Chapitre 11

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J'ouvre les yeux et je hurle. Puis une immense touffe de poils se pose sur ma bouche, et je me réveille pour de bon. Les gros yeux de Mélio sont à deux centimètres au-dessus des miens, et sa patte recouvre ma bouche pour taire mon hurlement de terreur. Je cesse de crier, il enlève sa patte, et je respire lentement pour calmer mon rythme cardiaque. Puis je m'appuie sur mes bras pour me relever, et je cris, de douleur cette fois. Je regarde mes avant-bras, qui sont couverts de bandages du poignet jusqu'au coude. Surprise, je soulève la couette, et je découvre que, sous ma chemise de nuit, mes mollets le sont aussi, de la cheville au genou. Et tout s'imbrique dans mon cerveau encore brumaux. La démonstration de la veille, l'eau et le feu. Je regarde Mélio, surprise de me voir si bien soignée pour si peu.
« Brulée au deuxième degré et les mollets complètement écorchés. »
« A ce point ! Incroyable... euh... qui m'a mise en chemise de nuit ? »
«  Ton infirmière scolaire. »
« Quoi ? Mais... elle ne doit pas être à l'école ? »
« Nous sommes samedi, et il faut croire qu'elle revient au royaume pour le week-end. »
« Ah ok. EEEEEEEEH !!! »
« Quoi ? » demande-t-il en sursautant violemment.
« Comment ça se fait que tu sois là, toi ? »
« Oh, tu m'as fait une de ces peurs ! Ne recommence plus jamais ça, OK ? Je me suis faufilé derrière Forte hier soir, et j'ai passé la nuit avec toi, me cachant quand quelqu'un venait. »
J'acquiesce, et ne dis plus rien. Je suis fatiguée, si fatiguée... une question me traverse l'esprit.
« J'ai dormie combien de temps ? »
« Eh bien tout ce qui restait de nuit, et une partie de la matinée. Il est à peine dix heures. Ton père a ordonné qu'on te laisse tranquille jusqu'à ce que tu sois réveillée et que tu aies besoin de quelque chose. Puisque tu es si fatiguée, tu dois pouvoir te rendormir sans souci. D'ailleurs, ton père est passé me voir. »
« Ah bon ? Pour quoi faire ? Quand ça ? »
« Il y a deux heures environ. Il voulait me rencontrer, savoir qui était l'animal qui était aussi exceptionnel que sa fille... »
Ses yeux pétillent de malice, et je souris. Mais cela sonne faux. Il semble m'aimer tellement, alors que je ne le connais pas. Et cela me fait peur, de faire naître un sentiment tel que celui-là et de ne pas le ressentir de mon côté. Les étincelles dans ses yeux disparaissent quand je souris.
« Ton père te connaît, Ethana, il sait que tu ne pourras pas tout de suite l'aimer comme lui t'aime, ne te fais pas de soucis là-dessus. Il espère juste qu'avec le temps, vous ayez une vraie relation père-fille. »
Je hoche la tête. Je l'espère, moi aussi. Mais, l'ennui, c'est que je ne sais pas si je le veux pour lui faire plaisir ou parce que c'est toujours ce dont j'ai voulue. L'une des raisons est noble bien qu'empreinte de pitié, l'autre est égoïste bien que certainement plus attendue. Ne désirant plus en parler, je dérive sur autre chose.
« Qu'a-t-il pensé de toi, au fait ? »
Il se passe de mots et me transmets directement ses émotions. Je pénètre brutalement dans son esprit. Fier, rassuré, content, satisfait, nostalgique... jaloux ? C'est comme si j'étais entrée dans la tête de mon père, bien que ce soit par l'intermédiaire de Mélio. Expérience pour le moins déroutante. Mais je n'éprouve aucune gêne, alors que je ressens celle de Mélio, qui se tortille un peu. Ne voulant pas me recoucher, je me lève et me mets en quête d'un jogging afin d'aller courir. Mais je ne trouve que robes, châles, traines, et tout l'attirail qui va avec. A vomir. Au même moment, une femme du nom de Lachlyn fait irruption dans la pièce et m'explique qu'elle va me servir de femme de chambre, de guide, et, accessoirement, de confidente. Je ravale une grimace.
Une heure plus tard, je ressors de ma chambre affublée d'une robe rouge scintillante, furieuse. Car Lachlyn, comme femme de chambre, m'a aidée à m'habiller et a donc remarquée ma maigreur alarmante et mes cicatrices dans le dos, ce que je cherchais à cacher à tout prix. Mais je dois bien avouer que c'est une femme charmante, qui n'a pas mis longtemps à me comprendre. Je prends le petit déjeuner avec mon père, puis nous descendons dans les laboratoires pour effectuer une prise de sang qu'il juge nécessaire afin de mettre à jour mon dossier. Le reste de la journée, je me promène dans le jardin, mes talons aiguilles à la main, accompagnée de Lachlyn qui répond à toutes mes questions. Je dois dire que je n'avais pas soupçonnée une seconde devoir porter des robes et marcher avec des chaussures à talons à cause de ma nouvelle « classe sociale ». Nous nous posons sur un banc et je lui pose des questions sur elle, sa vie, lorsque j'entends une silhouette reconnaissable à sa démarche familière s'approcher. Je sens sa peur d'ici.
- Emilie, dis-je sans me retourner.
- Thana, il faut qu'on parle, répond-elle d'une voix chevrotante.
- De quoi ?
- Je... je suis vraiment désolée de t'avoir cachée tout ça pendant des années, je voulais t'en parler mais tu ne m'aurais pas crue et en plus je n'en avais pas le droit, et s'il te plaît ne m'en veux pas, j'avais des ordres clairs, des consignes à respecter...
Sa voix empreinte de peur me fait pitié.
- Tu sais que je t'aurais crue, Emilie. Ce n'est pas parce que j'ai fait semblant de gober tes mensonges pendant des années que je les croyais. Et ça faisait partie de tes consignes, devenir amie avec moi ? Est-ce que tu n'es devenue amie avec moi que pour obéir aux ordres ? Tout n'était donc qu'une mascarade ?
- Je... non ! Bien sûr que non ! Tu es mon amie, Thana, et tu le reste encore aujourd'hui !
J'entends la vérité dans sa voix. Je me lève, la rejoins en trois grandes enjambées, et la serre dans mes bras. Le soulagement émane d'elle.
- Tu m'as manquée, Emilie... soufflé-je.
- Je suis tellement désolée, Thana...
Je la lâche et recule de quelques pas.
- Bon ! On a dix ans à rattraper, raconte-moi tout !
Son visage se fend d'un sourire radieux.
- Je vais te présenter à mes amis ! répond-elle.

Des ailes dans le dos - MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant