Chapitre 22

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- Mademoiselle Field, me feriez-vous une fois dans votre vie l'honneur de vous tenir éveillée pendant mon cours ? hurle le prof de français, me réveillant violemment.
- Quoi ? balbutié-je, encore perdue dans mes noirs rêves.
- Quatre heures de colle ! crie-t-il de nouveau, tandis que la classe entière inspire bruyamment, bouche bée.
- Quoi ? répété-je.
- Prenez vos affaires, sortez de cette classe, et n'y revenez que lorsque vous serez prête à vous montrer attentive. Je ne tolérais plus ce manque considérable de respect !
Il retourne à son bureau, prend un papier et y note je ne sais quoi, puis le me tend, l'air pincé. Je me frotte les yeux dans l'espoir vain de revenir à la réalité.
- Donnez ceci à Mme Lisbon de ma part. Au revoir Mademoiselle Field.
- Salut, marmonné-je, encore dans les choux.
Je prends ma veste, mon sac en toile, le balance sur mon épaule, et sors de la classe en mâchouillant mon chewing-gum à la menthe, sous les regards sidérés de la classe entière. Je claque violemment la porte, et sors du bâtiment. Je marche jusqu'au stade, et m'allonge sur l'herbe, les mains sous la tête, les chevilles croisées. Le ciel gris me surplombe, petite chose au milieu de rien. Minuscule et insignifiante fourmi dans l'usine qu'est le monde. Je sors mes écouteurs et ferme les yeux.

Je retrouve Emilie désemparée pendant la pause déj.
- Qu'est-ce qu'il se passe Emilie ?
- Je viens d'apprendre que ma mère est en procès pour manque de surveillance.
- Euh... comment ça ?
- Elle est accusée de ne pas t'avoir assez surveillée, ils disent que tu aurais pu te faire agresser lorsque tu as découvert tes pouvoirs.
Alors là, je tombe des nues.
- Qui l'accuse ?
- Je ne sais pas, je viens de te dire tout ce que je sais pour l'instant.
Elle semble au bord des larmes. Je tends le bras pour toucher le sien, hésite, et finalement la prends dans mes bras. Elle me serre de toutes ses forces.
- On a qu'à sécher cet aprèm, on va aller voir ce qu'il se passe, OK ?
Elle acquiesce. Léger problème, nous n'avons aucun moyen de nous rendre au royaume sans que cela se sache.
- Emilie...
- Mmh ?
- Par le plus heureux des hasards, tu ne saurais pas où se trouve le plus proche des Passages ? demandé-j' en grimaçant d'avance.
- Si, mais il est surveillé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, on saurait donc qu'on sèche.
- Bon, OK. Déjà, sortons. On ira acheter un sandwich au supermarché.
Elle attrape son sac, et nous sortons. Une idée me vient à l'esprit, et je souris malicieusement.
- Emilie...
- Mmh ?
- Tu n'as pas le vertige, n'est-ce pas ?
- Grand Dieu non ! Tu imagines ? Je suis un ange et j'ai le vertige !
Elle éclate de rire à cette idée grotesque.
- Pourquoi cette question ?
- Suis-moi, répondis-je mystérieusement.
Nous marchons jusqu'au lampadaire près du lycée, et je monte. Elle me regarde avec des yeux de merlan frit, et je l'aide à monter. Une fois sur les toits, nous observons la ville s'étendre sous nos yeux, grise et morte. Je lui prends la main et l'entraîne jusqu'à la boulangerie, qui se trouve près du supermarché.
- Thana ! s'écrie la boulangère. Comme ça fait plaisir de te voir !
- Salut Sophie, comment tu vas ?
- Super et toi ma belle ?
- Bien aussi, répondis-je.
- Je ne te vois plus beaucoup en ce moment...
- Quelques évènements récents ont bouleversés ma vie, on va dire ça.
Elle me fait un clin d'œil, je prends quelques nouvelles, et nous repartons. Nous achetons un sandwich au supermarché, avant d'aller se poser dans un parc pour réfléchir à ce que nous allons faire. Impossible de faire appel à Forte, évidemment, il irait immédiatement faire son rapport à mon père. Passer par le Passage serait pire...
- Pourquoi ne pas faire appel à Lachlyn ? proposé-je.
- Jusqu'à quel point as-tu confiance en elle ? demande Emilie en plissant les yeux.
- Elle ne dira rien, si je le lui demande.
- Qu'est-elle pour toi ? demande-t-elle lentement.
Je la regarde dans les yeux, et je repense à ce que Mentor m'a demandé de faire.
- Nous sommes... proches.
Je guette sa réaction.
- Dans quel sens ?
Est-ce que je la connais trop bien ? Peut-être. Elle est trop facile à lire.
- Physiquement.
Ses yeux s'écarquillent sous la surprise, que j'avais prévue. Et aussitôt, je vois la question qu'elle se pose à l'instant où je réponds.
- Vous...
Elle se racle la gorge, terriblement gênée , tandis que j'essaie déjà de deviner la formulation exacte de sa question. Elle me regarde, souhaite que je réponde sans qu'elle ait à poser la question, mais je veux qu'elle la pose pour qu'elle se rende compte de l'absurdité d'une telle question. Elle fronce légèrement les sourcils et prend une grande inspiration.
- Vous... Vous n'avez quand même pas... Pas fait tu sais quoi ?
Je me retiens d'éclater de rire et la regarde très sérieusement, je penche un peu la tête sur le côté pour me donner une figure interrogative.
- Pas fait quoi Émilie ? Je ne vois pas ce que tu veux dire...
Ha, qu'est- ce que je ris intérieurement ! La situation est tellement drôle, j'ai du mal à rester sérieuse. Elle me regarde, écarquille les yeux pour se faire comprendre. Mais j'ouvre les miens plus grands pour lui signifier que je ne vois pas son sous-entendu. Elle soupire, pose son regard ailleurs en rosissant violemment, et pose finalement la question.
-Est-ce que vous avez... Couché ensemble ? Termine-t-elle d'une toute petite voix en se tassant sur elle-même. Et j'éclate de rire en secouant négativement la tête.
- Nous ne sortons même pas ensemble, nous n'avons rien fait, mais nous sommes proches d'une manière étrange, je dirais, elle compte pour moi, dans un sens que tu ne comprendrais pas.
Elle est légèrement vexée, je le vois. Mais je n'ai pas vraiment envie de la rassurer, je veux qu'elle voit combien la jeune fille compte pour moi, même si je serais incapable de qualifier notre relation. Je ne l'aime pas d'amour, c'est une chose certaine, mais... je repense à la soirée dans la piscine turquoise. Comment qualifier cet instant de rapprochement physique ? Elle ne m'aime pas d'amour et c'est réciproque, mais nous sommes tellement... familière à l'autre que ce comportement est normal pour nous. Quand bien même il ne l'est pas pour d'autre.
- Ne t'inquiète pas, Emilie, dis-je enfin.
- Je ne m'inquiète pas, répond-elle, et je sens le mensonge.
Je fronce les sourcils, et elle soupire.
- Je veux juste savoir ce qu'elle représente exactement pour toi.
Et si elle va prendre ta place, terminé-je mentalement. Cette discussion ne mène à rien...
- Donc, ça te va si je l'appelle ? Ça nous permettra de voir ta mère plus vite, rappelé-je sournoisement.
Je viens d'acheter son assentiment sans même qu'elle s'en aperçoive. Effarant. Elle acquiesce immédiatement et je lui emprunte son fide. Cinq minutes plus tard, nous retrouvons Laura chez elle, allongée sur le canapé, dans ses pensées.
- Maman ! s'écrie Emilie.
Je les laisse à leurs effusions, et j'observe leur maison. Spacieuse et claire, elle est très belle, joliment décorée et moderne. Le parquet luit, les rideaux sont impeccablement repassés, les couleurs sont harmonieuses, tout comme sur Terre.
- Comment ça se fait que vous ne soyez pas en cours ? demande Laura.
- J'ai reçu ton message, j'en ai parlé à Thana, et nous avons décidé de venir te voir, répond sa fille.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé exactement ? demandé-je.
La femme baisse les yeux.
- L'Etat a porté plainte pour manque de surveillance envers personne royale qui en ressentait le besoin.
Je reste sans voix. Mon père aurait porté plainte ?!
- Comment l'as-tu su ?
- Des représentants de l'autorité sont venus ce matin m'annoncer que j'étais attendue ce soir pour le début du procès. D'ici là, je serais tenue sans plus d'informations.
Je rage.
- Lachlyn ?
- Oui ?
- Pourrais-tu m'emmener au palais s'il te plaît ?

Des ailes dans le dos - MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant