Chapitre 28

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Elle quitte ma chambre après m'avoir précautionneusement pris dans ses bras, en faisant attention de ne pas me faire mal, et je vais me changer.
« Sympa non ? Je suis conquis ! » pense Mélio.
« Oui, elle semble adorable, et elle se conduit tellement... naturellement, avec moi ! Quand est-ce que vous pourrez être présentés ? »
« Je ne sais pas, il faudrait en parler avec Aymeric. Bon allez, va te changer, tu vas être en retard sinon. »
J'enlève mon atèle, grimace sous les élancements que cela cause, me dépêche de m'habiller, et Lachlyn m'emmène au gymnase. Pendant toute la nuit, nous travaillons sur mes pouvoirs, nous reprenons l'agilité, l'équilibre, l'endurance, nous voyons les techniques pour le corps-à-corps, mais seulement la théorie, évidemment, et puis nous consacrons un peu de temps aux recherches de mes origines. Les journées qui succèdent aux nuits sont similaires, c'est souvent le même programme, mais les exercices varient lorsque je les réussis.
- Bon, ça fait deux semaines maintenant, enlève ton atèle.
J'ai peur, c'est indéniable. J'ai toujours aussi mal, malgré la potion que me donne Félicie matin et soir, et je doute que mes os se soient ressoudés en si peu de temps.
- Etire-toi, lentement, il faut que tes muscles se réhabituent à être sollicités. Ensuite, nous attaquerons enfin le corps-à-corps, et je pourrais également travailler avec Mélio et toi, chose que j'attends de faire depuis un paquet de temps.
Je m'étire, mais la douleur est atroce. J'ai des élancements terribles, et la désagréable sensation d'avoir une enclume qui me tombe sur la clavicule dès que je fais un mouvement. Mais je ne dis rien, sers les lèvres, et m'étire au mieux pour éviter de souffrir encore plus. Nous commençons le corps-à-corps, et la douleur est aussi importante que ce que je prévoyais. Je vois bien que mon combattant essaie de faire dans la douceur, et de mon côté je tente du mieux que je peux d'appliquer les techniques que j'ai appris, mais c'est la première fois que je les applique, et la douleur m'empêche de les appliquer correctement. Finalement, mon adversaire me jette à terre, l'air désolé, et je ferme les yeux pour contenir mes larmes de douleur.
- Debout Thana. Bon, tu vas exécuter exactement ce que je vais te dire de faire. Ferme les yeux.
Nous engageons un nouveau combat, et cette fois Mentor guide mes actions. Il me dit exactement quoi faire, me guide totalement, m'indique l'emplacement et les actions de mon adversaire, et le combat est plus égal, même avec ma cécité temporaire. Le but de ce combat étant de m'initier, personne ne finit à terre, et les gestes ne sont pas violents, je les retiens pour être capable de les répéter. Mais la douleur est juste intolérable.
- Arrêtez, ordonne soudainement Mentor.
J'ouvre les yeux, je le vois qui s'avance vers moi, il attrape mon bras droit, et le tire vers le haut. Je le laisse faire, surprise.
- Fais la même chose avec le bras gauche.
Je le lève, et dès que je le bouge, la douleur est épouvantable. Je le lève un peu, mais dès que j'arrive au niveau de mon nombril.
- Je ne peux pas aller plus loin.
Et là, Mentor, pour la première fois depuis que je le connais, perd patience.
- Ah, elle m'énerve ! crie-t-il en quittant le gymnase.
- Votre Altesse, bafouille celui qui a été mon adversaire, pardonnez-moi, j'ai essayé de faire doucement...
- Je vous remercie de tout cœur de votre considération, vous m'avez évité de plus grandes douleurs, Monsieur.
Il hoche la tête, lorsque j'entends soudain Mentor revenir, accompagné d'une Félicie furieuse.
- Je t'avais prévenu, bon sang ! Comment veux-tu que ses os se ressoudent en deux semaines ? C'est fou, c'est complètement fou ! Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? La seule chose à faire, c'est de la laisser guérir !
- Je ne peux pas ! Je voudrais passer à l'étape trois dans trois semaines, parce que ça fait déjà trois semaines qu'on a débuté l'étape deux, et que Dieu merci j'ai quand-même réussi à avancer en axant son enseignement sur les pouvoirs, mais il faut que j'attaque le corps-à-corps, et bientôt, sinon on va prendre du retard !
- Prendre du retard par rapport à quoi ? Tu lui demandes de faire en quatre mois ce que d'autres font en des années ! Pourquoi veux-tu absolument qu'elle soit prête fin décembre ?
- Tu sais mieux que personne pourquoi, Félicie, siffle-t-il d'une voix pleine de colère.
- Je ne sais pas la date précise, ça aussi nous le savons tous deux. Je n'ai aucune idée de la date, mais elle n'est pas prête, et eux ne le sont pas plus, nigaud !
- Inutile de m'insulter, quelques informations ne nous tueraient pas, réplique-t-il. Ne me fais pas passer pour le méchant, tu sais bien que tout le monde souhaite avoir des informations le plus tôt possible ! Même toi tu le veux, alors cesse de me faire la morale !
- Oui, mais moi je ne le veux pas aux dépends de Thana ! Tu es en train de la tuer !
A ce moment-là, ils se taisent et entrent dans le gymnase.
- Donne-lui ce que tu as, je t'ai dit, il faut absolument que je travaille le corps-à-corps, ordonne-t-il froidement.
Félicie le fusille du regard, puis me donne une petite fiole contenant un liquide violet.
- Voilà un antidouleur, il cessera de marcher dans huit heures. Mais sache que, si elle ne ressentira aucune douleur, cela ralentira sa guérison parce qu'autant bouger va fragiliser les os cassés ! Franchement, ce plan court à la catastrophe.
- Merci, dis-je en avalant la potion d'une traite.
Aussitôt, une grosse chaleur se répand dans mon corps, et je ne ressens plus aucune douleur. Je lève le bras gauche, tourne mon buste, fais le dos rond et m'étire violemment, rien, je ne sens plus rien. J'oublie mes côtes, mes vertèbres et ma clavicule, et je ris, j'éclate d'un rire gargantuesque.
- Oh, merci Félicie !
- Bien, commençons, s'exclame Mentor, de meilleur humeur.
Félicie quitte le gymnase, furieuse, et nous reprenons le corps-à-corps. Je suis à la lettre les instructions de Mentor, essaie d'appliquer ce que j'ai appris, et enregistre tous les mouvements que je fais, ce qu'il faut faire pour éviter certains coups, et comment utiliser ma force face à mon adversaire. La journée est longue, et lorsque l'antidouleur se dissipe, je vois flou tant la douleur est énorme. Mentor déclare la journée terminée et je dois le retrouver dans deux heures pour la nuit. Je file dans ma suite.
- Thana, est-ce que ça va ? Tu fais une horrible grimace...
- J'ai super mal...
Lachlyn m'enlève mon atèle, me retire mes vêtements, me fais couler un bain bouillant, et je file dans le bain. Elle retire ses vêtements, m'y rejoins, et commence à me masser doucement le dos. Elle me lave, me démêle les cheveux, et je sors du bain. Elle s'habille, m'habille, me coiffe, me maquille, et je descends dans le bureau. En chemin, je tombe sur Maxime.
- Maxime ! m'écrié-je, ravie de le voir.
- Oh, salut Thana ! Ça faisait un petit bout de temps... comment tu vas ?
- Bien, comme toujours, répondis-j' en souriant. Et toi, quoi de neuf ?
- Oh, rien de spécial... élude-t-il en tournant la tête.
Je fronce les sourcils en retenant un soupire. Pauvre Emilie...
- Tu as une trace de rouge à lèvres sur la joue, crétin, dis-j' en levant les yeux au ciel.
Il s'empresse de frotter, et je dois finalement l'aider à l'enlever.
- Ne dis rien à Emilie s'il te plaît... murmure-t-il.
- Pourquoi ?
- Je ferais tout ce que tu veux...
- Non non, je veux dire, pourquoi elle ne doit pas savoir ?
- Je... c'est compliqué, mais je sais qu'elle m'aime, et je crois que je l'aime aussi, mais j'ai besoin de... décompresser un peu, et elle n'a pas vraiment la tête à ça...
- Tu sors donc avec Emilie ?
- Non, je voulais, mais depuis qu'il y a cette histoire de procès...
- Donc tu es passé à Nelly...
- Tu m'as vue, ce jour-là ?
- Evidemment, Maxime enfin ! J'ai des sens surdéveloppés, benêt ! Et de toute façon, tu n'étais pas très discret... écoute, tu sors avec qui tu veux, je ne vais pas te pousser dans les bras d'Emilie, ce serais bête de ma part parce que si tu ne sors pas avec elle, c'est qu'il y a une raison, mais toi comme moi savons ce qu'elle ressent pour toi alors soit tu te fais un peu plus distant pour arrêter de la faire rêver, soit tu te caches quand tu es avec Nelly, OK ?
- Bien sûr ! Merci Thana...
- T'inquiètes, tu sais que tu peux compter sur moi... dis-j' avec un clin d'œil.
- Oui.
Sur ce, je le laisse pour aller voir Teria.
« Comment tu vas ma grande ? »
« Bien, et toi ? »
Elle hausse les épaules en détournant le regard.
« Toujours en froid avec Aymeric ? »
« C'est...compliqué... »
Je lève les yeux au ciel, encore.
« Et je suis trop jeune pour comprendre, c'est ça ? »
« Quoi ? Non ! Pourquoi tu dis ça ? »
« Oh, laisse tomber, je suis mal lunée. »
« ...raconte ? »
« Bof. Je suis juste un peu sur les nerfs, ça va passer. Rien d'important. » clôturé-j' avec un sourire.
« Qu'est-ce qu'on fait ce soir alors ? »
« Ce que tu veux. »
« Je ne sais pas... »
Et je sens qu'elle aimerait voler, mais seule.
« Oh. Bon ben je te laisse. Bisous Teria. »
« Merci Thana. Tu m'es précieuse. »
Je la quitte, et décide d'aller voir Malcom. Ne pas avoir à discuter sans être seule sera agréable. Je suis fatiguée. J'ai passé la journée à me détruire la clavicule, les côtes et les vertèbres, Teria fait toujours la tête à mon père, celui-ci est tellement concentré sur le mariage qu'il me refile tout le sale boulot sans prendre de temps pour discuter en travaillant, ma montagne de questions-sans-réponses s'agrandit de plus en plus, je n'arrive plus à lire dans les pensées sans que cela soit un effort surhumain, l'entraînement n'avance visiblement pas assez vite pour Mentor, je saute tous les repas à part le dîner que je prends dans ma suite pour éviter Sofia et mon père qui m'écœurent avec leur amour, je mange de moins en moins, j'ai de plus en plus de vertiges, je ne peux même plus monter les escaliers sans que ça m'essouffle, la potion qui me tient éveillée puise dans mes réserves inexistantes et je suis donc obligée d'en prendre une nouvelle qui me permet de faire l'entraînement sans rien dans le ventre sans m'effondrer, nous avons relogés la famille Manielle et je me sens de nouveau inutile, je n'assiste plus à des réunions de politique... je suis fatiguée. Le temps de ruminer mes sombres pensées, me voilà au gymnase. J'entre dans le bureau et commence à chercher Malcom. Je le trouve assis dans une pièce que je ne connais pas.
- Salut Malcom, salué-je doucement. Comment ça va ?
Il sourit.
- On va se promener un peu ?
Il attrape ma main, et nous sortons dans le jardin. Nous nous posons sur l'herbe froide, et je m'allonge, le bras droit sous la tête. Malcom me regarde, je le regarde, et je lis une question dans ses yeux.
- Oui, ça va mon grand.
Je souris, et il pose sa main sur mon ventre. Il m'est d'un grand soutien pendant les entraînements, en plus de Mélio, qui ne me lâche pas d'une semelle. Mon ami secret. Je ferme les yeux, profitant de la sensation de l'air frais sur mon visage, lorsque j'entends la terre trembler sous des pas fermes.
- Thana ! gronde mon père. Qu'est-ce que tu fais là ? Je t'ai demandé de trier le bureau et d'étudier les comptes pour que tu puisses t'intéresser un peu à ce qu'il se passe au palais !
Je retiens un soupir, me lève, et m'en vais sans un mot. D'une main, je tire sur le bras de Malcom, ses jambes accrochent ma taille et ses bras mon cou, et je pars vers le bureau. Une fois dans la pièce, je le pose sur mon fauteuil, et commence à trier la paperasse à une main, rendant la chose autrement plus compliquée. Heureusement, Malcom veut m'aider, alors je lui explique en quelques mots ce qu'il faut faire, Mélio nous rejoint, et nous rangeons le bureau.
« Bonne chasse ce soir ? »
« Pas mal, mais je pensais à toi. »
Je hausse les sourcils.
« Que se passe-t-il ? Je suis désolée si je ne suis pas l'amie parfaite, je fais ce que je peux... »
« Tu vois ? Tu t'excuses sans cesse, tu ne dis plus rien, tu te replies au lieu de te dresser. Où est passée ta fougue ? »
« Cette fille-là est partie, Mélio, et c'est tant mieux, car elle a laissé place à une fille raisonnable, travailleuse et discrète. »
« C'est le cas de le dire... écoute, je veux juste que tu prennes soin de toi. Parce que je te vois dépérir sous mes yeux, et je ne peux rien faire pour empêcher ça. Tu sais ce que ça fait d'être impuissant, tu veux essayer d'arranger les choses, parce que tout se déroule sous ton nez, mais tu ne peux rien, tu as les mains liées, et la bouche close. Tu ne peux rien faire. Eh bien c'est ma place, en ce moment. Alors promets-moi de prendre soin de toi ma puce. »
« Je te le promets. Mais tu aides, tu sais ? Tu es toujours avec moi... tu dors avec moi, tu dînes avec moi, tu me regardes m'entraîner, tu restes en cours avec moi, et cela m'aide vraiment, vraiment beaucoup, Mélio. »
« Je l'espère. »

Des ailes dans le dos - MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant