- Tiens, ça te dirait qu'on se fasse un truc ce soir ? Mentor a rendez-vous avec mon père, j'ai ma soirée ! proposé-je dans la journée, enthousiaste à l'idée de passer du temps avec mes amis, à défaut d'avec Lachlyn à qui j'ai proposé en premier.
Mais à ma grande surprise, Emilie se tortille sur sa chaise et me regarde d'un air coupable, visiblement très gênée.
- Euh... j'aimerais beaucoup, mais j'ai un rendez-vous avec Maxime ce soir...
- Oh, mais c'est pas grave ! C'est à quelle heure ? T'as qu'à venir après !
- Thana, un rendez-vous avec Maxime, articule Emilie en appuyant sur chaque mot pour que je comprenne le sens de sa phrase. Je vais passer la soirée avec lui.
- Oh.
Et là, je ne sais pas qui de nous deux est la plus gênée. Quelle idiote je suis, ma parole ! Mais c'est pas vrai ! Je me foutrais des gifles... Je retiens un soupir d'exaspération à mon égard, de peur qu'elle l'interprète mal, et souris.
- C'est pas grave Milie, t'inquiètes, profite de ta soirée avec lui !
Elle sourit timidement, et reste muette, ne sachant que dire. J'essaie de briser cette atroce gêne entre nous.
- Il t'emmène où ? demandé-je, curieuse de savoir.
Je suis ravie, mais alors enchantée de voir que Maxime tient vraiment à mon amie et fait des efforts. Elle rosit légèrement et retrouve un sourire franc.
- Je sais pas encore, il a pas voulu me dire... j'ai hâte !
- Tu dois le retrouver à quelle heure ?
- Il m'a dit de venir à sept heures dans la salle à manger, j'aurais tout juste le temps de me préparer !
- Quoi ? Mais on finit à cinq heures !
- Bah oui, bien ce que je dis !
J'éclate de rire. Elle ne pense pas sérieusement à se préparer pendant deux heures ?! Vu sa tête on ne peut plus sérieuse, si, visiblement.
- Alors comme ça, tu as ta soirée ? demande mon amie en rebondissant sur ma remarque.
- Ouaip ! Mentor n'est pas libre, alors j'ai la paix pour quelques heures. Je dois le retrouver à vingt-deux heures, mais d'ici là, je fais ce-que-je-veux ! dis-je en appuyant bien sur les quatre derniers mots.
- Tu vas voir le groupe, c'est ça ?
- Je pense, ouais, s'ils ont du temps. Je vous vois tous de moins en moins, alors c'était l'occasion de passer du temps avec vous, comme au début de l'année, mais vu que Maxime et toi ne serez pas là, je serais seulement avec Iz, Norbert et Martha. Enfin, s'ils sont libres ! J'espère, j'en ai marre de plus les voir.
Elle hoche la tête, et ouvre la bouche pour parler mais se voit coupée dans son élan par la prof de latin, qui la rabroue avec une violence à laquelle Emilie n'est pas habituée.
- Mademoiselle Astrian, vos bons résultats ne vous dispensent pas d'écouter mes cours !
Elle écarquille les yeux et se tait, surprise par la véhémence du ton de la prof, qui retourne à son cours.
- T'inquiètes, chuchoté-je, c'est contre moi qu'elle en a.
- Chut ! souffle Emilie.
Je retiens un soupir, et me tais. Je sors mon fide, à la place, et envois un message à Martha. Comme elle a réussi son examen, elle est en vacances, ce qui n'est malheureusement pas encore le cas d'Iz et de Norbert.
Je suis libre ce soir jusqu'à vingt-deux heures, on se fait un truc, Norbert, Iz, toi et moi ? Milie a un RDV avec Maxime. Thana
La réponse ne se fait pas attendre, ce qui me réjouit.
Iz a également un date, et Norbert doit déboucher les toilettes, travaux d'intérêt général, il s'en est chopé quatre heures l'autre jour, je te raconterai ;) On se fait un truc toutes les deux ?
J'esquisse un sourire, amusée par la nouvelle, bien qu'un peu déçue. Mais je dois dire que l'idée de passer une soirée avec Martha me ravie absolument.
Avec plaisir ! J'ai hâte ;) On se retrouve dans la salle à manger à dix-huit heures ?
Parfait !
Je range la plaque bleue et sors un stylo, que je fais machinalement tourner dans ma main. Je m'ennuie, qu'est-ce que je m'ennuie. Bon, va falloir que je m'y remette, autant prendre de l'avance, ça ne peut pas me faire de mal. Donc je sors un énième bouquin, que je commence à lire. Heureusement que je lis vite. Cette fois, le sujet est plus intéressant qu'hier, où il portait sur les plats typiques des démons, et il ne me donne pas envie de gerber. Je me plonge donc dans les métiers divers et variés qui sont proposés à ce peuple qui me fascine.
A force d'en apprendre de plus en plus sur eux, j'en viens presque à les aimer. Evidemment, leurs torts ne sont pas mentionnés lorsqu'on parle de leur culture, mais je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi cette haine persiste entre les deux camps. Comment peut-on haïr quelqu'un quand on voit comment il fonctionne, comment il pense, vit, mais surtout, quand on aime cette manière dont il fonctionne ? Ils sont cultivés, ils ont une histoire riche qu'ils se sont appropriés, au même titre que leur identité, ils ne sont pas seulement un peuple créé à la va-vite pour révéler leur nature aux humains, non, ils ont des croyances, des habitudes, des familles. Alors pourquoi cette haine ? Sont-ils vraiment les méchants, dans l'histoire ? Qui est juge ? Est-ce que les anges savent ce que je lis sur les démons ? Ont-il la moindre idée de la culture de cet ennemi ? Est-ce que mon père ferait preuve de bourrage de crâne pour ancrer une haine de principe, bien plus dangereuse qu'une haine construite, chez les anges ? Je lève les yeux de mon livre, plongée dans mes pensées. Et je réalise soudain que la meilleure personne pour parler de tout ça avec, c'est bien sûr Teria. Bien plus instruite qu'elle ne semble l'être au premier abord, je sais qu'elle aura un avis tranché et réfléchi sur la question. Mais d'ici, la distance qui me sépare d'elle est trop importante pour que je puisse la contacter d'ici. En attendant la fin de cette journée qui s'annonce mortelle au sens propre du terme (je ne suis pas sûre d'en venir à bout, je sens déjà mon cœur ralentir à mesure que l'ennui s'ancre un peu plus profondément en moi), je sors mes écouteurs, et les plante férocement dans mes oreilles, exaspérée par le bourdonnement nasal que produit la prof. Mais qu'est-ce que je fais là ? Hallucinant, le temps que je perds passé entre ces quatre murs. Je lance « X Gon Give It To Ya », de DMX, et mon pied bat automatiquement la mesure. D'une main, je continue à faire tourner le stylo dans ma main et de l'autre, je tape discrètement sur la table pour créer un rythme calé sur la chanson. Je tourne la tête vers la fenêtre en un geste devenu tellement habituel que je m'en rends à peine compte, et contemple le stade vert bouteille qui semble me narguer. Je donnerais un bras pour pouvoir sortir, respirer à pleins poumons cette odeur fraîche et alléchante d'herbe humide, pour sentir le vent glacé pénétrer dans mes poumons et ressortir, comme un seau de glaçons se déversant dans ma trachée. A défaut de ça, j'ouvre la fenêtre, debout, et prends tout mon temps, cherchant un prétexte pour rester debout, la tête penchée dehors par la minuscule ouverture de la fenêtre, comme un chien qui cherche la vitesse et la nature lorsqu'il sort la tête de la voiture. Voiture. Je suis exactement comme un chien dans une voiture. Mais je ne suis pas dans la voiture. N'est-ce pas ? Ma respiration s'accélère, j'ai chaud, horriblement chaud, je rentre la tête dans la classe, les tables commencent à tourner, non, pas encore, je ne suis PAS dans une voiture compris ?
« Thana, sors ! » hurle Mélio, et je m'exécute sans discuter.
La chaleur qui se répand dans mon corps, qui m'emprisonne le cou et me brûle la nuque, je ne la connais que trop bien. Mais je sais surtout ce qui advient après. Je lève la main et appelle la prof.
- Madame...
- Quoi ? demande-t-elle en se retournant sèchement, ne sachant à quoi s'attendre avec moi.
- J'me sens pas bien, je peux sortir, s'il vous plaît...
- Bien sûr Thana, répond-elle aussitôt. Vous êtes livide, ça va aller ? Vous voulez que quelqu'un vous accompagne ?
Je suis incapable de parler, si je ne sors pas bientôt, je vais m'écrouler sous les yeux de toute la classe mais surtout sous ceux d'Emilie, ce qui est strictement hors de question. Je secoue la tête et sors, chancelante, m'appuyant le plus discrètement possible sur les bureaux, tâchant de voir le monde droit. Mélio place sa truffe dans ma nuque, ayant recouvré sa taille normale, et me guide plus qu'il ne me pousse vers la sortie. La chaleur qui me traverse est atroce, le monde tangue comme un bateau en pleine tempête. Je ne suis pas en voiture. Pas-en-voiture, OK ? Je me martèle ces mots tandis que je pousse la porte de la classe. J'ai l'impression de faire l'effort le plus intense qu'il m'ait jamais été demandé, ma main moite tremble et j'ai peur de ne pas y arriver, mais la poignée cède et la porte s'ouvre, comme une bouffée d'air frais alors que j'avais la tête sous l'eau. Je sors en vacillant dans le couloir et, aussitôt la porte refermée derrière moi, Mélio m'ordonne de monter sur son dos d'un ton autoritaire qui cache sa peur. En quelques bonds, il dévale les escaliers et m'emmène dehors, où il m'étend sur l'herbe mouillée par la rosée. Je respire vite et fort. Deux fois en moins d'un mois, c'est effrayant. Leur fréquence avait sensiblement diminué, et voilà que j'en ai de nouveau. C'est peut-être trop tôt pour le dire, mais cela m'inquiète. Je sais, pourtant, que je ne dois pas penser à ça. C'est d'ailleurs grâce à ces restrictions, à ces interdictions que je m'impose, que je me dois d'être encore en vie. Alors pourquoi est-ce que je m'inflige ça ?
J'aimerais dire que je me le suis infligé, que j'ai voulu jouer au plus fort avec moi-même, sur le seul sujet qui peut me réduire à néant. L'ennui, c'est que je sais très bien que je ne me le suis pas infligé, tout simplement parce que je n'ai eu aucun contrôle. Je n'ai plus de contrôle, ni sur mes pensées, ni sur mes paroles. Et voilà où ça nous mène. Deux crises de claustrophobie en moins d'un mois, des flash-backs de plus en plus récurrents, et mon masque qui se fissure, s'il n'a pas déjà volé en éclat. Je suis éteinte, et ma vigilance s'est éteinte avec moi. Les yeux rivés sur le ciel, je me concentre sur ma respiration, que je calme petit à petit. J'essaie de me concentrer sur les éléments extérieurs pour oublier mes démons. Le sol est gelé, dur et froid, une sensation que je retrouve tous les hivers. Il neigera bientôt, c'est certain, le ciel est chargé de nuages blancs, et le vent est glacial. Les températures chutent chaque nuit, et sont de moins en moins élevées chaque jour. L'herbe est durcie par le givre qui emprisonne les brins sur lesquels je suis allongée. Mais Mélio me réchauffe, son sang bouillonne en lui, brûlant, me permettant d'ignorer le froid qui se propage dans mes jambes, mon dos, ma tête. Le froid me calme à coup sûr. Je regarde, lassée, la buée qui sort de ma bouche, et qui rejoint celle qui provient du museau de mon lion. Il faut que je retourne en classe. Mais depuis quand Thana fait-elle ce qui est bien ? Je réprime un soupir. Depuis que l'automate est là. Avec une exclamation étouffée, je me relève, et me dirige vers la classe. Je suis tellement fatiguée...
- Vous allez mieux ? me demande la prof.
- Oui, merci.
Emilie me dévisage, inquiète, et semble attendre l'explication à cette fuit.
- J'avais envie de sortir un peu, j'en avais ras-le-bol de l'entendre pérorer, dis-je avec un clin d'œil à l'intention de mon amie.
- Ne raconte pas n'importe quoi, Thana. Pourquoi tu ne me dis pas la vérité ? Tu étais livide, on aurait dit un cadavre, je te jure.
- Rien d'important, un coup de chaud.
- Quand on a chaud, on devient rouge, Thana. Pas blanche comme un linge.
Je réprime un soupir.
- Emilie, j'avais simplement un coup de chaud, d'accord ?
Je la regarde droit dans les yeux, et elle me fixe un instant, dubitative. Puis elle hoche lentement la tête et détourne le regard. Bon, il faut que je me replonge dans mon bouquin. Si j'ai ma soirée, ce n'est pas le cas de ma nuit, je sais donc que je ne vais pas échapper à mon évaluation quotidienne.
La cloche sonne et je m'empresse de quitter le lycée au plus vite. Emilie m'accompagne jusqu'à la sortie, et repart avec Forte, alors que je rejoins Lachlyn, que j'accueille avec un baiser. Mais soudain elle émet un grognement et recule, le regard noir.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? demandé-je, surprise par ce changement d'attitude que rien ne semble justifier.
- Regarde autour de toi.
Je me retourne, et j'observe la masse d'élève qui sort du lycée, sans comprendre.
- Regarde-les bien, tous tes camarades qui nous dévisagent, parce qu'on s'embrasse, nous, deux filles, continue-t-elle alors que j'ai le dos tourné.
Elle crache plus qu'elle ne prononce ces mots, et mon regard change alors aussitôt. Je n'ignore plus les regards mi- dégoûtés, mi- angoissés qui nous suivent et nous jugent. Je me retourne vers mon amie.
- Ne fais pas attention à eux, Lachlyn, dis-je en attrapant son bras pour l'éloigner de la sortie.
- C'est tout ce que tu trouves à dire ? s'exclame-t-elle en dégageant violemment son bras. C'est tout ? Ne pas faire attention ? Ignorer ? Mais je ne fais que ça, figure-toi, d'ignorer ! Il n'y a que sur Terre que je peux afficher mon homosexualité, parce que c'est on ne peut plus tabou au royaume, mais visiblement, même ici on est mal vus ! J'en ai ras-le-bol de me cacher, OK ? J'en peux plus, j'ai envie de clamer le fait que je suis lesbienne, j'en peux plus de faire semblant de regarder les garçons alors que je n'ai d'yeux que pour les filles, bon sang ! J'en peux plus, personne ne peut comprendre ça ? C'est épuisant, OK ? EPUISANT !
Elle crie, le visage déformé par la colère et la tristesse, le regard noir, profondément blessée par mon manque de réaction. Comment n'ai-je pas pu voir ça ? Comment ai-je donc fait pour être à ce point aveugle, à ce point insensible à cette fatigue qu'éprouve Lachlyn ? Je la dévisage, impuissante, désolée, n'osant faire un geste. Je sens tous les regards rivés sur nous, autant ceux qui nous jugeaient que ceux qui y étaient indifférents, les appels à l'aide de mon amie ont captés l'attention. Je sais qu'au moindre mouvement, elle peut s'échapper comme s'effondrer. Mais je lis dans ses yeux sa supplique, je dois faire quelque chose, réagir. Ne pas rester indifférente comme je l'ai été à peine quelques secondes plus tôt. Elle compte sur moi, maintenant. Alors je me retourne, et je fais face à la foule muette qui nous fixe, abasourdie, avide de la suite. Bande de vautours.
- Euh, ça va, on vous dérange ? demandé-je froidement. Vous voulez du pop-corn, pendant qu'on y est ? Allez mater un bon porno, et foutez-nous la paix.
J'ai l'impression de voir une décharge électrique traverser la foule, tandis que tout le monde se reprend et reporte son regard ailleurs, gêné et outré par mes mots qui choquent. Je me retourne vers mon amie.
- Pardonne-moi Lachlyn. Je ne savais pas. Désolée d'avoir été aussi aveugle.
Elle me fixe, les yeux écarquillés, puis un léger sourire se dessine sur son visage. Elle s'approche, taquine, puis lève sa main gauche, avec laquelle elle emprisonne ma nuque.
- Mmh, pardonnée, je crois, murmure-t-elle, son souffle sur mon visage.
Puis ses lèvres trouvent ma bouche avec force, sa langue joue avec la mienne, et j'attrape sa taille. Je sais que Lachlyn m'embrasse pour prouver à tous ces merdeux qu'on les envois se faire foutre, et elle en fait des caisses, mais je sens aussi son amour pour moi, amical, et cette alchimie physique entre nous. Enfin, elle attrape ma main, et s'éloigne en courant. Son rire résonne. Enfin, une fois cachées derrière les poubelles qui nous permettent de nous soustraire tous les soirs aux regards des humains pour retourner au palais, elle me regarde droit dans les yeux, et sourit.
- Merci beaucoup, Thana.
Elle attrape ma taille, plaque un rapide baiser sur ma joue, et nous voilà dans ma suite. Notre suite. Lyly s'affale dans le canapé avec un soupir, et ferme les yeux.
- Lach ?
- Ouais ?
- Tu vas faire comment, pour ton avenir ? demandé-je dans un souffle, gênée.
Elle écarquille les yeux, et les pose sur moi en se redressant sur son séant.
- De quoi tu parles ?
- ... question mariage et tout...
- Oh...
Elle se relaisse tomber sur le dossier du canapé, et soupire longuement.
- Je ne sais pas, Thana. Je suis une femme de chambre, je suis censée être discrète et docile, mais ce n'est pas du tout mon caractère. Et je sais que je ne pourrai pas faire semblant pendant toute ma vie d'aimer mon mari, coucher avec lui, ignorer les femmes sur mon passage, supporter la jalousie qu'il aura certainement un jour avec un autre homme, et surtout ne pas lui crier à la figure que je suis lesbienne à ce moment-là.
Je reste silencieuse un moment. J'ai honte de le dire, mais la sexualité et toute question concernant de près ou de loin ce sujet ne m'a jamais touché. Je me suis vue grandir, j'ai vu mon corps changer, et c'était amplement assez pour moi. Sur ce sujet-là, plus inculte que moi, on meurt.
- Et tu ne pourrais pas envisager d'épouser une fille ? demandé-je timidement.
Lachlyn explose alors de rire, et m'écorche violemment les oreilles par la même occasion. Son rire est franc, massif, ô combien sonore, et fait monter la honte en moi. Qu'est-ce que j'ai dit ? Son rire se calme, et un silence de mort s'installe. Lachlyn perd le sourire, et baisse les yeux, qui reflètent toute sa tristesse.
- Si seulement, Thana, si seulement. Ici, c'est impossible. C'est tout juste si ce n'est pas interdit par la loi. Nous sommes des anges, notre vie est partiellement régie par la religion, les lois religieuse sont également politiques, Eglise et Etat sont étroitement liés, l'un n'existe pas sans l'autre. Il n'est écrit nulle part qu'il est interdit d'être homo ou bi ou transgenre, mais la religion prône le mariage mixte, tu sais pourquoi, donc... Il est inutile de faire des statistiques sur le nombre d'homo dans le pays, parce que le nombre serait nul. C'est la honte suprême, le secret à garder caché à tous prix. Si tu le révèles, ta vie sociale est foutue pour le restant de ta vie, tes chances de trouver un travail sont infimes car malgré que l'emploi soit plus important que la demande, les employeurs ne se gêneraient pas pour te refuser. Tu ne pourras te marier à personne, plus de famille, plus d'ami, plus de travail, plus rien. Tu n'as rien. Ce n'est pas interdit, oh non, c'est bien pire que ça. C'est quelque chose qui horrifie les gens, qui dégoûte profondément. Ce que tu as vu à la sortie du lycée n'était rien.
- Mais comment tu peux en être aussi sûre ?
- Parce que je l'ai vu. Ma tante s'est revendiquée bi. Elle l'a annoncé à un repas de famille, il y a de ça quelques années. Les jumeaux étaient âgés de quelques années à peine, ils ne sont au courant de rien. Mais j'avais déjà une dizaine d'année au moins, je me souviens de tout ce que j'ai réussi à capter. Elle a annoncé ça de but en blanc, avec un sourire, et le blanc qui a suivi a été horrible. Tout le monde la fixait comme une bête curieuse, laide et venimeuse, tout à coup. Elle a bien vite compris, évidemment, et a essayé de se défendre, mais ça a viré en engueulade, et elle a quitté la maison au milieu du repas. Elle n'est jamais revenue dans cette maison. Va savoir comment (je suis quasi certaine que quelqu'un de la famille l'a dénoncée), la nouvelle s'est répandue dans le voisinage, et elle est devenue la risée de tous. Quand elle allait acheter son pain, tout le monde s'écartait sur son passage, comme une lépreuse, des gamins lui lançaient même des ordures, plus personne ne venait la voir. Ma famille a été la première à la laisser tomber, de manière ostensible pour bien montrer que nos amis n'avaient rien à craindre de nous. Elle s'est faite virer, a voulu déménager, mais ne pouvait pas, elle n'avait pas assez d'argent pour acheter ailleurs. Elle est tombée en dépression, a eu un mal fou à trouver un médecin qui accepte de la soigner, et s'est suicidée trois ans plus tard. Et elle était bi ! Ça veut dire qu'elle était autant susceptible de tomber amoureuse d'un homme que d'une femme, elle avait une chance sur deux ! Tu m'imagines annoncer que je suis lesbienne ? Zéro chance pour moi, pour le coup ! Oh la cata, rien que d'y penser...
Je réprime un frisson d'horreur. C'est tout simplement inhumain.
- Mais vous êtes des anges. Vous n'êtes pas censés être les êtres parfaits, avec tolérance et tout le toutim ?
- Hola, Thana, si tu penses ça, tu vas aller de désillusions en désillusions ! D'ailleurs, tu es aussi ange que moi. Tu es parfaite ? Tu penses que Mentor l'est ?
Humpf. Elle me cloue le bec, c'est sûr. Elle poursuit.
- En tout cas, excuse-moi pour tout à l'heure, j'ai eu une mauvaise journée, j'étais un peu sur les nerfs, désolée de t'avoir poussé à détruire ta vie sociale. J'espère que tu ne vas pas te faire lyncher.
- Pff, pour la vie sociale que j'avais, t'en fais pas qu'elle n'en pâtie pas ! répliqué-je en souriant. Mais il s'est passé quoi aujourd'hui ?
- Rien dont j'ai envie de parler, déclare-t-elle avec un clin d'œil qui clôt cette conversation. Bon, je suis désolée mais je vais devoir y aller, ma mère va m'attendre sinon.
- Bien sûr ! Passe-lui le bonjour de ma part.
- Promis.
Elle sourit, puis disparait. Bon, je fais quoi maintenant ? Je dois être dans trois quarts d'heure dans la salle à manger pour retrouver Martha. Je décide de prendre un bain avec Mélio, et je m'en fais couler un en sortant mon Ipod. Je me déshabille rapidement, j'attrape mon casque, et je file dans le bain fumant, frissonnante de froid. A cette altitude, le froid est mordant autant que le vent, glacial ; l'hiver va être rude.
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Des ailes dans le dos - Mort
FantasyJe suis différente et ce, depuis toujours. Mais rien ne me préparait à cela... Si le monde que je connais depuis ma naissance est injuste et vil, celui que je découvre est cruel et dangereux. Mais je ferai tout pour y survivre. Tout. Même si la mort...