Je suis muette de stupeur. Car oui, je pensais tout ça. Car ses paroles dures me blessent plus que ce que je n'avouerais jamais, alors que j'aurais aimé ne rien ressentir. La colère enfle en moi, à un point inimaginable, un maelstrom de paroles dures et de souffrance se forme en moi, une boule de colère colonise mon ventre, qui se tord.
- J'ai pris des couteaux dans la cuisine, et j'ai jouée au boucher ! hurlé-je, folle de rage face à ces paroles dures.
Je me lève, mais je n'ai rien pour extérioriser ma colère. Juste ces deux chaises, Mentor et un verre d'eau... j'attrape le verre d'eau, le lui jette dessus de toutes mes forces, le rate considérablement, mais je sens que Mentor prend peur. Je peux sentir sa peur et sa surprise envahir la pièce. Je me jette sur lui, mes mains vers son cou, et il ne réagis pas, encore sous le choc. Sous le choc de quoi ? Je ne sais pas, et peu m'importe. Mes mains percutent violemment son cou, et la chaise bascule en arrière, nous emportant tous deux dans sa chute. C'est ce qui fait réagir Mentor, qui m'inflige une douleur sans précédent à la hanche droite, m'empêchant de faire le moindre mouvement. Je hurle de rage, impuissante, emprisonnée au sol par la douleur, je le regarde se relever et quitter la pièce, tandis que je suis au sol, incapable du moindre mouvement. Je tente de bouger la jambe, mais la douleur est telle que j'en ai les larmes aux yeux. Je reste ainsi des heures, je vois même le soleil se lever, je crie de rage sans discontinuer, je hurle face à la frustration intense de ne rien pouvoir faire sinon crier. Je hurle, je hurle, toujours, sans m'arrêter. J'appelle Mentor, Mélio, j'appelle ceux qui peuvent arrêter ça, mais personne ne vient, et je continue de hurler ma rage. Le soleil est déjà haut dans le ciel, lorsque Mentor réapparait enfin.
- Mentor ! Relâchez-moi ! hurlé-je, furieuse.
- Fais le toi-même, dit-il calmement, et je manque de l'entendre tant je crie.
Je cesse de crier, je pousse violemment sur ma jambe, me voilà debout, la douleur est intolérable, les larmes coulent sur mes joues, mais je les ignore, et je me jette sur Mentor, qui écarquille les yeux en me voyant presque sur lui. Il recule précipitamment, mais ma main attrape son bras, et nous commençons à nous battre. Il prend rapidement le dessus, évidemment, mais ma rage redouble, je vois rouge, et puis noir.- Je ne sais pas exactement, il faudrait pour cela que je fasse des recherches plus poussées. Peut-être simplement une overdose ? Il ne faut pas sauter aux conclusions tout de suite, quelles qu'elles soient, murmure une voix familière.
Je ne vois rien, les yeux toujours fermés, mais mes sens s'éveillent, et j'identifie mon environnement. Cette odeur... je renifle discrètement, et reconnait enfin l'infirmerie. Je sens également Mentor et son odeur si caractéristique, et une dont je mets du temps à me souvenir. Félicie ? Logique. Je me fige, dans le but d'en savoir plus, mais ils semblent en avoir terminé, ce qui me déçoit. J'en ai marre de ne rien comprendre, de ne surprendre que les fins de conversations qui ne me mènent à rien, de me sentir tellement victime. Victime de tout, de la situation, de la guerre, de Mentor, de ma rage. Encore quelque chose que je ne comprends pas. De quoi parle Félicie ? De quoi et de qui ? Moi ? Je pourrais faire une liste très longue de ce que je ne comprends pas... je souffle un peu trop fort, ce qui attire l'attention des deux adultes. J'ouvre les yeux, pour les voir me dévisager d'un air... anxieux ?! De quoi ont-ils peur ? Qu'est-ce que j'ai encore fait ?
- Quoi ? demandé-je, sur la défensive.
Mentor regarde Félicie, qui hoche la tête et quitte la pièce, nous laissant seuls. J'aurais presque aimé qu'elle reste... il s'assoit sur le bord de mon lit blanc et impeccablement clean. Il enlève ses chaussures, et s'assoit en tailleur en face de moi, plus que méfiante.
- Retourne-toi et relève ton t-shirt, ordonne-t-il.
Je m'exécute en silence. Je sens son regard scruter ma marque autant que mes cicatrices. Il ne bouge pas, ne me touche pas, ce dont je lui suis reconnaissant, se contente de regarder.
- Colonne vertébrale ? demande-t-il en effleurant la cicatrice qui me barre le milieu du dos.
Je hoche sèchement la tête, et il retire sa main. Il regarde, il abreuve ses yeux et sa mémoire de cette image, pour ne plus l'oublier. Il bouge la tête, s'approche, comme pour scruter mon dos. Finalement, il me tend mon t-shirt, que j'enfile prestement, et je me retourne vers lui.
- Ta marque est différente de celle de Locas, tu as remarqué ? demande-t-il. C'est parce que les démons ont tous une marque différente des autres. Chaque démon a une paire d'aile unique. Ce que je ne comprends pas... sortons, nous avons quelque chose à faire.
Il se lève et je le suis. Nous nous rendons dans le bureau de mon père, il fouille dans tous les tiroirs, mais semble ne rien trouver et ressort. Nous traversons le château pour aller dans une pièce encore inconnue de moi.
- Voici le bureau des archives, m'explique Mentor. Prends une chaise. Je ne sais pas comment ça se fait que tu aies des ailes noires et cette marque caractéristique des démons, je ne sais pas si tu en es une, c'est pourquoi nous allons faire des recherches. Je veux voir toutes les fréquentations de ta mère à l'époque où elle est tombée enceinte, toutes les dernières infiltrations, ses dernières missions, tout ce qui pourrait prouver que tu n'es pas un ange à part entière. Il faut absolument que nous trouvions ce que tu es exactement et que nous construisions un solide dossier avant que qui que ce soit apprenne l'existence de cette marque, car sinon, tu vas avoir de gros ennuis, crois-moi. Mais tout d'abord, je veux que quelque chose soit clair entre nous. J'apprécie énormément ton père, et j'appréciais de même ta mère. L'idée qu'elle ait trompée ton père me répugne, mais c'est la seule explication logique que je vois. Je ferais tout et n'importe quoi pour prouver que ce n'est pas la cause de ta marque. D'accord ?
Je hoche la tête.
- Tu ne dois évidemment parler de ces recherches à personnes. Nous dirons que je t'initie à la politique. Bien, commençons. Ta mère est probablement tombée enceinte le 11 octobre 1999, car tu es née avec dix jours d'avance. Il faut donc rechercher les personnes qu'elle aurait pu fréquenter pendant cette journée, la veille ou le lendemain.
- Comment allons-nous trouver toutes ces informations ? Toutes ses fréquentations n'ont certainement pas été retranscrites comme étant des archives, dis-je, sceptique.
- Non, mais il arrive que des ambassadeurs démons soient envoyés au château pour des négociations. Si nous parvenons à retrouver la date de séjour du dernier ambassadeur démon, nous pourrons essayer de voir si cela a un lien avec toi. Cherche dans ce dossier, c'est le dossier 1999.
Nous nous attelons à la tâche pendant toute la journée, et nous ne voyons pas le temps passer. Mais nous ne trouvons rien qui pourrait nous éclairer. Rien de suspect ne s'est passé entre le 10 et le 12 octobre 1999, aucune infiltration connue, aucune mission, aucun prisonnier, aucun ambassadeur, rien. Soudain, alors que mon ventre gargouille faiblement, un énorme BOUM fait trembler le grand bureau. Je me retourne vers Mentor qui me fixe, incrédule.
- Quand est-ce que ta marque est apparue ? crie-t-il presque.
- En me levant je l'av... Oh ! Elle est apparue toute seule ! Je n'ai pas sortie mes ailes ! Mais... pourquoi ?
Il me regarde, stupéfait. Je laisse mon paquet de paperasse retomber sur le bureau, et je soupire. Tant de questions... et aucune réponse. Pas seulement à propos de ma nature. Il y a trop d'éléments qui restent inconnus pour moi, je ne contrôle plus rien, je suis complètement hors-jeu... les recherches n'aboutissant à rien, nous finissons par rejoindre le gymnase, pour continuer l'entraînement.
- Au programme aujourd'hui, développement de tes pouvoirs. Tu es capable de contrôler les éléments, et tu as une grande puissance, mais aucune technique, et une durée d'utilisation très courte. Je vais donc t'enseigner comment utiliser ton pouvoir pour en faire une arme, et nous allons nous entraîner souvent, pour que l'effort t'épuise de moins en moins jusqu'à devenir presque inexistant. Pour ton pouvoir d'Invisible, je vais le faire sortir, et voir comment tu t'en sors. Et pour ton détecteur de mensonge... je crois que nous allons commencer par ça, car ça risque fort d'être très intéressant. D'abord, j'ai quelques questions. De quoi es-tu capable exactement, dont ne sont pas capables les humains ?
- Contrôle des éléments et détection des mensonges, évidemment, mais j'ai également des sens plus développés. Et une bonne intuition.
- Dans quel sens ?
- Je prévois les réactions des gens, j'arrive à percevoir ce qu'ils pensent, parfois, enfin j'arrive à lire en eux.
- Comment fais-tu ? Un exemple concret à me donner ?
- Je les regarde dans les yeux, et je devine l'opinion qu'ils ont de moi, ce qu'ils s'apprêtent à dire, leur humeur du jour. Rien d'important, les gens sont justes prévisibles.
- Pas si sûr... donne-moi un exemple.
- Eh bien... je ne sais pas, au lycée par exemple, des gens que je ne connais pas, j'arrive le matin, je les regarde dans les yeux, et j'arrive à voir que je les mets mal à l'aise, qu'ils ne m'aiment pas trop, et la raison exacte. Genre je sais que untel ne m'aime pas parce que je fais peur avec mes yeux, un autre ne m'aime pas parce qu'il est ami avec quelqu'un que j'ai battu en option, alors que je ne les ai jamais vu ensemble, enfin rien d'extraordinaire, mais disons que j'arrive à percevoir ce qu'ils pensent de moi. Un peu. Je suis capable de prévoir la réaction des profs, parfois. Savoir si un incident va les faire rire ou pas. Peut-être une question d'habitude. Je ne sais même pas pourquoi je mentionne ça, je suis sûre qu'Emilie devine ça aussi...
Je m'emmêle les pinceaux, je suis confuse, je ne vois pas pourquoi j'ai parlé de ça alors que ça n'a jamais eu la moindre importance pour moi, que je ne l'avais jamais noté. Mentor me scrute, et je rougis sous la honte.
- Pendant les prochains jours, tu vas faire plus attention à cette... faculté, et tu vas me dire si tu y arrives mieux, ou si tu sens que c'est anodin.
- Je sais que c'est anodin, je ne l'avais jamais spécialement noté comme j'avais noté que je détectais les mensonges !
- Fais ce que je te dis. Entraîne-toi, fais un effort. Prends ça au sérieux. On ne s ait jamais...
- Pourquoi cela a-t-il une telle importance ?
- J'ai étudié ton dossier, et je suis stupéfait par la puissance de tes pouvoirs. Le contrôle des éléments n'utilise pas toute cette puissance, il doit y avoir autre chose. Je cherche quoi.
Je hoche la tête, mais je reste sceptique. Mais je ferais attention. Pas le choix, de toute façon.
- Parle-moi de ton détecteur de mensonges.
- J'arrive à percevoir quand quelqu'un me ment consciemment. Si par exemple Emilie a... je ne sais pas moi, si elle a acheté un nouveau livre et qu'elle me dit le contraire, comme elle sait qu'elle ment, je le saurais. Mais si elle s'apprête à recevoir un livre, et qu'elle pense avoir... un collier, elle me dira qu'elle n'aura pas de livre, et je ne saurais pas que c'est un mensonge. Disons que j'arrive à percevoir le mensonge quand la personne qui me le dit sait que c'est faux. Si elle est persuadée que c'est vrai, dans ce cas je le crois aussi.
- Jusqu'à quelle limite ?
- Pardon ?
- Ton détecteur a-t-il une limite ? Y a-t-il des mensonges que tu ne peux pas percevoir ?
- Je ne sais pas...
- Si la personne parle de sentiments, que se passe-t-il ? Si elle est confuse ? Si elle n'est pas sûre ?
- Si elle parle de sentiments, si elle déclare qu'elle n'aime pas quelqu'un et que c'est faux, et qu'elle sait que c'est faux, c'est le même principe à chaque fois. Si elle est confuse, je le suis aussi. C'est horrible dans cette situation parce que c'est complètement brouillé. Si elle n'est pas sûre, pareil. Je ne peux en aucun cas éclairer une situation qui n'est pas certaine.
- Comment cela marche-t-il ? Je pose les questions, et tu donnes la réponse ?
- Non. Vous énoncez une affirmation et je vérifie sa véracité.
- Par exemple... il y a quelqu'un d'autre dans la pièce... ?
Je plisse les yeux en fronçant le nez.
- Vous faîtes un essai, vous n'avez pas d'avis finis sur ça, et en plus vous posez une question. C'est totalement confus. Je suis tentée de dire vrai, mais si vous posez plus clairement l'affirmation, ce sera plus clair.
- Il n'y a personne d'autre dans la pièce.
- Vrai.
Il hoche la tête, pensif.
- Tu es un démon, dit-il.
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Des ailes dans le dos - Mort
FantasyJe suis différente et ce, depuis toujours. Mais rien ne me préparait à cela... Si le monde que je connais depuis ma naissance est injuste et vil, celui que je découvre est cruel et dangereux. Mais je ferai tout pour y survivre. Tout. Même si la mort...