Bonjour, dis-je lentement en entrant dans la salle à manger, le matin de mon escapade nocturne.
- Bonjour, répond mon père en souriant, à mon immense surprise. Comment vas-tu ma chérie ?
-Tu n'es plus fâché ?
- Je me suis rendu compte d'à quel point tu avais un emploi du temps chargé sans un seul moment pour toi, alors je me suis dit que tu avais eu raison de t'octroyer un moment de détente.
Alors là, je suis stupéfaite. Je m'assois à côté de lui, et je le regarde manger ses tartines au beurre. Je me concentre pour essayer de deviner ce qu'il pense, comme me l'a demandé Mentor. Et là, quelque chose d'incroyable se passe. C'est comme si j'ouvrais un livre, et que toute l'histoire était écrite sur la double page, que j'avais en petites notes les pensées exactes de l'auteur au moment de l'écriture du livre. Je plonge dans un océan de pensées, de souvenirs, de problèmes, d'idées, de questions, de sentiments, une tornade de... tout, en fait. J'ai accès à tout.
« C'est tout ? C'est TOUT ? » quelle honte, pourquoi avoir réagi comme ça ? Il faut prendre soin d'elle, elle a subi un violent choc psychologique. Je vais devoir parler à Mentor.
Et là, toutes sortes d'images et d'émotions me parviennent, en lien avec Mentor, des sons, des cris, des pleurs, des peurs, Lily, la rencontre, leur amour, Thana, ses yeux vert/gris, voilà qu'elle me regarde, que se passe-t-il, pourquoi écarquille-t-elle les yeux comme ça ?
- Thana ? Que se passe-t-il ?
J'entends la question dans son esprit avant de l'entendre de sa bouche. Tout est ouvert à mes fouilles, il suffit de demander, et j'obtiens la réponse, comme un bureau très bien rangé mais où je n'ai pas encore mes repères. Tout est rangé, mais je suis perdue face à toutes ces piles de paperasses qui contiennent les idées, les problèmes, les souvenirs, cet amour pour Thana, tout ça qui se mélange, aucun ordre, il n'y a aucun ordre ; qui suis-je maintenant, Aymeric ou Thana ? Les deux se mélangent, s'assemblent, les esprits s'entremêlent pour ne former qu'un ensemble confus d'informations.
- Thana, réponds-moi ma chérie, dit-il/dis-je d'un ton inquiet.
Mais je vais bien, il faut qu'elle lui dise, elle va bien, mais je n'arrive pas à lui dire, tout est trop mélangé, qui est qui ou quoi, où, je ne sais pas, quel est le problème, elle fait un arrêt cardiaque ? Pourquoi ses yeux bougent-ils comme ça, comme si je parcourais un livre, je tends la main pour me toucher le bras, ma chemise de nuit sous ma main, sous sa main, trop il y a trop rien ne s'arrête, et voilà qu'il crie.
- Au secours ! Quelqu'un !
Un homme entre dans la salle et la voit, voit ma fille chérie immobile au-dessus de la table, que faire, que faire pour me sauver, qui est cet homme je lui fais confiance, il va chercher Félicie, oh mon Dieu quels sentiments nourrissons-nous pour elle ? Aucune barrière, rien pour arrêter ce flot incessant et terriblement éprouvant, quelqu'un va chercher de l'aide pour elle, en attendant il s'approche d'elle et les voix se chevauchent, l'une en premier et plus profonde, l'autre qui résonne.
- Thana, répond-moi !
Il crie et elle ne répond rien, toujours mes yeux qui bougent, STOP !Je respire un grand coup. Moi, Thana. La vraie. Seule, je suis seule dans mon esprit. Je regarde Aymeric, son bras sur le mien, mort d'inquiétude.
- Mentor, m'écrié-je, il faut que je voie Mentor !
Il faut que je quitte cette pièce avant de me retrouver dans cet ouragan. Je me lève et quitte la pièce au pas de course, j'arrive dans le gymnase.
- Mentor ! crié-je.
- Tu as de l'avance, dit-il simplement. Que fais-tu en chemise de nuit ?
- Tout ! Je sais tout !
- Quoi ? Je ne comprends rien, répond-il calmement, comme de coutume.
- Toutes ses pensées ! J'ai lue toutes ses pensées ! Tout, je ne savais plus si j'étais Papa ou moi !
Il écarquille les yeux, et je peux lire toute la surprise que ma révélation soulève en lui.
- Tu... Seigneur... raconte-moi tout, dans les moindres détails. Comment ça s'est passé ?
Et je lui raconte.
- OK. Je reviens, ordonne-t-il.
Il sort de la pièce.
- Bien. Tu as devant toi dix personnes que tu ne connais pas. Décline leur identité.
J'ouvre mon esprit, et je me connecte aux leurs. Seigneur... toutes ces informations ! Une avalanche de sentiments, de la peur surtout, me submerge.
- John Tisdal, 36 ans. Chercheur au palais. Une femme, divorcé déjà une fois, trois enfants, un, quinze et seize ans.
- Nom des enfants ? demande Mentor.
- Leila, Myrtille et Joshua.
L'homme acquiesce sous le regard interrogateur de Mentor, et je passe au suivant. A la suivante, en l'occurrence.
- Mavinie Lébaratov, 44 ans, éleveur de cochons chez elle, actuellement en livraison au palais. Actuellement en couple avec... Tom Brand, qui a deux... non, trois fils.
- Suivant, ordonne Mentor.
- Mélan Vis, technicien. Un ami de longue date de Julinne, là-bas.
Je regarde l'homme dans les yeux, et il voit que je sais. Il écarquille les yeux, et fait discrètement non de la tête.
- Célibataire, et personne en vue, dis-je en mentant.
- Des enfants ?
- Non.
- Suivant.
Et ainsi de suite. Je scanne tout le monde, je sens leur peur quand c'est leur tour, mais je ne révèle rien d'intime, je ne tends aucun piège, je me contente d'effleurer leur conscience.
- Mesdames, Messieurs, attestez-vous que Thana a dit la stricte vérité ?
- Oui.
- Je vous remercie.
Ils quittent la pièce.
- Thana, nous allons voir Locas, s'exclame Mentor.
Nous descendons dans les cachots, et le gardien nous reconnaît. Il nous laisse pénétrer dans la cellule, sans un mot.
- Locas, bien le bonjour, dit Mentor joyeusement.
- Qu'est-ce que vous faîtes là ? Je ne vous livrerai rien, et vous le savez.
- Rien... consciemment. Mais j'ai ici avec moi une arme capable de t'extirper toutes les informations nécessaires.
- J'ai hâte de voir ça, marmonne-t-il en souriant.
- Oui, moi aussi, réplique mon maître. Thana, trouve pour qui il travaille, quel était le but exact de sa mission, et ses intentions actuelles.
Je m'approche du prisonnier, qui me regarde dans les yeux, narquois. J'ouvre mon esprit, et pénètre dans le sien. Je ne fais pas dans la douceur, et je sens immédiatement la douleur qui apparaît en premier plan, comme un clignotant rouge. Puis les interrogations qui dressent un mur devant moi. Je force, passe outre, et cherche ses souvenirs. Je remonte le temps, je passe par les heures passées dans cette « salle-aux-miroirs » comme je l'appelle, et je remonte dans mes souvenirs. Je revois l'attentat que j'ai commis, et me voilà en train de partir. J'ai pris le passage du lycée, après avoir assommé ses gardes, mais avant ça... avant ça j'ai reçu ma mission du colonel. Je sens qu'elle cherche qui est le colonel, mais je ne peux rien faire pour l'en empêcher. Elle n'a aucune barrière dans mon esprit, parce que c'est la première fois que je vois ça, et que personne ne sait comment l'empêcher dans sa progression. Elle cherche, et voilà qu'elle a trouvé quelque chose. Le colonel travaille au service du prêtre, il est chargé de confier les missions aux espions, évidemment, tout le monde sait ça. C'est Miseria qui me l'a expliqué, il y a des années, et elle a trouvé ce souvenir, elle a fouillé en moi, sans respecter aucune notion d'intimité. Mais après tout, ne suis-je pas prisonnier ? Le prêtre est celui qui dirige le royaume, elle suit mes pensées, elle fouille, comme un rongeur qui grignote tout ce qu'il trouve, comme une taupe qui creuse ses galeries. Le but de la mission, voilà ce qu'elle cherche maintenant, elle fouille violemment, tape contre les parois de mon esprit, avec violence et sans souci de douceur. Voilà, elle a j'ai trouvée. J'ai trouvée. Il voulait tuer le roi, évidemment, pour que le royaume soit affaibli et se retrouve sans monarque pour le moment. C'aurait alors été le chaos et nous aurions pu attaquer sous les meilleures conditions, après encore un peu de préparation. Maintenant, mes intentions, voilà ce que je cherche, il faut que je trouve ce qu'il manigance. Rien, visiblement, non je ne manigance rien pour le moment, si ce n'est qu'il cherche le moyen de s'évader de cette salle-aux-lumières.
J'inspire un bon coup, une migraine épouvantable prenant en étau mon pauvre cerveau malmené. J'ai tout. Tout ce qu'il m'avait demandé de trouver, je l'ai. Je retranscris tout à Mentor, qui me regarde, impassible.
- Merci, Locas, de nous avoir livré tout ça.
Et ils quittent la salle, me laissant seul, de nouveau, prisonnier de cette maudite salle. Non, c'est moi qui pars, moi Thana. Je ne dois pas oublier qui je suis. Je dois garder mes distances, me contenter de regarder, et non pas d'être l'autre. J'ai tellement mal à la tête... nous remontons au gymnase en silence, je rumine ce qu'elle m'a dit. Visiblement, il n'était pas au courant de l'existence de Thana, ce qui signifie que l'Empire ne le sait pas. Excellente nouvelle, car elle n'est pas prête pour sortir, encore. Elle avance vite mais...
- Sors de ma tête, Thana.
- C'est ma tête.
Seigneur, il faut la protéger, elle vient de parler avec ma voix et non pas la sienne.
- Thana, tu n'es pas dans ton esprit ! crie-t-il alors, et je reviens.
Je le regarde, surprise. Je n'arrive pas à empêcher cette intrusion chez les autres. Il me regarde, et je sens son inquiétude.
- Il faut que je t'apprenne à garder ton identité, au plus vite.
- Est-ce que c'est possible que je reste moi, même dans la tête des autres ?
- Je ne sais pas, je n'ai jamais vu ça.
Nous rentrons au gymnase en silence.
- Assieds-toi, ordonne Mentor. Prends une image, une image forte, et crée-toi une muraille avec. Crée une muraille autour de ton esprit, pour empêcher les autres de pénétrer dans ton esprit et pour canaliser ton pouvoir. Tu as une puissance extraordinaire, et ton esprit a donc tendance à chercher tout ce qui est à sa portée, pour gagner toujours en puissance. Dès qu'un esprit est à sa portée, le tien pénètre dedans et puise dans les souvenirs, dans les pensées de la personne « colonisée », de manière si puissante que tu deviens cette personne, momentanément du moins. Tu prends possession de ses pensées et tu oublies les tiennes, ses pensées deviennent les tiennes, sans que tu t'en rendes compte. Et c'est ce qui est dangereux pour toi, car si tu oublies définitivement qui tu es, tu resteras prisonnière de l'esprit dans lequel tu es. Prends une image forte, et laisse-là envahir ton esprit, t'obnubiler. Tu ne dois penser qu'à ça, pour qu'elle te protège.
Je pense à une écaille de dragon, et je laisse l'image envahir mes pensées. Mais mon esprit divague, et je devine les pensées de Mentor.
- Sors de ma tête, Thana. Reprends ton image.
Je soupire, et reprends mon image. Je travaille toute la matinée sur ça, et à l'heure du déjeuner, je suis capable de la garder à l'esprit, mais dès que quelque chose capte mon attention, la muraille vole en éclat et mon esprit s'envole à la recherche de pensées à capturer, de souvenirs à regarder.
- Bon, passons à autre chose pour le moment. Cet après-midi, musculation au programme. Bien, commençons.
Une heure, des squats et des abdos plus tard, nous passons à autre chose. Mentor me fait courir pendant une heure, puis nous travaillons sur mes pouvoirs pendant encore deux heures, avant de faire un peu d'agilité et d'équilibre. Une fois tout cela terminé, nous travaillons la technique du corps-à-corps, puis nous reprenons l'exercice de la muraille. Nous terminons l'après-midi par quelques recherches, encore infructueuses, puis nous nous penchons sur ce que nous savons sur Locas. J'en profite pour poser quelques questions.
- Qui est ce prêtre ?
- Lorsque l'empereur est mort, son fils était trop jeune pour prendre le pouvoir, c'est donc au prêtre qu'est revenu le pouvoir. Il est à la tête de l'empire depuis seize ans.
- Il y aura donc une guerre ?
- A ce stade, elle est inévitable, j'en ai peur. Si les démons veulent semer la zizanie chez les anges pour avoir l'avantage, c'est qu'ils ne sont pas encore totalement prêts mais qu'ils s'y préparent depuis quelques temps déjà. Ils veulent cette guerre, nous ne pourrons pas l'éviter.
- Que va-t-on faire de Locas ?
- L'empire semble ne pas avoir connaissance de ton existence, ce qui nous arrange passablement. Nous allons donc le tuer lorsque nous estimeront n'avoir plus besoin de ses services. L'emprisonner à vie ne servirait à rien et serait dangereux, et pour l'instant, nous ne savons pas l'étendue de ses connaissances, donc nous allons encore l'utiliser un peu, je pense.
Il dit ça platement, comme il parlerait d'un autre prisonnier.
- La journée est terminée. On se retrouve dans trois heures pour cette nuit.
Je me lève, attrape ma chemise de nuit froissée dans un coin de la pièce, et quitte le gymnase. En chemin, je tombe sur mon ami le singe.
- Oh ! Comment vas-tu ?
Il sourit, et me prend la main. Nous remontons ensemble dans ma suite, et je lance un film, pour me détendre un peu. Mentor révélera lui-même ce qu'il sait par Locas à mon père. Pour l'instant, la seule chose qui compte, c'est que je retrouve César dans « La planète des singes : l'affrontement. »
- J'adore César, dis-j' au bout d'un moment.
Le singe pointe alors l'écran lorsque Malcom apparaît.
- Oui, je l'aime bien aussi.
Le singe pointe alors son doigt sur son thorax. Je fouille dans ses pensées pour comprendre ce qu'il veut dire.
- Malcom ! Tu t'appelles Malcom !
Il hausse les épaules.
- Tu n'as pas de nom...
Il hausse de nouveau les épaules.
- A partir de maintenant, tu t'appelles Malcom !
Il sourit, fier comme un pan. Une fois le film terminé, nous sortons dans le jardin. Nous nous promenons un moment, mais je décide que mon temps libre a assez duré, je dépose Malcom au gymnase, il me fait un câlin, et je rejoins mon père dans son bureau.
- Tu as appris pour Locas ?
- Oui, Aurélien est venu me voir.
- Qu'est-ce que tu en penses ?
- J'aimerais que tu retournes le voir et que tu trouves des informations qui pourraient nous servir. A ce propos... qu'est-ce qu'il s'est passé ce matin ?
- J'ai eu... une sorte de révélation.
Je lui explique en détail ce qu'il s'est passé, et il écarquille les yeux.
- Dieu tout puissant... incroyable ! Ce qui explique comment tu as obtenues les informations !
Je hoche la tête.
- Des nouvelles de la famille qu'on loge ?
- Ils vont bien, on leur recherche un logement, dit-il d'un air absent, toujours absorbé dans ses pensées, que je devine portées sur le sujet de mon nouveau pouvoir.
- J'irais les voir. Les analyses du projectile ont donnée quelque chose ?
- Il provient bien de la bombe, ils seront bientôt capables de trouver quel type de bombe c'était.
- J'en ai raté, des choses... soupiré-je.
- Ce n'était pas de ta faute, réplique violemment mon père.
Soudain, il me prend dans ses bras, et m'embrasse sur la joue.
- Lily n'avait bien évidemment pas le droit de parler des entraînements, mais je ne crois pas qu'elle soit passée par ce que tu as vécu. Mais j'ai demandée à Mentor, et il m'a expliqué ce qu'il avait fait. Si tu veux m'en parler... n'hésite pas.
Je ne vois pas pourquoi tout le monde en fait tout un plat... c'était l'entraînement, rien d'extraordinaire. Je serre mon père dans mes bras, heureuse de le sentir si près de moi. Pour la première fois de ma vie, j'ai une relation familiale parfaite, mon père m'aime, je l'aime, et nous pouvons nous voir et nous parler dès que nous le voulons. Je sais que c'est une chance. Nous relâchons notre étreinte, et je m'intéresse à la politique.
- J'ai organisé un Conseil des ministres pour parler de cette idée de surveillance dans les rues. Nous allons demander l'avis du peuple, les habitants ont jusqu'à ce soir pour voter. Pour l'instant, ils sont majoritairement favorables. Lorsque nous aurons toutes les réponses, nous installerons les caméras pendant la nuit et au matin, toute la ville sera sous contrôle, et il y aura des hommes devant les caméras vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Au moindre signe suspect, nous enverrons des hommes pour voir ce qu'il se passe. Comme ça, nous serons enfin bien informés.
Je hoche la tête, contente. Enfin, nous aurons du matériel, quelque chose sur lequel on pourra travailler.
- Thana, il y a quelque chose dont je voudrais te parler...
- Oui ?
- Je... voilà, cela fait quelque temps que... en fait...
Il se racle la gorge.
- Voilà, j'ai rencontré quelqu'un, annonce-t-il tout à trac.
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Des ailes dans le dos - Mort
FantasyJe suis différente et ce, depuis toujours. Mais rien ne me préparait à cela... Si le monde que je connais depuis ma naissance est injuste et vil, celui que je découvre est cruel et dangereux. Mais je ferai tout pour y survivre. Tout. Même si la mort...