Chapitre 13

4.9K 430 14
                                    

Ma tête sonne sous le coup, le monde tourne dangereusement, je ferme les yeux et me redresse sur ma chaise.
- Dis-moi qui est Tiffany.
- Je ne sais pas qui c'est, je n'en ai aucune idée.
- Oh que si tu vas me dire.
- Vous pouvez me gifler tant que vous voudrez, je ne pourrai rien vous dire, je ne sais absolument pas qui est cette Tiffany.
L'air s'empli de l'odeur âpre du mensonge. Même à mes yeux, je perds toute crédibilité. La deuxième gifle part, mais je l'évite prestement, me lève soudainement, lève la jambe et l'envoi à terre d'un coup de pied sur le thorax. Soudain, une douleur à la tête me prends, une horrible migraine, si intense que je n'entends plus rien, si ce n'est les battements frénétiques de mon cœur qui s'emballe sous la douleur. Je halète, l'étau se resserre autour de mon cerveau. Et la douleur s'arrête, tout d'un coup.
- Tu vas vite apprendre, j'en suis sûre, que ce que tu me fais, je te le rends au centuple, déclare posément Mentor.
Je me tais. Mais je le regarde du coin de l'œil et je remarque qu'il se passe la main sur le torse en grimaçant. Ha ! Dommage pour toi, Mentor, je suis prête à prendre le risque. Et au regard peu amène qu'il m'adresse, je sais qu'il sait ce à quoi je pense. Je ne suis pas le genre élève facile, pas vrai ?
- Assieds-toi.
A ma plus grande surprise, je me découvre à genoux, me relève donc et vais prendre place sur la chaise. Je m'attends à ce qu'il continue à me soutirer des informations personnelles, mais non.
- Bon, faisons le point tous les deux, Thana. Tu es... tu as une faible base, mais tu as une base. Au moins, tu es forte au combat, mais tu es encore trop faible pour un corps à corps. Tu manques singulièrement d'équilibre, d'agilité, et de souplesse des mouvements. Tu ne te concentres que sur un mouvement à la fois, alors que c'est tout ton corps que tu dois utiliser. Par exemple, sur les barres asymétriques, tu n'utilises que les mains, puis que les jambes, alors que tu devrais allier les deux, tout en observant ton environnement pour savoir immédiatement où sauter. Tu vois ce que je veux dire ? (J'acquiesce) Bon, j'ai tout juste effleuré tes capacités, ce n'était qu'un avant-goût de ce que tu vas subir pour les prochains mois, voire les prochaines années. Il va falloir t'entraîner sans relâche.
- J'aimerais savoir pourquoi vous avez besoin que je sois agile et souple pour être Invisible.
- Les Invisibles sont les espions suprêmes, rien ne peut les arrêter. Avec de l'entraînement. Si tu actives ton pouvoir au milieu de la rue, les gens vont sentir comme une présence, bien qu'ils ne te voient pas, à moins de se concentrer. Alors que si tu vas dans un pub, et que tu ne te déplaces que grâce aux poutres du plafond, là, tu passeras réellement inaperçue.
- OK.
- Bien. Dans un premier temps, nous allons travailler ton équilibre, ton agilité, ta coordination et ton endurance, et entamer un peu de corps-à-corps, mais pour développer ta réactivité. Tu ne dois jamais oublier que tout ce que je te fais faire est un test, pour voir ce dont tu es capable, ce sur quoi je dois baser ton entraînement. Certains exercices ne vont te faire travailler aucun des éléments que j'ai cité, mais comme je n'ai pu observer que très brièvement des capacités, je continue à voir ce dont tu es capable. Commençons.
Et, à mon grand étonnement, il appuie sur un bouton et... allume la télé.
- Regardes la télé.
Je reste méfiante, et je me détourne de l'écran.
- Regarde la télé, Thana.
A contrecœur, me retourne et regarde le film, qui se révèle être un film de baston où tout le monde s'entretue sur fond de musique atrocement fort. Soudain, je sens une corde sur mon cou, et j'étouffe. Je ne peux plus respirer, je tente de tirer sur la corde pour m'en défaire, mais impossible. Quelle idiote j'ai été ! Regarder la télé, non mais en voilà une idée !
- Fais de ta faiblesse une force, Thana !
La voix de Mentor retentit dans le gymnase.
- Quelle est ta faiblesse ?
La corde, évidemment ! Fais de ta faiblesse une force. Alors j'agrippe la corde à deux mains, je tire, et je bascule au-dessus. Mon cou se dégage, j'aspire une grande goulée d'air, et j'atterris sur le dos de mon agresseur. Je saute et envois mon pied sur son dos, mais il se retourne et l'attrape, me balançant par terre. Je me relève le plus vite possible mais il aplatit son pied sur mon ventre. Fais de ta faiblesse une force. D'une main, je le pince derrière le genou, qui se débloque, et la montagne manque de s'écrouler sur moi mais je me pousse à la dernière seconde. Je me redresse. Je souffle, le cœur battant à tout rompre. OK, toujours, toujours se méfier.
- Bien, passons à autre chose. Tu dois faire beaucoup mieux, déclare Mentor.
Un jeune homme entre dans la pièce, tandis que deux autres installent des barres asymétriques. Il tient un singe en laisse. Prostré, l'animal avance lentement, et lève ses grands yeux marron vers moi. Aussitôt, une décharge électrique me traverse, et toute la douleur, la tristesse et la peur qui habitent ce petit être me traversent. Soudain, l'homme tire violemment sur la laisse, le voyant figé, et l'animal s'écroule par terre avec un couinement.
- Lâchez-le, je gronde.
- Allez viens, sale bête !
- Lâchez-le.
Et je me jette sur lui. Son attention détournée du singe, il lâche la laisse. J'ai bien plus de mal que je ne croyais à me libérer de lui, et je prends quelques coups violents avant de m'échapper, d'attraper le singe par la taille, et d'éviter un coup. Je recule, et m'éloigne. Suite à cette altercation, je prends conscience de ma faiblesse physique. Je vais tout faire pour me muscler et pour réussir. Je veux que Mentor soit fier de moi. Je me tourne vers lui.
- Bien. Maintenant que tu as fini de jouer, je propose que nous travaillions. Ce singe va te servir de professeur. Tu vas observer la manière dont il se déplace, comment il utilise son corps, et tu vas tâcher de faire pareil.
J'acquiesce sans un mot, et le singe bondit sur les barres. C'est alors que Mentor sort d'une boîte des petites balles en mousse, qu'il envoie sur le singe de plus en plus vite. L'animal les évite prestement, et c'est à mon tour. Sauf que Mentor saisit cette fois des couteaux.
​L'entraînement terminé, je quitte le gymnase, ankylosée, blessée, courbaturée, et exténuée. Je retourne au château tandis que le jour se lève. L'air frais du matin me fait rester dehors. Je contemple le soleil qui se lève, teintant le ciel d'une couleur rose éblouissante de beauté, et ses rayons qui illuminent la rosée déposée sur les fleurs. Le temps semble comme suspendu. Je m'allonge sur l'herbe humide, et m'endors immédiatement.
​Les jours, les semaines passent, et je m'entraîne toujours et encore. Je suis à bout. Il me tue. Je souffre, mais je ne peux rien faire sinon essayer de faire mieux, toujours mieux. Ce n'est jamais assez, jamais assez bien, jamais assez fort. Les exercices sont crevants, et très difficiles, pour la plupart. Je cours pendant des heures, je traverse des rivières sur des ponts instables et peu épais, j'évite les couteaux de Mentor sur les barres asymétriques, je travaille mon niveau d'art martial, je m'améliore, toujours et encore, j'escalade des murs à mains nues, sans protection, je traverse la salle sur des poutres qui ploient sous mon poids, je saute d'un rocher à un autre, au-dessus d'une rivière déchaînée, je danse, beaucoup, pour apprendre à faire une chose avec mes mains et une autre avec mes pieds, je grimpe aux arbres avec une main dans le dos, je parcours le château en courant, je m'épuise à la tâche, en bref. Je suis fatiguée, tellement que je m'endors constamment en classe. Emilie s'inquiète, je le vois bien. Et elle n'est pas la seule. Mes amis - mes amis ! - s'inquiètent également. D'ailleurs, je ne les vois que trop peu. Je ne vois quasiment plus Louis, ni mon père, excepté au dîner, où je vois tous mes amis et lui. Et Mélio... il passe beaucoup de temps avec moi, il s'entraîne également de temps en temps avec Mentor, et passe le plus clair de son temps sur mon ventre en cours. Car il est invisible aux yeux des humains, et il peut changer de taille. J'écoute encore moins les cours, si c'est possible, car je discute avec lui, et il chasse mes mauvais rêves. Il est une partie de moi, désormais. Je suis lassée de me tuer à la tâche pour me faire rabrouer encore et toujours... le point positif, c'est que j'ai beaucoup progressée en option, au lycée, et que je suis désormais en mesure de battre la prof, ce qui est une grosse victoire dont je me fais un plaisir de fanfaronner devant elle, mais sinon... ce train de vie me pousse à bout. Il me pousse à bout. J'essaie de dessiner, mais je n'en ai plus beaucoup le temps. Des croquis de Mélio tapissent les murs de ma chambre, mais il n'y en a pas autant que je ne le voudrais. En fait, toute ma vie réside désormais en mon entraînement, car je n'ai de temps pour rien d'autre. Je dors le jour et me tue la nuit. Mon dos a guérit, mais je garderai des cicatrices à vie, et les ailes noires ne sont pas parties. De plus, je vois les anges voler, et moi... incapable de déployer mes ailes. Ça me frustre énormément, de les voir tous libres et indépendants tandis que je dois garder les pieds sur terre, au propre comme au figuré. Lachlyn est adorable, et s'occupe sans relâche de moi. Lorsque le jour se lève, elle m'emmène chez moi, sur Terre, panse mes blessures, et s'occupe de Louis pendant que je dors. Elle me réveille le plus tard possible, le temps que je prenne une douche et m'habille, ensuite elle m'emmène au lycée, me récupère le midi, prépare le repas, pendant que je vais courir, puis me remmène au lycée et me récupère le soir, pour m'amener directement au palais. En dehors des entraînements, je cours et me muscle un maximum, mais cela n'est jamais assez. En trois semaines, j'ai eu droit à une seule nuit de repos. Je suis si fatiguée... j'aimerais voler.

Des ailes dans le dos - MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant