Chapitre 32

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J'arrive triste et seule au royaume, ce soir. Mon père est introuvable, certainement chez Laura, je monte donc dans ma suite où je retrouve Lachlyn penchée sur mon fide.
- Ca a donné quelque chose ? demandé-je, impassible.
- Non, ton dossier est introuvable. Détruit, on dirait.
- Pardon ? Impossible ! m'exclamé-j' en prenant le fide qu'elle me tend.
Je tape mon nom dans la barre de recherches des dossiers, et une bulle s'affiche sur la plaque.
« Le dossier que vous recherchez n'existe pas. »
Je fronce les sourcils. Ce n'est pas possible, j'ai été exilé à cause de ce dossier. Je pose la plaque bleue sur mon lit, avant de la reprendre lentement et de taper mon nom complet. Toujours rien. Là, je suis vraiment perplexe.
- Où sont rangés les dossiers médicaux ? demandé-je.
- Il y a une Salle des Dossiers aux laboratoires, au quatrième étage.
- Merci.
​Je prends la plaque et monte au quatrième. Une fois aux labos, je croise des chimistes en blouse blanche et avec des lunettes de protection, je traverse la salle pour arriver dans une nurserie qui regorge de bébé à qui on fait des prises de sang. Je détourne les yeux et continue mon chemin, jusqu'à tomber sur un homme à qui je demande l'emplacement de la Salle des Dossiers.
- Avez-vous une autorisation spéciale pour y aller ? demande-t-il sans relever la tête de son fide sur lequel il pianote à une vitesse surhumaine.
Je le regarde en levant un sourcil. Finalement, suite à mon silence, il relève la tête, me reconnaît, devient rouge et m'indique le chemin jusqu'à la salle. J'entre dans la grande salle remplie de grandes bibliothèques, qui contiennent tous les dossiers des personnes vivantes à ce jour. Je parcoure les étagères à la recherche de mon dossier, et lorsque j'arrive à ma place dans l'alphabet, je ne trouve rien. Les deux prénoms avant et après moi sont bien là, mais je n'y suis pas. Je ressors de la salle et apostrophe un chercheur penché sur son travail.
- S'il vous plaît ?
- En quoi puis-je vous aider, Votre Altesse Royale ? demande-t-il avec une courtoisie qui me calme.
- Qui range les dossiers des enfants ?
- C'est le médecin qui est en charge de l'enfant. Il fait la prise de sang, fait les analyses, créé un dossier au nom du bébé avec toutes les informations révélées par la prise de sang, et le range dans la Salle des Dossiers, répond-il, perplexe.
- Merci infiniment, répondis-je.
Il tourne les talons, mais je l'appelle de nouveau.
- Et... dans le cas où il se passe quelque chose d'anormal, qui le dit aux parents ?
- Le médecin lui-même.
- Merci Monsieur.
- Le plaisir était pour moi, Votre Altesse Royale.
Je quitte le labo. Actuellement, je n'ai aucun moyen de savoir qui a fait ma prise de sang, puisque son nom devait certainement être inscrit sur mon dossier, qui n'existe visiblement plus. Plongée dans mes pensées, je redescends dans le bureau de mon père pour travailler un peu pendant son ab... Mon père ! Bien sûr ! Lui doit savoir le nom du médecin qui lui a révélé le résultat de mes analyses ! Je dévale les marches quatre à quatre pour débouler dans le bureau où heureusement je trouve mon père.
- Papa, j'ai une question d'une importance cruciale à te poser ! dis-je tout à trac.
- Thana, que se passe-t-il ? demande-t-il, alarmé.
- Quel est le nom du médecin qui t'a annoncé qu'il fallait m'exiler ?
Il me regarde avec des yeux ronds.
- Je ne sais plus.
Je réprime un grognement de dépit. Je le regarde dans les yeux, et une idée lumineuse me traverse l'esprit. Je plonge mon regard plus profondément dans le sien et pénètre dans son esprit. L'avalanche de questions qui tournoient en lui me surprend, mais je les dépasse, et fouille dans ses souvenirs. Je dépasse seize ans de souvenirs, jusqu'à trouver ce que je cherche. Un jeune homme d'une vingtaine d'année s'approche de moi avec une mine atterrée.
- Votre Majesté, j'ai une terrible nouvelle... le taux de puissance de Son Altesse Royale votre fille n'est pas assez élevée...
- Qu'est-ce que cela signifie ? demandé-j' en fronçant les sourcils.
- Conformément à une très vieille loi, tout ange né avec une puissance insuffisante doit être exilé sur Terre, annonce le jeune homme en se tortillant, mal à l'aise.
La nouvelle balaie tous mes espoirs d'un coup, m'assomme comme un coup de massue, ma tête sonne sous le choc, le décor vacille dangereusement.
- Pardon ?
- Les lois...
Je cesse d'écouter. Mon monde s'effondre. Ma petite fille envoyée sur Terre ? Ridicule.
- Appelez-moi Mr.Levaque, Monsieur... ?
- S... Vaces Bien, Votre Majesté.
J'échappe à l'esprit de mon père. J'ai bien cru que je n'allais pas avoir l'information. Ce n'est pas bien de mentir, cher médecin.
- Thana, rugit mon père, je peux savoir ce que tu viens de faire ?
- J'ai récupéré l'information dont j'avais besoin, répondis-j' en quittant le bureau.
Je sors mon fide et lance l'application d'identification de personnes. Je tape médecin S dans la barre de recherches, et des photos apparaissent. Je le reconnais, et clique sur sa photo. Médecin dans un hôpital de province, c'est bien lui. Je regarde son parcours, et vois qu'il a fait ses études au palais, avant d'immigrer dans l'hôpital où il travaille actuellement. Je remonte dans ma chambre.
- Lachlyn ? appelé-je.
- Oui ?
- Pourrais-tu m'emmener à Larcia s'il te plaît ?
- Je... je n'y suis jamais allée, je ne peux pas t'y emmener... désolée...
- Pas de souci.
Je dévale de nouveau les marches et vais au relai au pas de course. Je retrouve l'homme, qui me sourit.
- Hey, comment ça va mademoiselle ?
- Bien et vous ?
- Bien bien, le travail marche bien, répond-il en souriant de toutes ses dents. Toujours la même destination ?
- Pas cette fois, répondis-j' en souriant à mon tour. Larcia, c'est possible ?
- Bien sûr ! Où ça à Larcia ?
- A l'hôpital Mercam.
- C'est parti !
Je prends sa main et me voilà devant l'hôpital. Je le remercie, le paie grassement, et entre dans l'enceinte du bâtiment.
- Où pourrais-je trouver le docteur Syres s'il vous plaît ? demandé-j' à une infirmière.
- Attenez ici je vous prie, je vais le chercher.
Il arrive et me salue courtoisement, surpris. Il m'emmène dans une salle où nous pourront discuter tranquillement.
- Monsieur, j'ai une question très spéciale à vous poser.
- Je vous en prie, dit-il, méfiant.
- Me reconnaissez-vous ?
- Non, mademoiselle, pardonnez-moi, répond-il, mi- gêné, mi- méfiant.
D'après les dires de mon père, j'avais déjà les yeux de cette couleur le lendemain de ma naissance, c'est-à-dire lors de mon examen sanguin. Et il ne ment pas. Donc ce n'est pas lui qui m'a fait cette prise de sang. Je suis perdue. Si ce n'est pas lui, pourquoi est-ce lui qui a annoncé que j'allais être exilé ?
- Merci Monsieur, j'ai dû me tromper de personne. Pardonnez-moi.
- Pas de problème. Au revoir mademoiselle.
Il se lève, je le suis, et pénètre dans son esprit lorsqu'il a le dos tourné. Je remonte seize ans de souvenirs, jusqu'à arriver à ce que je cherche. Levaque s'approche de moi, l'air pincé.
- Ecoute-moi bien, c'est très important. N'oublie pas ta promesse.
Je hoche la tête.
- Tu vas aller voir le roi, et lui dire qu'il y a une loi qui décrète que les anges nés avec une puissance trop peu importante doivent être exilés sur Terre. Ensuite, tu lui dis que c'est le cas pour sa fille. D'accord ? Une fois que c'est fait, tu retournes chez toi, et je t'y retrouverai dans la soirée.
- D'accord.
Je quitte Levaque et vais trouver le roi, une boule me serrant le ventre. Seigneur ! Qu'est-ce que Levaque a à faire dans tout ça ? J'échappe à son esprit, et quitte l'hôpital, plus perdue que jamais. Je retourne à Ariastemdal, la capitale, et tombe sur mon père, furieux.
- Thana, je t'interdis de recommencer ce que tu as fait ! Est-ce que tu te rends compte que tu as violée mon intimité pour pénétrer dans mon cerveau sans ma permission à des fins personnelles ?
​Je lui explique le but de mon intrusion, il me fait la morale, mais ne peut s'empêcher de me demander ce que je sais. Je lui explique mes recherches, les réponses que j'ai obtenues, et il fronce les sourcils face à ce que je lui dis.
- Levaque ? Mon premier ministre ? demande-t-il, sceptique.
- Lui-même.
Il soupire, et s'assoit, ou plutôt se laisse tomber dans sa chaise tournante. Il lève la tête, regarde le plafond, fatigué, et le gong retentit.
- C'est l'heure d'aller manger, précise-t-il comme si je ne le savais pas.
- J'ai quelques choses à faire, je prendrais un plateau dans ma chambre, mentis-j' à moitié.
- Comme d'habitude. On ne se voit plus que pour le travail Thana, j'aimerais que l'on ait un moment rien que tous les deux, un de ces quatre. Qu'est-ce que tu en penses ?
Je le regarde, et à ma grande surprise, je sens mes yeux s'embuer légèrement. Je cligne des yeux, et souris, mélancolique et nostalgique du temps où nous apprenions à nous connaître, où nous prenions du temps pour rattraper seize ans de vide.
- Ce serait avec plaisir, Papa, répondis-je.
Il se lève et me prends dans ses bras, spontanément. Je le serre de mon bras valide et ferme les yeux, émue.
- Je vais en toucher un mot à Aurélien, dit-il dans mon dos.
- Bonne chance ! répliqué-je.
​Il rit et nous nous séparons. Il va à table et je décide d'arpenter le château à la recherche de Levaque. Comme je n'ai aucune idée de l'endroit où il mange, je visite un peu toutes les pièces, mais mes efforts sont infructueux. Je remonte dans ma chambre, où je sens l'odeur récente de Mélio. Il vient juste de quitter le salon, le coussin est encore affaissé sous son poids. Je regarde ce coussin longtemps, seule et immensément triste. Lachlyn entre alors et je souris faussement en me tournant vers elle.
- Je vais me changer, dis-je.
​Je m'échappe dans la salle de bain, revêts mes vêtements d'entraînement, regarde l'immense baignoire qui me fait face, et baisse les épaules. Mélio me manque. Il n'a pas répondu à mon excuse, et me voilà tellement, tellement seule, et en même temps tellement entourée par rapport à lui. Il n'a ni famille, ni amis, aucun refuge, pas d'endroit où retourner, aucune terre natale. Rien. Il n'a rien.
« Je t'ai. »
Sa voix résonne dans ma tête, tellement naturelle, juste à l'endroit où elle doit être. J'ai l'impression de respirer pour la première fois depuis que ma tête est si vide. L'air entre dans mes poumons et je souris, soulagée et heureuse.
« Mélio ! »
​C'est tout ce que je suis capable de dire. Un léger bruit résonne contre la porte, et je lui ouvre. Il entre, ses yeux plantés dans les miens, et un frisson me parcoure. Il est revenu auprès de moi.
« A ma place. » pense-t-il doucement.
​Il sourit lentement, et sa truffe mouille mon front. Je ferme les yeux. Il m'a tant manqué.
« Il faut y aller, Mentor va t'attendre. »
​Je finis de m'habiller, et je descends au gymnase. J'avale d'une traite les trois liquides, enlève mon atèle, et c'est parti. Au programme ce soir, musculation, pouvoirs, combats en corps-à-corps, et avec Mélio. Je pensais que m'entraîner avec Mélio serait facile dans le sens où nous sommes très connectés, mais en vérité c'est bien plus difficile que prévu. Nous sommes tous deux tellement concentrés sur nos mouvements que nous en oublions de communiquer. Mentor fait finalement cesser l'exercice pour se concentrer sur notre communication. Une fois l'entraînement terminé, je viens le voir alors qu'il se dirige vers son bureau.
- Mentor ?
- Oui ?
- J'ai eu... un problème aujourd'hui, au lycée.
- Mmh ? De quel type ?
- Mon pouvoir m'a dépassé, j'ai failli perdre totalement le contrôle de mon esprit.
Aussitôt il se retourne et me regarde attentivement.
- Va dans la bibliothèque du château, je te rejoins dans cinq minutes, ordonne-t-il.
Mélio et moi nous exécutons, et je le sens fier de moi.
« C'est bien. » dit-il simplement.
​Je ne réponds rien. Je suis soulagée en voyant la réaction de Mentor, en vérité. Je monte les escaliers du château, fatiguée, sentant l'effet des potions s'estomper. Aussitôt, mes forces m'abandonnent, la fatigue me tombe dessus comme une massue, et la douleur aigüe revient, me transperçant le haut du corps. En plus de celle de mes vertèbres, mes côtes et ma clavicule s'ajoute celle des bleus accumulés à cause des coups du corps-à-corps. Je pince les lèvres pour la refouler, et avance sans un mot dans la gigantesque bibliothèque. Mentor m'y rejoint, parcourt des yeux les étagères, et attrape un gros livre.
- Ce livre répertorie tous les pouvoirs et ce que l'on sait dessus, explique-t-il.
Il fait défiler les pages jusqu'à arriver à la page « T ». Il regarde chaque page, mais ne trouve visiblement pas ce qu'il cherche.
- Rien n'est écrit à propos de la télépathie, mais je ne suis pas sûr que ce soit exactement le mot qui caractérise correctement ton pouvoir. Es-tu capable de discuter avec quelqu'un en utilisant ton esprit ?
- Je n'en ai aucune idée.
- Essaie avec moi, ordonne-t-il.
Et la peur m'envahit. J'ai peur de ne pas me contrôler, de perdre mon identité, de ne jamais redevenir moi-même.
- Fais ce que je te dis, répète sèchement Mentor.
Je m'exécute. Je plonge mes yeux dans les siens, et connecte mon esprit au sien. Aussitôt, ses pensées m'apparaissent, et je sens une gêne, bien que je sois incapable de dire qui la ressent. Aussitôt, ses pensées deviennent les miennes, elle est dans ma tête mais je suis incapable de dire ce qu'il se passe dans la sienne, je n'ai aucune idée de ce qu'il se passe. Je ne l'entends pas, ce qui est étrange. Je forme ma barrière, et je me heurte à un mur, m'empêchant d'aller plus avant dans l'esprit de Mentor. Je sors de son esprit pour retrouver le mien.
- Je ne connais aucun mot qui puisse décrire avec exactitude ton pouvoir. Décris-moi le plus précisément possible tes capacités.
En vérité, je ne sais pas vraiment, étant donné que j'ai beaucoup travaillé à le renfermer, à le canaliser, et que je n'ai qu'une vague idée de ce que je suis capable de faire avec.
- Je peux pénétrer dans l'esprit des gens, fouiller dans les souvenirs et après je ne sais pas...
- Il va falloir que nous explorions l'ensemble de tes capacités. De plus, tu es capable de détecter les mensonges.
- Oui mais...
- Je pense que ça a un lien avec ton pouvoir, me coupe-t-il avant que je ne puisse objecter.
Je suis surprise. Cela voudrait dire que mon détecteur de mensonge est lié à mon pouvoir de pénétrer dans les esprits des gens ?
- Bon, dit-il simplement sans continuer, alors que j'attendais une suite.
Visiblement, il souhaite garder ses pensées pour lui-même. Je suis bien tentée de fouiller un peu, mais j'ai trop peur de me faire attraper. Si c'était le cas, je n'imagine même pas quelles seraient les conséquences... il me regarde, suspicieux, et je m'empresse de regarder ailleurs. Nous redescendons dans le gymnase, lui avec le livre dans les mains, en train de le feuilleter, et je discute du programme qu'il me concocte avec Mélio.
« Je pense que je vais y passer la journée. »
« A découvrir les limites de ton pouvoir ? »
« Oh, je pensais à travailler sur ma défense... tu crois que... ? »
« Oh que oui. » pense-t-il sombrement.
La peur me serre les entrailles, mais je respire un grand coup et oublie cette pensée terrifiante. S'il veut que j'explore mes limites... non, impossible, il sait les risques que je cours. Non ? Je suis Mentor jusqu'au gymnase, et il disparait dans le bureau.
« Calme-toi. » pense doucement Mélio.
Je ne réponds rien, dévorée par la peur. Mentor revient accompagné d'une jeune fille d'environ huit ans, et j'ai le souffle coupé. Non, je refuse. Je ne ferais pas ça.
- Thana, je te présente Liz, qui va nous aider pour aujourd'hui.
- Bonjour, me salue d'une voix gazouillante la fillette en souriant de toutes ses dents blanches.
Il lui en manque deux devant, et j'ai l'impression de faire face à un bébé.
« Cache ta peur, Thana. » souffle Mélio, et je réalise que je l'exhibe.
- Bonjour Liz, je suis enchantée de te connaître, balbutié-je difficilement.
- Thana, coupe Mentor, Liz va nous être utile aujourd'hui car je veux explorer tes limites. Je lui ai expliqué pourquoi j'avais besoin d'aide, et elle a immédiatement acceptée de nous aider.
- Et ses parents ?
Il me fait les gros yeux, et je me tais. Evidemment, quelle question stupide.
- Liz, tu as compris ce que tu vas faire ?
- Oui ! s'exclame-t-elle joyeusement.
Je suis terrassée par la peur. Je refuse de faire ça. Je risque de perdre le contrôle, de devenir la petite fille, de lui faire mal, de la traumatiser.
- Je t'en prie, assieds-toi là, dit-il en désignant une chaise.
La petite fille s'installe, et ce n'est qu'à cet instant que je réalise combien Mentor est gentil avec Liz.
- Thana, mets-toi en face de Liz. Tu vas entrer dans son esprit et laisser le tien complètement libre. Tu vas explorer tout l'esprit de Liz, et me décrire le plus précisément possible ce que tu ressens, ce que tu es capable et incapable de faire, ce qu'il se passe. Au fur et à mesure de l'exercice, tu vas exécuter les ordres que je vais te donner. C'est compris ?
​Je le regarde, les yeux écarquillés, incapable du moindre mouvement, du moindre mot, de la moindre protestation. Je ne ferais pas ça ! Le regard autoritaire de Mentor signifie très clairement que si, visiblement. Je retiens à grand peine un hurlement de frayeur. Bizarrement, alors que je devrais simplement être inquiète à l'idée de blesser la petite fille, je suis tétanisée, figée par la peur devant Liz et Mentor qui assistent à mon refus muet. Je ne peux plus cacher ma peur, et je m'en veux tellement pour ça, les émotions forment un tumultueux cyclone en moi, la peur, la haine, la honte, tout s'emmêle dans mon esprit bloqué sur un « non » que j'aimerais crier.
- Bien, commençons, enchaîne Mentor en me regardant droit dans les yeux avec un regard de défi.
- Non, dis-je calmement.
​Cette phrase habituelle que prononce Mentor me fait revenir à la réalité, je respire un grand coup, et mon esprit est libéré de la peur paralysante qui me tenait prisonnière. Je parle calmement, ayant repris mes esprits, et fais face au vieil homme. Il lève un sourcil, je soutiens son regard, et ses yeux se baissent un bref instant sur ma hanche, si rapidement que j'ai à peine le temps de suivre son regard. Aussitôt, il déclenche une douleur irrationnelle dans ma hanche, et je plis la jambe droite pour l'atténuer, en vain. J'ai les larmes aux yeux tant elle est grande, et finalement je baisse la tête et pince les lèvres pour retenir un cri. La douleur s'évapore aussitôt, tout d'un coup, et je me tiens de nouveau debout, bien droite. Je jette un regard neutre à Mentor, et regarde Liz dans les yeux. Mais la haine que je ressens pour mon professeur m'aveugle et je ne peux me concentrer suffisamment pour exécuter ses ordres.
« Je suis là » murmure Mélio.
​Et me voilà dans mon esprit. Elle est dans mon esprit, je le sens, c'est un peu désagréable, elle fouille, on dirait qu'on a une bête dans ses vêtements et qu'on ne peut pas l'enlever. Pourquoi je ne l'entends pas ? Aurélien lui demande de me parler, mais je n'entends rien. Je vais essayer de lui parler.
« Euh... Ethana ? »
​Aïe ! Aïe ! Elle me fait mal, et je m'en veux, mais le choc m'a fait sursauter plus fort que, et elle m'a fait mal, je ne comprends pas pourquoi, j'ai peur, je veux qu'elle sorte, je ne veux pas qu'elle recommence, je la sens encore, elle me fait peur...
« Aurélien, elle me fait mal, dis-lui de partir ! demandé-je »
Elle ne part toujours pas, pourquoi elle ne repart pas, je commence à pleurer, elle me fait peur !
« AAAAH ! hurle-t-elle »
- AAAAH ! hurlé-je sous la douleur.
​Aussitôt, je reviens à moi, je serre les poings pour ignorer la douleur à ma hanche, et elle cesse aussitôt. Je respire un grand coup, et me tourne vers Mentor, furieuse. Mais je ne dis rien. Je n'en ai pas la force. Je le regarde, je regarde Liz et ses larmes, et je sens les miennes un peu trop présentes. Je les ravale et m'agenouille devant la petite fille en retenant une grimace de douleur. Je n'ai pas pris ma potion antidouleur, du coup le moindre mouvement est douloureux. Elle a un mouvement de recul quand je m'approche d'elle qui me serre le cœur. Je prends sur moi et lève la tête vers elle.
- Excuse-moi si je t'ai fait mal, je ne voulais vraiment pas, c'est juste que je préfère qu'on m'appelle Thana, et comme tu m'as appelé Ethana, ça m'a surprise, expliqué-je. Je vais faire attention, je te promets, je ne vais plus te faire de mal.
Elle hoche la tête et sourit à travers ses larmes.
- C'est pas grave, répond-elle.
- Thana, commence Mentor.
Je me retourne vers lui et me relève.
- Tu as fait ce que je t'ai ordonné ? demande-t-il.
Je le regarde, et la peur s'empare de moi et me serre le ventre.
- Qu'est-ce...
- Je t'ai donné des ordres pendant que tu lisais l'esprit de Liz. As-tu fait ce que je t'ai ordonné ?
- Vous m'avez donné des ordres ?
- Tu ne m'as pas entendu ?
Il fronce les sourcils.
- Bon. Passons. Qu'as-tu vu dans l'esprit de Liz ? Décris-moi tout.
- Je... je suis entrée dans l'esprit de Liz, et je suis devenue Liz, en quelque sorte. Je veux dire, je n'avais plus de pensées, je lisais les siennes, et c'est tout. J'entendais ses questions, ses pensées, tout ce qu'elle pensait en temps réel.
- Et quelle voix entendais-tu ?
J'écarquille les yeux. Je me rends compte que je suis obligée de réfléchir pour répondre à la question.
- Euh... la sienne. C'était sa voix.
Il me regarde attentivement.
- Et tu dis que tu ne pensais plus ?
- Non. Je suivais ses pensées, je n'avais plus de pensées, de sentiments, j'étais elle en fait.
- Et quand elle a eu mal, tu as eu mal aussi ?
- Oui.
- Je lui ai demandé de te parler par esprit. L'as-tu entendue ?
- Je l'ai entendue penser qu'il fallait qu'elle me parle, je l'ai également entendue me parler, mais je n'ai pas entendu ce que vous disiez. Je veux dire, je ne vous ai pas entendu par ses oreilles.
- Donc, tu perçois ses pensées jusqu'à un certain niveau seulement ? En fait, si je comprends bien, tu captes ses émotions, ses pensées, mais pas les évènements extérieurs ?
- Euh... oui, c'est à peu près ça.
- Et tu l'as entendue parler à voix haute ?
- Je l'ai entendue penser à ce qu'elle disait, j'ai sue qu'elle parlait parce qu'elle pensait à ce qu'elle disait en même temps.
Il se tourne alors vers Liz. Il s'accroupit pour être à sa hauteur, et son visage perd de son austérité et de sa sécheresse. Il se détend, sourit, et ressemble plus alors au grand-père bienveillant et gentil qui aime rire avec ses petits-enfants qu'au professeur mercenaire sans pitié.
- Liz, tu veux bien me dire ce que tu as ressentis lorsque Thana est entrée dans ta tête ? demande-t-il en tapotant le front de la gamine, qui sourit.
- J'avais l'impression d'avoir un gros truc en plus dans ma tête, c'était désagréable, un peu comme un insecte dans les vêtements qui se balade, sauf que là on peut pas l'enlever, explique-t-elle avec ses mots d'enfants.
Il la regarde un bref instant, de nouveau sérieux, avant de se détendre.
- Tu sentais qu'elle était dans ta tête ?
- Oui.
- Et tu pouvais m'entendre, n'est-ce pas ?
- Oui.
- Tu pouvais me v... Thana ! s'exclame-t-il en se levant pour me faire face. Qu'est-ce que tu vois, quand tu es dans son esprit ?
Je le regarde, stupéfaite tout d'abord par sa question, mais ensuite par mon incapacité à lui donner une réponse. Je ferme les yeux, me remémore la sensation, et lui réponds en rouvrant les yeux.
- Rien. Je ne vois rien ?
- Tu vois tout noir ?
- Non, plutôt comme si je fermais les yeux. Je ne vois pas noir, mais je ne vois rien.
- D'accord... Liz, revient-il en s'accroupissant de nouveau, est-ce que tu entends les pensées de Thana ?
- Non. Elle n'a même pas répondue quand j'ai essayé de lui parler dans ma tête.

Des ailes dans le dos - MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant