Chapitre 43

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- Bonsoir Thana, me salue une voix froide et familière.
Je retiens un soupir. Ce week-end m'a fait du bien, et j'ai repris du poil de la bête, sans mauvais jeu de mot. Je sens de nouveau la vie bouillonner en moi, comme un torrent qui se bat pour éviter la sécheresse dont il a si peur. Je ne sais pas si je saurais redevenir assez vite l'automate qui me permettait de moins souffrir, de tout accepter avec détachement, de mettre mes sentiments et émotions en pause.
- Bonsoir Mentor.
- Le week-end s'est bien passé ?
Je me fais alors la réflexion qu'il ne m'a pas sollicité des deux jours, ce qui m'enchante.
- Très bien. Et vous ?
Il ignore superbement ma question et se lance dans une tirade. Il a ignoré les rares questions d'ordre personnel que j'ai osé poser quelques fois.
- Suite au test de vendredi...
- Quoi ? Quel test ? le coupé-je, m'alarmant aussitôt.
- L'utilisation simultanée de tes quatre pouvoirs. C'était un test.
Je sens la rage et la peur monter en moi. Il faut que je repasse en mode automate. Je me tais, écoute la suite.
- Donc je disais, poursuit-il avec une note désapprobatrice dans la voix, et je sens sa mauvaise humeur qui ne présage rien de bon, que suite au test de vendredi, qui n'a pas été réussi, il était temps de passer à l'étape trois de l'entraînement.
Quoi ? Immédiatement, mon cerveau est occupé par deux pensées majeures, qui apparaissent à peu près en même temps. La première est : euh, quelle logique ?! et la deuxième est : déjà ?! Puis s'ajoute une troisième, ce qu'il dit atteint mon cerveau, et les pensées s'accumulent. J'essaie de faire le tri, mais les deux pensées prédominantes prennent trop de place. Pourquoi passer à la troisième étape si je n'ai pas réussi le test, et au bout de combien d'années les élèves accèdent-ils à la troisième étape en principe ? Puis vient l'idée de la souffrance qui va s'ajouter à celle déjà bien trop présente, et enfin celle de l'effort supplémentaire à fournir, et donc celle du temps libre réduit. La nouvelle me tombe comme une massue sur la tête, je retiens une grimace. Ce qui m'attend ne m'enchante pas, mais alors pas du tout. Je suis fatiguée avant même de commencer.
- Le troisième entraînement prend évidemment en compte les deux premières étapes, et ajoute cette fois une dimension spirituelle. Ton esprit entre en compte, pour parfaire et surtout terminer ton entraînement. C'est la dernière étape.
Je le regarde, attendant de connaître la suite. Qu'entend-il par « dimension spirituelle » ?
- Cela veut dire que nous allons continuer ton entraînement physique, nous allons garder le même rythme pour te garder en forme (je retiens un grognement. Je ne suis pas en forme à cause de cet entraînement, sombre abruti. Mais je comprends ce qu'il veut dire et ne fais aucun commentaire), mais ajouter à ça des heures à la bibliothèque pour que tu saches comment fonctionnent les démons, et le maniement des armes.
Donc, nous allons passer des heures en bibliothèque, en plus de celles au gymnase à me garder en forme. C'est une mission-suicide. Pire, mission-impossible. Comment espère-t-il réaliser tout ça ? Nous avons déjà trop peu de temps pour l'entraînement physique, mes nuits sont assez remplies merci beaucoup, je n'ai pas besoin de plus. Il poursuit.
- Si nous voulons avancer assez vite, je vais me débrouiller avec ton père pour que tu puisses rater des jours de cours et venir au gymnase.
De pire en pire.
- Pour ce soir, comme tu as eu ton week-end de perm, nous allons travailler le sport, essentiellement. D'ailleurs, cela fait longtemps que nous n'avons pas travaillé les différents sports de combat qui pourront te servir. Nous allons commencer par boxe, puis arts martiaux, et finir par de l'équilibre. Pas de pouvoirs cette nuit. Allez, installe-toi sur le tatami, j'appelle George. Bien, commençons.
Je retiens un soupir, enroule les bandes autour de mes phalanges et de mes poignets, et j'attends mon adversaire. La nuit va être longue, j'ai horreur de la boxe. Essentiellement parce que je suis archinulle. George entre, ange tout en muscle, nous nous saluons, et le combat commence. J'esquive les premiers coups, en renvois quelques-uns, me fait littéralement insulter par Mentor qui déclame dans le gymnase combien je suis nulle.
- Concentre-toi, Thana, c'est quoi ce travail ?! Concentre-toi bon sang ! Sois plus sur tes pointes de pied, plus agile et rapide, esquive et frappe quand il est déséquilibré par son coup ! Plus de force dans les bras !
Je me mange mon premier coup à la seconde où Mélio entre dans le gymnase, et il me voit voler sur le tapis. J'entends qu'il grogne de mécontentement, et me relève aussitôt pour lui prouver que tout va bien. Je m'habitue, les coups me font moins mal, je les évite plus rapidement, mais le combat dure plus longtemps, et je suis seule, sans secours. Il faut que je me débrouille par mes propres moyens. Et toute la nuit, j'évite les coups, les renvois avec toute la force que j'aie, pousse mon adversaire à terre une fois que je suis bien chauffée. Les arts martiaux me permettent de renverser la donne, et de prendre ma revanche. Je suis satisfaite de voir que je suis encore la meilleure dans ce domaine (bien le seul d'ailleurs), cela me donne plus de force et me booste pour la suite. Nous finissons par un peu d'équilibre, et je retrouve Malcom en forme, souriant et joyeux à l'idée de me voir. La nuit s'achève par une heure de course suivie de pompes, tractions, abdos et squats, et je retourne dans ma suite, éreintée, mais contente et soulagée. La nuit a été plutôt sympa, malgré quelques coups bien sentis, et je m'effondre à moitié dans ma douche. Je n'ai pas envie de dormir, grisée par la chaleur de l'effort intense. La douche glacée me fait un bien fou, et la porte s'ouvre sur... Lachlyn.
- Lachlyn ! m'écrié-je, folle de joie.
Je voudrais me lever mais je tiens le pommeau d'eau glacée, et je risque d'inonder la salle de bain si je le lâche.
- Thana ! Comment tu vas ?
Elle sourit de toutes ses dents, et s'approche de moi. Elle est encore en manteau, emmitouflée dans son écharpe en laine, et je suis immensément touchée de voir qu'elle est entrée pour me voir avant d'enlever ses affaires. Cela me donne comme un coup dans le ventre, et je ne peux réfréner mon sourire ravi. Elle s'approche de moi, et pose ses lèvres encore fraîches sur les miennes. Enfin, elle sent la température de l'eau et pousse un cri.
- Pourquoi tu prends ta douche aussi froide ?
J'éclate de rire, folle d'excitation à l'idée de la revoir. Elle enlève ses affaires, qu'elle pose sur une chaise, et s'assoit sur le bord de la baignoire tandis que je finis de prendre ma douche. J'enfile mon nouveau kimono que je lui montre, et elle s'extasie devant la couleur dudit vêtement, couleur qui, selon elle, me va très bien. Elle me sèche les cheveux, me fait une tresse de manière à cacher ma marque, comme tous les jours, j'enfile mes nouveaux vêtements, et nous attendons que Mélio revienne de sa chasse pour retourner sur Terre. Nous nous installons sur le canapé, et nous discutons un peu.
- Alors, tu as fait quoi de ton week-end ? demandé-je, avide de savoir.
- Je suis restée en famille, d'ailleurs ils ont follement envie de te rencontrer, après tout ce que je leur ai dit sur toi ! Je suis sortie un peu, mais les deux jours sont passés assez vite, j'ai surtout profité de ma famille.
- Ah, super ! Comment vont Sophie et Emile ? Et tes parents se portent bien ? Comment avancent les travaux de la maison ?
- Les jumeaux vont très bien, ils se chamaillent toujours autant, j'ai même l'impression que ça s'accentue avec l'âge, mais ils étaient contents de me voir, et moi aussi. Enfin Sophie a un rhume mais c'est rien. Mes parents sont également en pleine forme, ils ont hâte d'être au bal des Vacances pour pouvoir te voir ! Les ventes d'animaux sont constantes, Papa fait du chiffre donc c'est une bonne chose, et Maman a des horaires plus cool en ce moment, il y a des nouvelles infirmières qui sont arrivées. Et les travaux avancent bien, les entrepreneurs sont dans les temps, c'est parfait !
- Génial, ce sont des superbes nouvelles !
- Et toi, comment tu vas ? demande-t-elle en touchant du bout de ses doigts frois la marque bleue qui s'épanouit sur ma pommette droite.
- Ca va super, écoutes, le week-end de perm m'a fait du bien ! Boxe cette nuit, c'est pour ça.
Mélio entre à ce moment-là, salue chaleureusement Lachlyn, et nous retournons sur Terre. La maison n'a pas bougé, si ce n'est qu'elle a un peu pris la poussière, vu que je ne suis plus là pour faire le ménage, et Louis est toujours là. Sale, puant, endormi dans son fauteuil. Je récupère mon sac de cours, mets les clefs sous le paillasson pour Lucie, et nous nous téléportons au bahut, où Lachlyn nous laisse Mélio et moi, à l'entrée. Je retrouve Milie dans la cour, en train de discuter avec ses amis, ses autres amis, et je la rejoins. Elle me salue en souriant, fait discrètement de même pour Mélio, et c'est déjà l'heure de monter en classe. Je reste éveillée, bien éveillée d'ailleurs, rattrape vaguement le travail à faire pour aujourd'hui, et tiens plus ou moins bien la matinée sans m'endormir. A midi, je retourne à la maison en courant, sachant que Lachlyn dort au royaume, récupère les clefs, prépare le repas pour Louis et moi, et repars aussitôt, le ventre presque vide, de nouveau écœurée par toute forme de nourriture. Je n'ai plus de nouvelles de Tiff depuis quelques semaines, je ne sais pas du tout ce qu'elle devient. Elle m'a expliqué, il y a de ça quelques années, qu'elle avait accès au Paradis, avec le droit de revenir une heure par jour dans le monde des mortels. Elle venait donc chaque soir, mais suite à mon départ au royaume, elle avait pris l'habitude de venir le matin, pour qu'on puisse continuer à se voir. Mais elle ne vient plus, ce qui m'inquiète. Je sais qu'elle n'est pas heureuse au Paradis, étant un fantôme et non un être complètement mort ou entièrement vivant. Entre les deux, Tiff est entre les deux. Elle est coincée dans cet état pour toujours, et je ne peux rien y faire. Au moment où je claque la porte, je fais volte-face et décide de laisser un mot pour elle. On ne sait jamais.
« Tiff, ma chérie, c'est Thana. Je n'ai plus de nouvelles de toi, je ne sais pas ce qu'il se passe. Tu ne peux plus venir le matin ? S'il te plaît, envois-moi un signe, je m'inquiète pour toi. Je t'aime, mon cœur, ne l'oublie jamais. Nous allons trouver une solution, pour tout. Thana »
Je pars, mon sac sur les épaules, et cours sur les toits. Mélio me propose de m'emmener, mais j'ai besoin de courir par moi-même, inquiète et furieuse. Inquiète pour Tiff, qui est peut-être coincée au Paradis, furieuse de la savoir seule et malheureuse, furieuse de ne plus la voir, furieuse de ce que j'ai fait. Je cours vite, je m'essouffle rapidement, et arrive au bord de l'apoplexie au lycée. Pendant le reste de la première heure de cours, je reste éveillée, rongée par l'angoisse et la colère, mais je m'endors l'heure d'après, somnole pendant la troisième, et pense pendant la dernière. Le week-end de perm me permet de tenir le coup, mais je sais que ce ne sera plus le cas très longtemps. Nous rentrons à la maison où nous sommes attendus par Lachlyn, je dépose mon sac, et nous mangeons un morceau. Je les laisse un moment pour voir si Tiff m'a répondu. Et je trouve effectivement quelque chose, mais qui augmente grandement mon inquiétude.
« Thana je peux p »
C'est tout ce que j'ai. Je sais que c'est Tiff car je reconnais son écriture, mais ce bout de phrase manquant fait monter l'angoisse, comme une vague qui grossit pour devenir un tsunami, avant de déborder en moi. Je commence à paniquer, à respirer fort, vite, mon rythme cardiaque s'accélère, mais je m'enjoins au calme. Il ne faut pas montrer ce que je ressens. Un masque, un masque impassible, calme. Je ferme les yeux, me force à respirer lentement, et les rouvre enfin lorsque je me sens plus calme. Je prends un stylo et griffonne quelque mot pendant que Lachlyn m'appelle. C'est déjà l'heure d'y aller.
« Tiff, que se passe-t-il ? Dis-moi à quelle heure tu es libre pour qu'on se voie, je t'en prie. Je t'aime très fort, j'espère que tout va bien. Bisous, Thana »
Je laisse le stylo sur le papier et repars, le visage impassible. Nous partons au château, je me change et retourne au gymnase, pour une nouvelle nuit d'entraînement. Nous nous travaillons sur mes pouvoirs pendant plusieurs heures, nous travaillons la musculation, l'endurance, la vitesse, l'équilibre, l'agilité, et nous finissons par un tour à la bibliothèque, alors que la nouvelle journée commence.
- Bon, écoute-moi bien. Tu as besoin de connaître le peuple des démons, les coutumes, le mode de vie, de fonctionnement, par cœur. Pour ça, je vais te donner des listes de livre à lire, je veux que tu retiennes tout ce que tu lis, et tu auras chaque jour une interrogation d'une heure, en début de cours, sur ce que tu as du retenir dans les livres que je te donnerais à lire. Je ne veux aucune note en-dessous de dix-huit sur vingt. Bon, on va commencer par le basique, le mode de vie des démons. Tu vas lire ça, dit-il en prenant un premier livre relié en cuir rouge d'environ deux cent pages, ça et ça.
Ça me fait trois livres, chacun de deux cent pages, je dirais.
- Je dois les lire pour quand ? demandé-je.
- Ce soir, répond-il. Vu que tu ne rates pas les cours, mets-les au moins à profit. Mais sache-le, tu retrouveras dans chaque évaluation des questions sur des livres que tu as lus précédemment, donc tu devras retenir au long terme.
Donc les siestes pendant les cours sont terminées. Je prends les livres, jette un coup d'œil aux titres, assez évocateurs du contenu « Mode de vie des démons », « Quotidien à l'Empire », « Les démons en règles de base ». Nous redescendons, je file dans ma suite prendre une douche et me changer, et nous retournons sur Terre, où je vais au lycée. Six heures de cours, six heures de lecture, c'est parfait. Je prends des notes au fur et à mesure de mes lectures, essaie de retenir un maximum d'éléments, fais des analogies avec les anges pour mieux retenir, cherche des moyens mnémotechniques. J'ai une mémoire très sélective, et je sais que je ne retiendrais jamais tout ça. Emilie me jette des coups d'œil inquisiteurs, mais je ne dis rien, cache l'objet de mes lectures, pour ne pas qu'elle sache. Révéler le contenu des entraînements est interdit. Et dire que je veux approfondir ma culture serait gonflé, étant donné que je mets habituellement ce temps à profit pour dormir. De plus, elle me reprocherait, et à raison, de lire au lieu de passer du temps avec mes amis. Je lui explique en quelque mots que ce sont des devoirs à faire, et elle devine qui me les donne, ne pose donc plus de questions. A un moment, elle va jusqu'à me couvrir, lorsque le professeur s'approche de nous, elle cache de son cahier mon livre, pour ne pas qu'on me le confisque, et l'enlève une fois qu'il est passé.
- Merci Emilie, dis-je avec un sourire reconnaissant.
Elle sourit en retour et je me replonge dans mes lectures. Je lis lentement, en prenant mon temps pour retenir le plus de choses possible, et lorsque je retourne à la maison sur Terre le soir, j'ai fini les livres. Je cherche une réponse de Tiff, mais rien ne m'attend, et je m'efforce de respirer lentement et de ne pas me laisser aller à la panique. Nous retournons au royaume, je me change, et m'assoit à un minuscule bureau au centre du gymnase. J'ai quatre feuilles de questions, agrafée ensemble, pas de QCM, mais des questions dont il faut construire, détailler la réponse. Un stylo bic bleu et un correcteur sont à ma disposition.
- Thana, tu peux commencer. Tu as une heure.
Je prends les feuilles, lis d'abord toutes les questions, et les attaque. Je suis sûre de certaines choses, hésitantes sur d'autres. Je réponds au pif pour trois réponses, puisant dans ce que je sais vaguement et ce que je m'imagine beaucoup, et essaie d'être le plus précis possible.
- L'heure est terminée, tu lèves ton stylo.
Je m'exécute, lui tends ma copie, et il m'ordonne de courir une heure. Je pars, profite de cette course pour me détendre, me défouler, évacuer dans cet effort intense le stress, l'inquiétude, la rage, la fatigue, la faim. Tout ça sort sous forme de pas, m'évitant de crier. La course est le meilleur moyen de me défouler, de m'aider à garder mon calme. Je reviens au bout d'une heure, et il me tend ma copie. Dix-neuf sur vingt. Je souffle, soulagée.
- Bon, c'est juste assez. Ce n'est pas encore parfait, mais c'est assez. Tu vas relire ta copie, voir ton erreur, et surtout trouver ta réponse. Pour cette nuit, nous allons continuer dans le physique, arts martiaux de nouveau, un tour aux Chutes car il y a longtemps que tu n'as pas nagée, et nous finirons par un nouvel exercice.
Je prends les bandes qui m'attendent sur le tatami, les enroule autour de mes phalanges et mes poignets, et retrouve George, qui me sourit gentiment avant de commencer. Mélange de boxe, karaté, judo, jiu jitsu, taekwondo, tous les sports sont utilisés dans un vrai combat, un combat violent mais juste, à forces égales. Une fois le combat terminé, alors que je m'apprête à en entamer un autre, Mentor m'appelle et nous nous dirigeons vers Merxil. Le petit dragon jaune, frère d'âme de Mentor, m'accueille avec un sourire chaleureux, et je monte derrière mon maître, qui me tend un sac en toile.
- Maillot de bain et serviette. Une fois aux Chutes, tu enfiles ça et tu plonges.
Nous arrivons. Je me cache derrière un buisson, enfile le maillot de bain une pièce, et saute vite avant d'avoir le temps de réfléchir à mon geste. Je sais que si je regarde en-dessous et cherche le courage de sauter, je ne vais jamais y aller. C'est bien trop haut. Alors je coure de manière à ne pas pouvoir m'arrêter une seconde avant, et saute de toutes mes forces. Je percute l'eau avec la puissance d'un boulet de canon, et la température me coupe le souffle. Je remonte à la surface et prends une grande respiration, puis nage pour éviter de faire de l'hypothermie. Je nage vite et de toutes mes forces pour lutter contre le courant qui m'entraîne vers un autre palier des chutes. Les Chutes sont comme des escaliers, il y a un étang tout en haut de la montagne, puis une première chute, un étang, un deuxième, un étang, une troisième, un étang, etc. jusqu'au dernier étang, une sorte de piscine géante, plus calme. Il y a six paliers, en comptant celui tout en haut et la piscine finale, j'ai sauté dans le troisième depuis le deuxième, mais même à cette altitude, l'eau est glaciale. En même temps, nous sommes en plein mois de novembre, alors qu'on ne s'étonne pas si j'ai la crève. Je nage pendant une petite demi-heure, puis Mentor me donne des exercices, d'apnée essentiellement, et enfin, lorsque je sors de l'eau, je grelotte tellement que mes dents font un boucan d'enfer. Je me sèche et m'habille rapidement, et nous repartons au château. Je sens l'effort de Merxil pour me refiler de sa chaleur corporelle, et je l'en remercie, transie de froid. Nous arrivons au gymnase vers trois heures du matin, et je m'enroule dans une serviette que Mentor a fini par me donner, excédé de m'entendre claquer des dents, en écoutant les consignes de ce nouvel exercice, que je redoute.
- Lorsque tu seras chez les démons, tu devras être à même de te protéger quel que soit ton attaquant, et surtout, quelle que soit la situation. George est un bon combattant, il te permet de perfectionner ta technique, ce qui est primordial, mais il se bat à la loyale. Ce que tu dois savoir, c'est que les combats à la loyale n'existent pas, quand on est un ennemi. Tu utilises tout ce que tu as sous la main pour te défendre, sans aucune distinction entre ce qui est bon et ce qui ne l'est pas. De toute façon, dans ce genre de situation, la frontière bien/mal n'existe plus. Pour être à même de résister à ce genre d'assaut, j'ai pensé à un lieu qui pourrait te permettre de découvrir cette violence sauvage que tu vas devoir non seulement combattre, mais adopter. Donc nous allons aller dans la rue.
Je le regarde, éberluée. Dans la rue ? Pourquoi diable devrions-nous aller dans la rue ?
- Les histoires d'agressions sexuelles de jeunes femmes par des hommes au milieu de la nuit ne sont malheureusement pas un mythe. Je veux donc que tu ailles te battre là-bas.
- Il y a des agressions sexuelles chez les anges ?!
- Mais pas chez les anges, banane, s'exclame-t-il en levant les yeux au ciel. Nous allons aller sur Terre !
Ah oui, tout de suite je comprends mieux.
- Appelle Lachlyn, dis-lui de venir ici, et enfile ça, ordonne-t-il en me lançant un bout de chiffon rouge.
J'attrape le tissu au vol, le déplie pour dévoile... une robe. Enfin un t-shirt serait plus juste.
- Je vais vraiment porter ça ?!
Il me détruit du regard et je la boucle. Je lui tourne le dos, enlève mon uniforme de sport, et enfile cette horreur que quelqu'un a un jour appelé une robe courte. En fait, elle ne m'arrive pas à mi-cuisse, je n'ose pas faire un pas. Je dois avoir l'air jolie, là-dedans. J'envoie un message à Lachlyn, qui arrive aussitôt, et regarde Mentor. Son regard glisse sur moi sans me voir, quand elle me reconnaît enfin. Elle me dévisage, ahurie, et je vois qu'elle voudrait rire, mais mon regard noir l'en dissuade.
- Nous allons sur Terre.
- Quelle adresse ?
Il lui tend un morceau de papier et elle hoche la tête. Pourquoi ne veut-il pas que je sache, c'est la question. Mais pour le moment, je m'en tape royalement, concentrée sur l'action de tirer la robe vers le bas pour essayer vainement de cacher mes jambes alors que je marche vers Lachlyn. Mentor me balance des talons dans la figure, je les mets, et nous partons sur-le-champ. Le froid frigorifiant qui nous assaille me rappelle alors que je n'ai pas de manteau, et que je vais le regretter. Le rue est sombre et glauque à souhait, vide, exemptée de toute lumière ou d'une quelconque forme de vie. Le froid est mordant, même si nous avons perdu de l'altitude, et la chair de poule déclenchée par ma natation nocturne revient. Je grelotte, et me retourne pour lui demander d'aller me chercher un manteau, mais Mentor prend la parole avant que je n'aie pu dire un mot.
- Nous sommes de retour dans une heure, près de la gare. A tout à l'heure !
Et ils partent, sans plus de cérémonie. Mais ce type est malade ! Nom d'un chien, qu'est-ce que je le hais !

Des ailes dans le dos - MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant