Chapitre 37

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Avec un soubresaut, je vomis tout ce que j'ai dans le ventre, penchée au-dessus de la cuvette des toilettes. J'avoue que je n'avais pas pensé à ça. L'odeur me dégoûte et, avec un nouveau haut-le-cœur, je rends l'intégralité de mon repas, ne me laissant qu'une bile amère dans l'estomac. Dieu merci, Mélio est allé redescendre le chariot, laissant les plats entamés dans le salon, pour ce soir. Je suis seule, et c'est tant mieux. Il est hors de question qu'il me voit dans cet état-là. L'instant était parfait, jusqu'à ce que mon ventre me fasse un monstrueux coup bas. Je ferme les yeux, les larmes coulent sur mon visage, ma gorge et mon nez me brûlent, mon ventre me fait affreusement mal, la tête me tourne. Je me sens très mal, à cet instant précis. Je reste encore quelques secondes penchées sur les toilettes, incapable du moindre mouvement, avant de me secouer. Il faut que je nettoie tout avant que Mélio ne revienne. Je me lève, le monde tourne dangereusement pendant une seconde, mais je ferme les yeux, inspire longuement par la bouche pour éviter de sentir cette odeur nauséabonde qui envahit la salle de bain, et expire lentement. Puis j'ouvre les yeux et me bouge. Je tire la chasse, quatre fois pour vérifier qu'il ne reste plus aucune trace, ouvre la fenêtre, cherche de l'eau de Javel dans les tiroirs pour nettoyer les toilettes, mais l'odeur persiste. Seigneur, j'en ai dans les cheveux. L'idée me dégoûte tellement que je sens la bile qui menace de remonter, mais je prends sur moi et place la tête au-dessus de la baignoire. Je me les lave en quatrième vitesse, mets du désodorisant dans la pièce, et ouvre la porte pour créer un courant d'air. La vue des aliments me soulève le cœur et je m'empresse de les foutre dans le premier placard qui me tombe sous la main. J'aère le plus possible, mets ma chemise de nuit dans le lavabo, enfile mon kimono et passe mon pyjama sous l'eau, avant de le mettre au sale. A ce moment-là, Mélio entre dans la pièce. Il remarque aussitôt la fenêtre ouverte, mon kimono propre, les aliments rangés, et saute sans tarder aux conclusions.
« Quelque chose ne va pas ? »
- Non, t'inquiètes, tout va très bien, je m'apprêtais à al... finir de prendre ma douche, comme tu peux voir.
« Tu t'es lavée les cheveux ? »
Je m'empêche de me mordre la lèvre et invente le mensonge le plus pourri de l'Histoire de l'Humanité.
- Je me suis rendue compte que j'avais oubliée de prendre mes vêtements une fois que j'avais les cheveux mouillés et, idiote comme je suis, je n'ai pas pensé à y aller à la fin de la douche !
Je ponctue ma phrase d'un rire que j'espère convaincant, et m'échappe dans ma chambre pour éviter les questions. C'est vraiment pas le moment. Je me force à penser à autre chose, et décide de chanter à tue-tête les chansons de Sister Act dans ma tête, autant pour le dissuader de venir que pour penser à autre chose. J'attrape mon jogging préféré, celui qui est suffisamment ample pour me cacher mais qui ne me donne pas l'air d'un squelette dans un drap, et un t-shirt du même genre. La tenue parfaite pour passer un après-midi avec sa meilleure amie à qui on veut cacher qu'on souffre très certainement d'anorexie grave. Je traverse le salon en sautillant, ravie de cette virée shopping rien que nous deux, et me dépêche de prendre ma douche. L'eau chaude relaxe mes épaules tendues par la pression et le mensonge, et je profite au maximum de ce moment sous l'eau chaude, lorsque je pense à Lachlyn. C'est étonnant qu'elle ne soit pas encore là ! Je n'ai pas pu la prévenir de mon week-end de perm, donc elle devrait être là depuis belle lurette. Cela dit, je ne me fais pas d'illusion, je me doute que quelqu'un a dû lui dire, mais je ne comprends pas son absence. Aurait-elle eu un problème ? Je lui envoie un bref message pour savoir si tout va bien, termine de prendre ma douche, me sèche difficilement les cheveux, et sors de la salle de bain. Je vais ranger mes affaires, et prépare mon sac pour partir, lorsque je réalise que je suis face à un problème majeur. Je n'ai pas un sou humain, et je ne sais pas où convertir la monnaie ange. Je reste interdite face à mon sac vide, ne sachant que faire. Finalement, j'envoie un message à Emilie. Elle me répond dans la minute en me disant qu'elle aussi doit changer de l'argent. Je mets mon sweat gris dans mon sac, mon porte-monnaie, je vais chercher deux viennoiseries dans le salon, enfile mes baskets en toile, et embrasse Mélio.
- J'y vais mon grand, à ce soir !
« Tu ne vas pas me manquer, morveuse ! »
Je lui donne une tape sur l'oreille, le serre dans mes bras, et amorce un mouvement vers la porte. Je me ravise.
« Tu n'as pas de nouvelle de Lachlyn, par hasard ? »
Je suis repassée au mode pensée, naturellement.
« Oh mince, j'ai oublié de te dire ! Hier soir, comme tu es revenue morte de fatigue, je l'ai prévenue que tu étais en perm, et que ce n'était pas la peine de venir ce week-end. Je me suis dit que ce serait bien si elle pouvait profiter de son week-end. »
« Tu as bien fait, merci. Quel gros benêt, quand-même ! Bon, je n'ai plus qu'à lui renvoyer un message. Allez, à toute, mammouth ! »
Il me pousse dans le dos, et je me mange la porte en riant.
- Bonne chasse Mélio.
« Je t'aime. »
« Moi aussi. »
Je quitte la pièce, tape un message à Lachlyn en descendant les escaliers, et retrouve une Emilie surexcitée dans la salle à manger. Elle me saute littéralement dans les bras, et je la dévore des yeux tandis qu'elle m'explique avec une adorable excitation qu'elle peine à contenir combien elle est heureuse de passer ce moment avec moi. Et c'est on ne peut plus réciproque. Nous avons perdu la complicité que nous avions, et je veux la retrouver, car je sais qu'elle n'est pas très loin, juste un peu cachée par une dose de distance, comme les effets secondaires de mon emploi du temps surchargé mais également, il faut bien le dire, de notre dispute. J'essaie d'oublier tout ça, je me contente de la regarder, je veux remarquer, retenir chaque détail de son visage, de son corps, voir combien elle a changé, sous mes yeux, et combien j'ai été aveugle. Aveuglée, c'est vrai, mais même lorsque l'éclat était moins fort, je n'ai pas su ouvrir les yeux. Inutile de se leurrer, j'ai été absente, volontairement parfois. Elle sauta partout, montée sur ressorts, un sourire de trois kilomètres scotché sur le visage, les yeux pétillants de joie. Elle ne peut réprimer son excitation, alors que j'ai du mal à me laisser aller, à me détendre. Mais j'ai intérêt à le faire rapidement, si je ne veux pas qu'elle le remarque et qu'elle pose les mauvaises questions. Emilie est une très belle femme, pleine de vie. Il y a certaines personnes qui sont rendues belles par la vie qui les anime, qui les porte et leur fait ressentir les émotions à 100 pourcent. Mais Emilie est une belle personne naturellement. Pour l'occasion, elle a relevé ses cheveux châtains en un chignon savamment travaillé, duquel s'échappent quelques mèches ondulées, et s'est maquillée, mettant en valeur ses splendides yeux violets. Mauves, serait plus exacte. D'un bleu lavande très doux, ils sont très beau et ne passent pas inaperçu, suscitant chez tous l'admiration, parfois même la jalousie. Mais personne ne peut haïr cette fille, car elle est si douce, qu'il faudrait être un monstre pour ressentir des sentiments négatifs à son intention. Soudain, elle tourne la tête vers moi et plonge ses yeux doux dans les miens, brûlant visiblement de me raconter quelque chose. Je hausse un sourcil, lui donnant le signal pour qu'elle démarre son récit.
- Thana, Maxime m'a enfin embrassé ! s'exclame-t-elle en tentant vainement de baisser la voix pour ne pas attirer l'attention.
Je tombe des nues. Maxime, euh, Maxime ? Impossible, il est avec Nelly, non ? C'est bien comme ça qu'elle s'appelle, cette grande blonde sulfureuse ? J'écarquille les yeux, surprise par cette nouvelle, et souris de toutes mes dents.
- Ah, bah il était temps ! Ça fait combien de temps exactement que vous êtes en train de vous tourner autour ? Bon, raconte !
L'angoisse monte en moi. Il va lui faire du mal. Il ne doit pas lui faire le moindre mal, car elle serait blessée trop facilement. Il l'a embrassé bon sang. Tu parles d'une mauvaise nouvelle. Mais je dois feindre la joie, car elle ne sait pas et ne dois surtout pas savoir pour Nelly. Vu sa tête, je devine aisément qu'il ne lui en a pas parlé, et c'est tant mieux. Inutile de causer des dommages inutiles. Mais je suis triste, triste d'apprendre qu'Emilie est entrée dans un cercle dont je veux la voir sortir au plus vite. Je ne veux pas qu'elle souffre. Je réprime un soupir et écoute son récit. Visiblement, il a enfin pris conscience que les pouffiasses du genre de sa blonde ne sont pas son genre, et qu'il serait temps d'essayer avec Emilie, depuis le temps. Essayer. Ce n'est pas le mot qu'elle a employé, et tant mieux, mais c'est le seul qui me vient à l'esprit pour qualifier la décision de Maxime. J'apprécie ce type, il est drôle et plus naturel sans Emilie, mais ce n'est pas l'homme qu'il lui faut, car il va lui faire du mal alors qu'elle voudra le ménager à tout prix. Je la regarde sautiller partout, « éperdue d'amour » pour son homme. Elle est belle, comme ça, heureuse, oui elle est heureuse et ça se voit et ça me ferait du bien, si ce n'était pas ça. Heureusement, nous sommes arrivés au relai, où nous échangeons de l'argent en silence, et son excitation retombe. L'homme nous emmène et une fois dans le grand centre commercial, Emilie oubli vite Maxime pour ne se concentrer que sur moi, ce qui me touche.
- Bon, raconte-moi, toi ! Comment ça se passe l'entraînement ? Et Mélio ? Ca va toujours avec lui ? Aymeric m'a dit que tu ne le voyais quasi plus...
- Bah écoute... oh, j'ai un scoop !
Ses yeux s'écarquillent et je sens l'excitation monter en elle.
- Aymeric va se remarier !
Elle tique, comme à chaque fois que j'appelle mon père par son prénom, avant de se concentrer sur l'information essentielle : Sofia.
- Attends, quoi ?
- Je vais avoir une belle-mère, ouais ! dis-je avec une excitation qui me surprend moi-même, avant de m'enchanter.
Ca y est, la virée shopping peut commencer.
- Houla raconte !
- Bah en gros, elle s'appelle Sofia, elle parait hyper jeune, elle doit avoir vingt ans à peine, ça me choque grave mais...
- Pas sûr, tu sais... les anges ne vieillissent plus à la même vitesse passés leurs dix-sept ans, tu te souviens ?
Pour le coup, je l'avais oubliée, cette information. En y repensant, le seul vieil homme que j'ai vu depuis trois mois, c'est... mais quel âge a donc Mentor ? Mais mon ventre se serre à l'évocation de cet homme qui fait de ma vie un Enfer, et je reviens sur Sofia.
- C'est vrai, j'avais complètement oublié ! Bon bah on dirait qu'elle a vingt ans ! Cela dit, mon père n'a pas l'air beaucoup plus vieux non plus... Bref, elle est de taille normale, comme toi je dirais, brune, aux yeux bleus évidemment, très belle et toute mignonne, elle était hyper gênée avec moi, c'était hyper drôle !
Emilie me balance un coup de coude dans les côtes en riant.
- Oh, la pauvre, t'aurais pu être sympa avec elle quand-même...
- Tu vas être surprise d'apprendre, ma chère Emilie, que je l'ai été !
Elle écarquille les yeux avant de me regarder d'un air sceptique.
- Bon, OK, j'ai carrément écourté le repas et j'ai évité de la revoir au maximum après mais... j'ai été très polie, sympa, tout ce que tu veux !
Emilie éclate de rire.
- Ah, ça m'étonnait ​aussi ! J'espère bien que t'as été polie et sympa, si tu as refusé de la voir !
Nous entrons dans le premier magasin sans même nous en apercevoir, et Emilie jette un coup d'œil vague aux rayons, son attention concentrée sur mon récit.
- Bon, tu lui as parlé au moins ? demande-t-elle plus sérieusement.
- Mais oui t'inquiètes, je t'ai dit qu'elle était sympa ! Non franchement elle est hyper mignonne, toute gênée, mais vraiment trop sympa, elle m'a demandé d'être sa demoiselle d'honneur.
Emilie tourne les yeux vers moi, surprise.
- Waouh ! Elle est sympa dis donc ! Et... tu as accepté ?
- Oui !
- Cool ! s'exclame-t-elle en haussant la voix, se faisant se retourner quelques personnes sur notre passage. Bon, parle-moi d'elle. C'est quoi son pouvoir ? Ils vont se marier quand ? Ils se connaissent depuis combien de temps ? Qui est au courant ?
- Eh, doucement les questions ! ris-je. Bon, euh déjà, je n'ai aucune idée de son pouvoir, on n'a pas beaucoup parlé, je te signale.
Elle rit en plissant les yeux jusqu'à presque les fermer. Elle est adorable, et je me sens merveilleusement bien avec elle.
- Sinon, elle a une toute petite bouche très rouge, c'est hyper drôle ! Non, très sérieusement, on dirait une poupée. Aymeric crève d'amour pour elle, ils roucoulent à tout bout de champ...
- Ce qui explique que tu aies abrégé ! me coupe Emilie en se tordant de rire.
- Oh ça va hein ! Tu sais que les bisous-câlins genre « bienvenue au monde des bisounours », c'est pas mon truc ! Mais oui, c'est une des raisons pour lesquelles j'ai effectivement coupé court au repas. Euh, pour la date du mariage, Papa parlait de se marier au printemps, genre avril-mai, dans ces eaux-là quoi, et ils se connaissent depuis...
Je fouille dans mes souvenirs pour retracer la conversation que nous avons eue.
-... quelques semaines. Il ne m'a pas donné de date précise, il a juste dit « quelques semaines », pas avant la rentrée j'imagine.
Emilie laisse échapper un hoquet de surprise.
- Ils veulent se marier alors qu'ils ne se connaissent que depuis quelques semaines ?
- Je crois que c'est mot pour mot ce que j'ai dit à Aymeric. J'étais hyper choquée, mais je dois dire qu'en fait, quand j'ai parlé avec elle après... ça se comprend. Elle a le contact super facile, elle est hyper gentille, et ils sont fous amoureux l'un de l'autre. Mais j'avoue que ça me paraît vraiment rapide. Je comprends pas pourquoi ils se précipitent comme ça...
Emilie se tortille sur place, les mains fixées sur la barre qui soutient les vêtements, signe qu'elle est gênée.
- Milie ? Il se passe quoi ?
Soudain, elle éclate de rire.
- Je crois que je sais pourquoi ils veulent se dépêcher de se marier !
- Ah bon ? Et c'est si drôle que ça ?
- Pas pour toi, surtout s'il s'avère que c'est la vraie raison ! De toute façon, je te rassure, aucune chance que tu ailles lui demander si c'est pour cette raison !
Elle rit à gorge déployée, appuyée sur les chemisiers qu'elle regardait un instant plus tôt, ne pouvant plus me regarder sous peine de repartir en fou rire.
- Bon, crache le morceau ! m'exclamé-je, excitée par la nouvelle et dévorée par la curiosité.
- Tu sais que pour les chrétiens, il est « interdit » de coucher avant le mariage... ? demande-t-elle en faisant des guillemets avec ses doigts sur le mot « interdit ».
- Euh, possible que j'en ai entendu parl... attend, tu n'insinues pas que... ?
Elle hoche la tête en repartant de plus belle, pliée en deux. Je suis choquée, interdite, incapable de la moindre réaction. C'est pour cette raison qu'ils voudraient se marier si tôt ? Si ça fait beaucoup rire Emilie, moi un peu moins.
- Eh, mais c'est de mon père qu'on parle là !
- C'est pour ça que c'est si drôle !
Je lui donne un coup de coude dans le ventre et souris, amusée. Mais je suis quand-même choquée. J'avoue que je n'ai jamais abordé le thème de la sexualité, sous quelque angle que ce soit, et je n'ai aucune envie que ce soit en parlant de mon père que je l'aborde pour la première fois. Emilie se calme et reprend son sérieux.
- Non, t'inquiètes Thana, je disais ça pour plaisanter. Ton père est le roi, il sait qu'il ne peut pas divorcer, car il est censé donner l'exemple, et il est interdit de divorcer, dans la religion chrétienne. En plus, c'est le roi, alors il donnerait un sacré statut à Sofia en la déclarant sa femme. T'inquiètes, je pense que ton père a beaucoup réfléchi à cette question, et qu'il a fait son choix avec soin, car il connait les conséquences d'un tel acte.
Je hoche la tête, rassérénée, et nous nous concentrons sur les vêtements que la boutique met en vente. Soudain, une idée me traverse l'esprit, qui me fait bien sourire.
- Emilie, j'ai un jeu à te proposer...
- Mmh ?
Elle est penchée sur des chemisiers de différente couleur. Elle les regarde tous en m'écoutant.
- Un jeu qui pourrait bien énerver les vendeurs...
Elle lève immédiatement la tête, les yeux animés d'une lueur joueuse.
- Ouh, regardez-moi ce sourire mesquin, dit-elle en riant.
Je ris à mon tour, avant de lui parler de mon idée

Des ailes dans le dos - MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant