous reposer, et vous souhaite un prompt rétablissement. J'espère que nous nous reverrons prochainement.
- Je l'espère, Votre Altesse.
Il hoche la tête, grimace, nous nous saluons, et Forte me ramène au palais. Je fais un compte-rendu détaillé à mon père, et réponds à l'appel du responsable des surveillances vidéo. Il me signale que tous les roulements ont bien été effectués de manière à ce qu'aucun évènement bizarre ne soit oublié, je raccroche, et cogite sur les évènements avec Mélio.
- Si la bombe avait un compte-à-rebours, ça veut dire qu'elle a été posée au maximum quelques jours avant l'explosion, quelques heures probablement. En plus, dans le local à poubelle, un endroit où ils vont chaque jour. Ils auraient donc entendu la bombe.
- Ce qui signifie que la bombe a certainement été placée dans la journée... il n'y a plus qu'à regarder les vidéos d'aujourd'hui. rajoute Mélio.
Je me remets à la tâche, mais une fois que j'ai regardée toute les vidéos de la journée, rien ne m'a paru anormal.
- Tu pourrais repasser la vidéo numéro 3 de 14 heures, s'il te plaît ? » demande mon compagnon.
Je m'exécute.
- Tu vois là ? Regarde cette femme ; on ne la voit pas entrer dans la boulangerie, mais on la voit sortir.
- Tu es sûr ? m'écrié-je, stupéfaite.
- Reviens en arrière, voyons si on la voit entrer.
Effectivement, je la vois sortir, mais nullement entrer dans la boulangerie.
- Peut-être qu'elle a don de téléportations ? proposé-je sans vraiment y croire.
- Ça m'étonnerait, elle serait apparue juste devant et pas dans la boulangerie... réplique Mélio.
- Donc, un morceau de la vidéo a été coupé...
- Ce qui signifie que le démon avait un complice à l'intérieur du château qui était devant les vidéos au moment où le démon posait la bombe, pense lentement Mélio, comme à la recherche des réponses, le complice a dérobé ce morceau de vidéo, et c'est pourquoi personne n'a rien remarqué. Nous avons un démon dans le palais ! s'exclame-t-il en criant presque.
- Seigneur...
Je fonce sur mon père et lui explique confusément la situation.
- Rassemble immédiatement les surveillants des caméras, on va vérifier s'ils sont des anges, m'ordonne mon père.
Je m'exécute, furieuse d'être ainsi bernée. En vérité, je me sens tellement stupide, et honteuse d'imaginer ce démon en train de nous rire au nez, que je ne réfrène que difficilement ma rage. J'appelle l'ange de tout à l'heure, et lui ordonne sèchement de rassembler tous les anges chargés de la surveillance et de les amener dans la grande salle, et je file au gymnase.
- Mentor !
- Que se passe-t-il ?
- Il est fort probable que je doive, dans les minutes qui suivent, sonder des gens...
Je n'ose continuer, de honte. Car je suis clairement en train de lui demander son aide. J'espère qu'il va accepter de venir pour me contrôler, parce que je ne m'en sens pas la force. Je suis lessivée par mes déplacements, angoissée par ce pouvoir que je ne contrôle en rien, énervée par cette nouvelle explosion et par notre incapacité à l'empêcher, effrayée par ce peuple qui bouleverse ma vie alors que je ne sais rien d'eux, alors contrôler mon pouvoir, c'est bien la dernière chose que j'ai envie de faire et dont je me sente même capable. Il fronce les sourcils, et je me surprends à croiser les doigts. Enfin, il hoche sèchement la tête et me suit dans la grande salle. Mais je ne me fais pas d'illusion. Il vient pour être tenu au courant, pas autre chose. Il devine aussi bien que moi que ce serait étrange de me demander de sonder les gens, étant donné que s'il y a un démon, il ne doit pas connaître l'étendue de mes pouvoirs, il veut seulement être au courant de ce qu'il se passe en même temps que moi, à défaut d'avoir de l'avance, pour pouvoir m'écraser, me dominer, encore et toujours. J'inspire lentement, et pousse les lourdes portes de la grande salle, dans laquelle entrent petit à petit des anges, certains effrayés, d'autres complètement perdus, comme celui-ci qui sort visiblement du lit, quelques-uns au courant de la situation et anxieux. Je sens la peur qui se dégage d'eux, comme un poison lourd et poisseux, à l'odeur amère et insistante. C'est lourd, oppressant, comme un écran opaque qui se colle à mon visage, et ça pue bon sang ! J'entends alors un chuchotement infime, indécelable pour un humain, juste à ma gauche.
- Je doute qu'Aymeric te demande d'entrer dans leur esprit pour vérifier leur identité. Je pense également que, s'ils ont réussis à berner des tonnes et des tonnes de vérificateurs d'identité, ils berneront le tien sans difficulté. Cependant, je pense que ton père compte sur ton détecteur de mensonge, et c'est là que ça pose un problème. Car comme je te le dis, je doute qu'il soit très fiable ici. C'est donc l'occasion pour toi de tenter une nouvelle technique, d'utiliser un pouvoir que tu aimes, que tu contrôles à la perfection, mais dont tu ne sais pas quoi faire. Tu as des sens extrêmement développés, ce qui nous aide déjà considérablement en ce moment. Il faut que tu fasses croire à ton père que tu arrives à détecter les mensonges, juste en les sentant, les observant, les touchant, en utilisant tes facultés sensorielles. Car elles sont énormes, Thana, et c'est une chance. Tu m'as compris ?
Je hoche brièvement la tête. Pour la première fois depuis que nous nous connaissons, Mentor semble me faire confiance et avoir foi en moi, et ça m'angoisse terriblement. Car je doute qu'il ait une vision exacte de l'étendue de mon pouvoir et du contrôle que j'exerce. La voix de Mélio envahit mon crâne vide, chaude, réconfortante, apaisante, et je me laisse totalement guider par lui. Comme un pantin, je m'avance vers la première personne, une jeune femme, sans que je n'aie décidé de faire le moindre mouvement. Mélio me guide complètement.
« Regarde-la bien, Thana. »
Je m'exécute, avec l'impression d'être une complète idiote, et la regarde. Je vois ses yeux bleus, son nez retroussé, ses lèvres roses, ses joues rebondies de femme en bonne santé.
« Thana, regarde-la comme un animal ferait. »
Et je comprends ce que Mentor exige de moi. Je laisse libre cours à mes sens, qui se déchaînent, et tout l'apparaît alors avec une clarté qui me laisse stupéfaite. Cette clarté... enfouie depuis dix ans. Et je comprends pourquoi ! Toutes les sensations sont multipliées par dix, et c'est terrifiant. Toutes ces images, toutes ces odeurs... je sens la peur qui émane de cette femme, je la sens qui s'échappe en un filet mince. Ses petits yeux bleus sont écarquillés, elle attend que j'en aie terminé avec elle. Tout son corps est tendu, mais tendu par le malaise, car je perçois cette odeur-là, aussi. Je perçois tout, pour tout le monde. Je renifle profondément, une fois, et mes pieds me guident aussitôt vers une autre femme, au milieu des autres. Elle, pour le coup, je dois garder mes distances tant la peur qui suinte d'elle envahit mon espace personnel, colonise mon nez et capture mes sens. Je recule d'un pas, et retrouve mon souffle. Je détaille du regard ses yeux bleus, et Mélio m'enjoint alors de m'approcher.
« Elle pue trop, je ne peux pas respirer. »
« Et tu ne crois pas que c'est exactement ce qu'elle veut ? »
Je reste interdite. Bien sûr... je prends une grande inspiration et avance dans la nuée de peur. L'odeur est intolérable, et si j'espérais qu'elle passerait, je suis déçue... cette peur qui me suffoque, c'est affreux. Mais le changement est visible. Ses yeux noircissent, par instants, comme une image qui se déstructure. C'est rapide, mais mes yeux le sont plus encore, et je peux voir la vraie couleur derrière le bleu. Je sens combien elle est tendue, je vois tous ses muscles bandés, prêts au moindre mouvement, ses lèvres pincées, son front plissé comme si elle effectuait un effort intense. Soudain, je ne vois que ses yeux bleus, très bleus, et l'odeur devient plus importante. Je ne peux plus respirer, je commence à suffoquer, quand je lève le bras droit et claque des doigts. Aussitôt, son attention se porte sur mes doigts, et je souris. Car ses yeux sont noirs. Je prends une grande respiration pendant qu'elle réalise son erreur, et me regarde, perdue, ne sachant que faire. Tout le doute qu'elle éprouve est exprimé dans ses yeux. Fuir ? M'attaquer ? Faire comme si de rien n'était ?
- Ton hésitation a eu raison de toi, soufflé-j' avec un sourire carnassier.
Elle réagit aussitôt et fait demi-tour pour fuir mais Mélio réagit aussitôt et c'est son bras qui attrape le sien. A ma plus grande surprise, elle me mord, mais je ne sens rien, car mon lion se retire immédiatement de mon esprit pour que je ne ressente pas la douleur. Mon corps me retombe presque dessus, et je réagis au quart de tour. Je me jette sur la femme pour la plaquer au sol, et c'est alors que Mentor me vient en aide en l'empêchant de bouger. Toujours concentré sur sa « proie », il ne m'adresse pas un mot, et je me relève, la jeune femme se tortillant de douleur sous moi, les traits tirés, les yeux déjà humides. Il doit en mettre un sacré paquet.
- Gardes ! appelé-je pour le soulager.
Et des hommes emmènent la jeune femme. Mentor reporte alors son attention sur moi, les yeux plissés, attendant de voir ce que je vais faire.
« Mélio ? Est-ce que ça va ? »
« Elle m'a pas ratée la connasse ! »
Il doit avoir bien mal pour jurer de cette manière...
« Tu as besoin d'aide ? »
« Inutile, Lachlyn s'occupe de moi, t'inquiètes. Concentre-toi sur ta tâche. »
Je renifle un bon coup, vérifiant qu'elle était bien seule dans l'opération, sonde tout le monde, et les laisse partir, puis me tourne vers leur responsable.
- Monsieur, à l'avenir, pour chaque nouvelle recrue, vous aurez besoin d'une autorisation royale. Ne prenez que des personnes de confiance. Trouvez un remplaçant au plus vite, la protection du royaume est plus importante que jamais. Je ne veux plus d'attentats de ce genre, c'est compris ?
Il hoche la tête, déglutit, nerveux.
- Vous pouvez disposer.
Il quitte la pièce sans demander son reste, et je me tourne vers Mentor. Quelle heure est-il ? Dois-je retourner à l'entraînement ? Ma pause a été bien plus longue que prévue, puisque... seigneur, il faisait jour lorsque la boulangerie a explosée... j'aurais donc dormie toute une nuit ? Je me fais violence pour ne pas fermer les yeux de fatigue, et attends qu'il me dise quoi faire.
- Puisque tu ne m'as pas fait l'honneur de te présenter à l'entraînement cette nuit, pas de pause ce soir. Tu as trois minutes pour te changer et être dans le gymnase, nous avons du retard à rattraper. Je vais te chercher une double portion des potions.
Et je remonte dans ma suite, écumante de rage envers cet homme que je hais, et éreintée. Mélio me salut d'un câlin de réconfort, je me change, et file au gymnase.
- Bon, nous avons perdu assez de temps comme ça. Il nous reste cet après-midi et cette nuit pour rattraper le retard accumulé la nuit dernière et ce matin, et exécuter le programme prévu. Nous allons commencer par nous concentrer sur ton contrôle des éléments.
Je sens la sécheresse dans sa voix qui me laisse présager de lourdes représailles, et je m'attends au pire. En effet, ça ne rate pas, il est dur, et ne laisse rien passer. Si les potions que j'ai prises me permettent de réduire la fatigue, de me donner un coup de tonus et d'effacer la douleur, lui-même peut m'en infliger, et ne s'en prive pas, ce qui change de ses habitudes. La peur s'installe rapidement comme partenaire de jeu, peur de la douleur, de ce qu'il va m'infliger si je rate. Je fais l'exercice de la boule d'eau, de même avec le feu, nous sortons dans le grand parc pour développer ma connexion avec la terre, je dois retraverser la forêt sans laisser de traces, et puis nous passons à la musculation avec pompes, tractions, squats, gainage, un peu de natation aux Chutes, endurance en revenant, équilibre, et une fois la nuit tombée, don d'Invisibilité, corps-à-corps, boxe, un peu de défense, et...
- Thana, ça va faire un mois depuis l'extériorisation de ton don d'Invisibilité, ce qui signifie que nous allons pouvoir reprendre pleinement le corps-à-corps.
Je réprime un soupir, pas certaine d'apprécier la suite.
- De plus, nous avançons trop lentement, il est temps de passer la seconde.
Alors là, je me retiens de lever les yeux au ciel.
- J'ai donc décidé d'attaquer le combat avec Mélio, lâche-t-il enfin.
Quand je disais que je n'allais pas aimer la suite... Mélio, à l'évocation de son nom, se redresse immédiatement, et pousse un cri de joie. Je soupire. Je n'ai aucune envie qu'il soit mêlé à ça, à cette ambiance de peur, de douleur et de fatigue. Je veux le savoir en sécurité, heureux, en bonne santé. Je donnerais tout pour qu'il ne prenne pas part à ça. Mais je savais que ce jour viendrait, car il était prévu que nous travaillerions ensemble. Furieuse et fatiguée, je me tourne vers lui et esquisse un sourire faux, parce que je sais combien il est enchanté d'agir. Il se lève, tout content, et Mentor nous explique ce qu'il va se passer.
- La connexion entre deux liés est très forte, tellement qu'il arrive que deux êtres se confondent en un seul. Il faut vous servir de cette connexion, pour vous aider mutuellement, car les liés sont de plus en plus rares, de nos jours, et c'est une arme qu'il ne faut pas négliger. Ça rend le combat très inégal pour l'adversaire, car c'est comme si vous aviez un double de vous pour vous seconder. Car vous êtes deux parts d'une seule et même personne, et vous devez utiliser cette force. Vous devez être constamment en communication, ne jamais rompre le contact, toujours accepter l'aide de l'autre, et surtout, être à l'écoute. C'est le plus important dans votre relation.
Pfff, qu'est-ce qu'il en sait, lui ? Je suis tellement furieuse que la moindre excuse est bonne pour vitupérer contre ce vieillard grincheux et abominable de cruauté.
« Thana, calme toi. Pourquoi es-tu si énervée ? »
« Laisse tomber, rien d'important. »
« Thana, Mentor vient de dire que le plus important dans notre relation, c'est la communication. Dis-moi ce qu'il se passe, s'il te plaît. »
- Ca va, je vous dérange ? nous coupe Mentor avec un regard désapprobateur. Il va falloir également apprendre à parler entre vous et faire autre chose, pour ne pas que les gens s'en rendent compte.
Pour une fois, sa remarque tombe à pic, elle m'évite d'expliquer à mon lion la raison de ma colère.
- Pour l'instant, on va se concentrer sur le combat, explique-t-il.
Décidément, les mauvaises nouvelles pleuvent, aujourd'hui. Mentor appelle deux hommes dans son bureau, et je reconnais M. Grand. La peur me bouffe instantanément, de manière violente et entière. Je suis prise de tremblements incontrôlables, et Mélio est obligé de poser sa truffe dans mon cou pour que je me calme un peu. Mentor nous explique la « règle du jeu ».
- Ces hommes ont pour but de vous neutraliser, et vous avez évidemment pour but de vous défendre. Ce n'est pas de l'attaque, c'est de la défense à deux. Je veux vous voir travailler en équipe, c'est compris ? N'oubliez pas, le meilleur moyen d'y parvenir, c'est de communiquer. Bien, commençons.
Je pose une main sur l'épaule de mon compagnon, et je sens sa chaleur incroyable, ses muscles épais qui jouent sous sa peau douce, je sens son excitation, et son appréhension, également. Je sais qu'il s'inquiète pour moi, au vu de comment j'ai réagi à l'entrée des deux hommes, et qu'il angoisse à l'idée de ne pas pouvoir me protéger. Mais je ne suis pas en sucre, Mélio. Je sais me débrouiller. J'enlève ma main, et les hommes se précipitent sur nous. M. Grand se dirige, à ma grande surprise, vers Mélio, et l'autre vers moi. Je recule, gardant en tête qu'il s'agit de défense et non d'attaque, et le laisse venir vers moi. Je contre tous ses coups, et m'apprête à les rendre lorsque Mentor fait cesser le combat.
- OK, je vais la refaire. C'est de la défense à deux ! A deux ! Vous devez communiquer, agir ensemble, utiliser les forces de l'autre pour combler vos faiblesses, pas faire du « j'en prends un, tu prends l'autre ». C'est exactement ce que je veux éviter. Allez, on travail.
Et c'est reparti.
« Thana, tu as des pouvoirs, uses-en. » dit Mélio.
Je sonde les hommes afin de voir leur technique d'attaque.
« Ils veulent nous séparer car ils savent que c'est comme ça que nous sommes vulnérables. »
Son flanc colle le mien, et je sens son sang bouillir dans ses veines. Les hommes s'avancent, chacun d'un côté.
« Il faut qu'on leur fasse face ensemble, qu'on les attaque de front. »
J'attrape d'une main sa crinière, et si je sens la surprise des deux hommes, mon lion ne frémit pas, ayant lu dans mon esprit ce que j'avais l'intention de faire. M. Grand s'approche de nous et essaie d'atteindre les pattes de Mélio, qui esquive du mieux qu'il peut. De la main gauche, je gèle les pieds de l'autre homme, que Mélio fauche d'un puissant coup de patte, et le deuxième finit au sol après une ruade du lion qui me propulse sur lui. Mentor nous regarde, fait signe aux deux attaquants de quitter le gymnase, et discute avec nous des points à revoir. Comme de bien entendu, pas des bons points. Il nous reste encore toute la nuit avant notre pause. Je ne vais pas tenir. Mentor nous entraîne pendant deux heures, avant de reprendre l'entraînement en solo.

Des ailes dans le dos - MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant