Chapitre 39

2.8K 240 3
                                    

Un jour. J'ai déjà grillé un jour, il me reste à peine un autre jour, et deux nuits. Le coup de blues me tombe dessus avec la force d'une enclume, cette mélancolie que je déteste. Rien n'est pire que la mélancolie, ce sentiment étrange de tristesse dans une situation de bien-être, cette envie de pleurer alors même qu'on voudrait profiter de cet instant parfait. C'est vraiment l'émotion que je hais le plus. Je me couche, les yeux rivés sur les autocollants phosphorescents collés au plafond blanc, qui éclairent la chambre plongée dans l'obscurité. Prise d'un besoin d'affection, je remonte la couverture jusque sur mon menton, je replie mes jambes contre moi, couchée sur le côté, les bras sous la couette. J'ai froid, je suis triste, j'ai envie de pleurer, de m'endormir et de ne plus me réveiller. Mais non. Non, Thana n'a pas froid car elle est tellement froide elle-même qu'elle se transformerait en glaçon si elle avait froid, Thana n'est pas triste car elle a tout pour être heureuse, Thana ne pleure pas, car elle est dépourvue de canaux lacrymaux, et Thana ne va pas s'endormir sans retour car Thana a une vie merveilleuse dont elle se doit de profiter, car Thana fait, pour la première fois de sa vie, le bonheur de quelqu'un, car Thana ne peut plus être égoïste, elle n'est plus seule détentrice de sa vie désormais. Car Thana a Mélio. Thana va se réveiller car Thana a Mélio. Et car Mélio a Thana. Il compte sur elle, il a besoin d'elle, de sa vie, comme une deuxième moitié. Comment vivre quand on a que la moitié de soi ? Je soupire. Thana est fatiguée.
Je me réveille en pleine forme, reposée, l'estomac remplie, étendue comme une étoile de mer dans mon lit, bien. Oui, je suis totalement, entièrement bien. Je n'ai pas faim, je ne suis pas fatiguée, je n'ai mal nulle part, je peux faire ce que je veux de ma journée, je vais faire ce que je veux de ma journée, je me lève à l'heure que je veux. Merveilleux. Pour un peu, j'en pleurerai de bonheur. Je me lève sans tarder, dans une forme époustouflante, du genre à sauter partout et danser et chanter et m'envoler. Je file à la douche, avec mes nouveaux vêtements sous le bras, et je décide d'aller voir Teria, profitant du fait que Mélio est dehors pour passer un peu de temps avec elle. Avec l'entraînement qui s'accentue toujours un peu plus et qui me laisse toujours un peu moins de temps libre, je ne la vois plus du tout, ce qui me désole. Une fois habillée, je mets mes écouteurs, et dévale les escaliers jusqu'au jardin. Je me passe de petit-déjeuner, n'ayant pas faim, et retrouve une Teria bien éveillée, qui manifeste bruyamment sa joie de me revoir. Elle ouvre son immense gueule violette et rugit, les yeux écarquillés, se lève en un mouvement souple et fluide et s'avance vers moi. En vérité, elle est si grande qu'il lui suffit d'un pas pour être à ma hauteur. Elle se couche devant moi, ferme les yeux et plante son énorme museau dans mon ventre. Je caresse sa joue écailleuse, folle de joie.
« Thana ! Comment tu vas ma belle ? Je suis tellement contente de te voir ! Ça me touche beaucoup que tu passes comme ça, à l'improviste ! »
J'éclate de rire.
« Moi aussi je suis ravie, Teria ! Je suis en perm, et je n'ai pas de programme précis, alors je me suis dit que je pouvais passer, si tu avais un moment... »
« Et comment ! Je suis libre à toute heure de la journée, surtout pour toi ma belle ! »
Elle me fait un clin d'œil, et je peux observer son immense paupière se baisser en un geste lent, qui dénote sa puissance sans rivale. Elle est vraiment énorme, un vrai char d'assaut.
« Alors, comment tu vas ? » demandé-je avec un sourire ravi.
« Très bien écoutes ! Je suis vraiment contente de te voir dis donc ! Et toi ? Raconte-moi un peu l'entraînement ! »
Je retiens une grimace. Ce n'est pas vraiment mon sujet de prédilection... mais sa bonne humeur est contagieuse et, alors que je m'attendais à une vague de tristesse à l'évocation de mon programme de chaque nuit, une soudaine et irrésistible envie d'en parler me prend, et je me laisse aller.
« Euh... c'est long et compliqué, je te préviens... »
« Parfait ! J'ai du temps devant moi. On va faire un tour ? »
« Avec plaisir ! »
Je sens sa bonne humeur qui se fissure légèrement alors qu'elle évoque le temps libre dont elle bénéficie, et je me fais une note personnelle, il faudra que j'y revienne. Teria a besoin de parler, et il semblerait que les oreilles attentives manquent cruellement. Je monte sur son dos, laisse un message à Mélio, qui le verra quand il voudra se connecter à mon esprit, et nous nous envolons, surplombant rapidement l'immense ville qui s'étend sous mes yeux toujours admiratifs. Je commence mon récit et, pour la détendre et la faire rire, j'y ajoute une vision caustique et ironique qui la fait rire, et que je découvre par la même occasion. Il faut que j'arrive à voir l'entraînement sous cet angle-là plus souvent. Je lui raconte mes nombreux exercices, à quoi ils servent, dans quelle mesure je les réussis, je lui fais une imitation grotesque de la froideur de Mentor, dont je réprime la véritable image au fin fond de moi pour ne pas qu'elle la voit, j'aborde l'entraînement avec Mélio, notre connexion, et le sujet dérive peu à peu pour parler de notre relation, à lui et moi. Je sens sa joie de voir notre complicité chaque jour grandissante, même si je sens une pointe d'amertume et de jalousie qui m'attriste. Savoir Teria triste me serre le cœur, et j'en viens enfin aux questions, une fois que j'ai suffisamment parlé pour qu'elle puisse se le permettre à son tour.
« A toi de parler ! Je veux tout savoir ! »
Aussitôt, sa bonne humeur retombe et, si elle essaie, tout comme moi, de présenter les choses sous un jour favorable, l'amertume que je sens en elle ne me berne pas.
« Il n'y a pas grand-chose à dire, Thana. Tu es courant de tout ce que je sais, concernant les attentats, Sofia, les préparatifs de mariage, toute la politique, je me tiens à peu près au courant, mais sinon, rien à signaler ! »
Elle a dit « je me tiens au courant ». Pas « Aymeric me tient au courant », et je le note aussitôt. J'évite soigneusement de poser des questions concernant leur relation, attendant de la savoir plus à l'aise, et je pose une question d'ordre générale qui devrait me mener à un sujet plus personnel et m'apporter les réponses que je veux.
« Que font les dragons, la journée ? Je veux dire, je ne sors pas beaucoup, mais quand c'est le cas, je n'en vois pas des masses dans les rues, et pourtant tout le monde est lié non ? Je veux dire, tous les hommes. »
« En fait, les dragons aident en majorité dans le travail de leur frère d'âme, tout comme les pégases d'ailleurs, ce que je veux dire c'est qu'ils sont loin d'être inactifs, ils travaillent tout comme les anges. Bien sûr, il y a des tâches qu'ils ne sont pas à même de mener, mais il y a également des travaux d'ordre public qui leur sont confiés, et que les anges ne font pas. Le nettoyage des rues, les sentinelles, les 'transports en commun', ce sont les dragons et les pégases qui exécutent toutes ces tâches. »
« Ils font, enfin je veux dire, vous faîtes toutes les tâches ingrates ?! »
« Ils font les tâches trop dures, physiquement trop dures, ou alors trop compliquées à mettre en place, pour les anges. Par exemple, c'est la force physique des dragons qui est mise à contribution pour le nettoyage des rues, c'est leur capacité à porter plusieurs personnes pour les 'transports en communs', c'est leur endurance qui leur permet de voler pendant des heures et donc de faire sentinelle. Tu vois ? Ce ne sont pas les rejets de la société, méprisés et utilisés ! Bien au contraire, les dragons sont des êtres respectés, pour leur sagesse et leur statut. Ce sont des créatures millénaires, plus vieilles que les anges, qui sont seuls détenteurs d'un savoir dont les anges ignorent même l'existence, et qui déclenche l'admiration. Jamais tu ne verras un enfant, même en bas âge, insulter un dragon, ou le doubler, ou lui faire mal ou quoi que ce soit. Ils sont vraiment très respectés ! Bien sûr, ils ne travaillent pas autant que les anges, et ont donc des temps libres, des activités qui leurs sont proposées. »
« Quelles sortes d'activités ? »
« Oh, tout et n'importe quoi. Il y a les Chutes, très prisées en été, des courses sont organisées, vitesse comme endurance et, très populaire, les combats. »
« Il y a des combats de dragon ? » m'exclamé-je, éberluée.
« Oui ! C'est la sorte de sport national au royaume ! C'est merveilleux, il y a une arène, deux dragons, ils se saluent, engagent le combat au signal de l'arbitre, et se battent jusqu'à ce que l'un des deux soit K.O. ! Cela renforce énormément l'admiration, chez les anges comme chez les dragons, surtout si le vainqueur s'en sort avec des cicatrices à vie, qu'il exhibera comme une fierté. »
Son enthousiasme est touchant, tellement mignon ! Je détaille son dos, à la recherche d'une cicatrice qui témoignerait de sa force.
« Je n'ai pas de cicatrices, Thana. »
L'amertume dans sa voix me gifle avec une force que je ne soupçonnais pas. Quelle indélicatesse de ma part...
« Non, ne t'inquiètes pas. Ce n'est pas une question de force, Thana. Je suis leur reine. »
Oh. Je vois.
« Je suis leur reine, au même titre qu'Aymeric est le roi des anges et que Sofia sera d'ici peu leur nouvelle reine. Je ne peux pas participer à ces combats, ni aux tâches d'ordre publique. Je ne peux pas faire tout ça, je ne me plie pas aux conventions. »
« Mais alors, qu'est-ce que tu fais de tes journées ? »
Elle garde le silence pendant si longtemps que je crois un instant qu'elle ne répondra pas. Mais les mots sortent, durs.
« Rien. Je ne fais rien. Je me réveille, je vais chasser, je reviens au château au cas où on aurait besoin de moi, à deux heures je vais voler une heure, je reviens, et je chasse le soir, avant de me coucher. Je ne fais rien du tout, Thana. »
« Aymeric ne te donne pas de travail ? » demandé-je doucement.
Son corps est secoué, tout à coup, et je comprends qu'elle rit. Amèrement, malheureusement.
« Ah, Thana ! Aymeric ne me donne plus rien du tout. Ni travail, ni information, ni attention. Rien. »
« Mais... tu veux que j'aille lui parler ? C'est de ma faute s'il est si occupé, maintenant, comme je suis de retour... »
« Thana, ça fait seize ans, bientôt dix-sept, qu'il ne me donne plus rien. »
Je reste silencieuse, sonnée. Choquée, et déçue. Immensément déçue. Je ne pensais pas le problème si profondément ancré...
« Tu ne peux rien faire, Thana, rien du tout. J'ai déjà essayé, de toutes les manières possibles, mais ça n'a pas marché. Et je crois que nous sommes arrivés à un point de non-retour, malheureusement. »
« Tu veux dire que... »
Je ne sais pas exactement ce que je sous-entends, mais j'aimerais qu'elle dise non.
« Les frères d'âmes ne peuvent se séparer, Thana. Nous sommes condamnés à cohabiter pour le reste de notre vie. Bien sûr, certains trouvent des moyens de contourner cette situation, en déconnectant leur esprit, en se séparant géographiquement, et en évitant de se parler au possible. C'est dur, bien sûr car les esprits restent connectés à vie, et c'est surtout immensément rare, mais c'est possible. Mais nous ne pouvons pas. Au-delà de notre situation compte notre statut. Nous sommes roi et reine, nous ne pouvons pas nous permettre de rompre le contact, car les anges comme les ailés (dragons et pégases) ont besoin d'une cohabitation entre leur roi/reine pour réussir eux-mêmes à cohabiter ensemble. »
Je ne sais pas où nous allons, mais ça n'a plus la moindre importance. Teria vole vite, ses ailes battant furieusement, calquées sur son cœur qui palpite violemment dans tout son corps, les yeux fermés au monde qui défile sous ses yeux. Sa rage est immense, plus étendue que je ne croyais, mais c'est surtout cet océan de tristesse qui me donne un coup de poing dans le ventre. Je ne sais que dire, quand Teria prend de nouveau la parole.
« Tu es mon rayon de soleil, Thana. Tu ne t'en rends pas compte, mais ton arrivée a changé beaucoup de choses, et pour beaucoup de monde. Ne repars pas, s'il te plaît, car tu nous es devenue vitale. »
Tout doucement, sans un mot, je pose ma main sur sa peau, juste sous une écaille un peu tordue, à la naissance de son cou, et sens une légère protubérance sous mes doigts. Sa peau est lisse, sinon, chaude et douce. Elle tressaille et je sens combien elle est touchée par mon geste.
« Que s'est-il passé ? »
Ma question concerne la situation avec Aymeric autant que cette longue bosse sous mes doigts froids. Je sens Teria perturbée par ma question, je vois son esprit frôler le mien pour voir ce que je sous-entends, et sourire mentalement, lasse et triste.
« Pour Aymeric, ta perte et celle de ta mère ont été deux coups extrêmement durs. Il s'est replié sur lui-même, refusant de voir qui que ce soit, fermant complètement son esprit à toute forme de vie. Il m'a rejeté, le temps d'assimiler la nouvelle. Cela a mis du temps, mais il a fini par s'ouvrir de nouveau, par me reparler. Je pense que nous sommes restés un an sans s'adresser un seul mot. Pas un seul. Mais lorsqu'il s'est ouvert de nouveau, c'était trop tard. J'avais appris à gérer le royaume, autant chez les ailés que chez les anges, j'avais mes habitudes, mes horaires, mes contacts, et cette douleur omniprésente. Il a voulu reprendre sa place, mais je voulais garder cette action. Je n'aime pas le pouvoir, je ne suis pas née avec cette optique-là, mais l'action m'animait, j'aimais me sentir utile, me lever le matin avec un objectif, avec la certitude que je ferais quelque chose pendant la journée. Mais Aymeric est revenu, il a repris sa place, et l'inactivité que je remarquais parfois pendant notre période d'entente s'est accentuée. Avant, au début de notre relation, nous étions toujours connectés, toutes les décisions étaient prises avec mon aval, j'avais une influence importante. Avec l'habitude de la couronne, elle s'était un peu effacée, mais je restais active. Je savais qu'il me contacterait au moins une fois dans la journée, ne serait-ce que pour avoir de mes nouvelles. Mais quand il est sorti de son mutisme, il a repris les rênes, et ne m'a plus demandé mon avis. Nous avons renoué, petit à petit, suite à des demandes de ma part, plus ou moins insistantes, jusqu'au jour où le contact s'est brisé entre nous. J'étais amoureuse, Thana, follement amoureuse. J'étais jeune, je m'ennuyais dans ma prison dorée, j'étais seule et je voulais sortir. Alors une nuit, pour une promenade nocturne, je suis sortie me dégourdir les ailes, et je l'ai rencontrée. Elle s'appelait Ezda, elle avait trois ans de moins que moi, et elle était libre. Indépendante. Elle me fascinait, je l'enviais terriblement. Peu à peu, j'ai appris à la connaître. Très vite, je suis sortie chaque nuit, on se retrouvait, et elle me parlait du monde. Elle avait les yeux qui brillaient, elle connaissait énormément de choses, et elle me montrait. Je suis tombée amoureuse sans m'en rendre compte, jusqu'à ce jour où Aymeric m'a, nous a surpris. J'étais partie plus tôt que d'habitude, elle m'avait promis de m'emmener aux Chutes pour un bain de nuit, mais Aymeric avait besoin de moi, tu vois, quelle ironie. Il ne me demandait plus rien, et quand j'avais enfin appris à vivre avec ça, il m'a retiré ce dont j'avais besoin, désespérément besoin. Il avait besoin d'un avis sur une question de surveillance dont je me souviendrai toute ma vie, et je n'étais pas là. Il s'est inquiété, est parti à ma recherche. Grâce à notre lien, il m'a tout de suite trouvé, et j'étais là depuis une demi-heure à peine, quand il est arrivé, avec une garde assez conséquente. Nous étions en train de jouer dans l'eau, je découvrais pour la première fois les Chutes et c'était merveilleux, tu vois. J'ai vu Aymeric, je me suis retourné à la seconde où son garde a sorti une arme, qu'il a pointée sur Ezda. J'ai hurlé, je me suis jetée sur elle, c'est moi que la balle a touché, et nous nous sommes effondrées, moi sur elle. Tout le monde hurlait, moi à cause de la peur et de la douleur, Ezda car elle avait peur pour moi, Aymeric car il sentait la douleur, il a ordonné au garde de tirer une nouvelle fois, sur Ezda. Je ne pouvais pas bouger, la balle m'avait touché à l'épine dorsale, j'étais complètement immobile, la balle l'a eu au ventre. Elle n'a pas poussé un cri, elle m'a juste regardé avec des grands yeux surpris, puis... »
Sa voix se brise, et l'image remplace la parole. Je suis Teria, en train de couler, la douleur dans mon dos est immense, je ne peux plus rien faire, et la balle l'atteint. Ezda non ! Pas elle. Elle ne crie pas, pas un bruit. Elle me regarde, esquisse un sourire où se reflète toute sa souffrance, et pose sa bouche sur la mienne, une brève seconde. Puis elle ferme les yeux et s'enfonce dans l'eau, sa patte lâche la mienne, comme un au revoir. Une vague de souffrance me submerge une brève seconde, comme un raz-de-marée, un tsunami, mais Teria reprend le souvenir et continue son récit.
« J'ai tout fait pour ne pas m'évanouir, à ce moment-là, il fallait que je garde la sensation de sa patte sur la mienne, que je sente encore son parfum dans mon cou, ses lèvres sur les miennes. Nous nous aimions, et nous n'avons pas eu le temps de nous le dire. Je coulais, je ne pouvais plus bouger, et ce sont Aymeric et les gardes qui m'ont tiré à la surface. Dès que je me suis retrouvé sur la berge, j'ai commencé à les mordre, tous, je refusais qu'ils me touchent, ils avaient tués Ezda, m'avaient détruite, je ne voulais pas de leurs mains sur moi. Ils ont définitivement reculés quand j'ai sauvagement mordu un des gardes, et j'ai envoyé valdinguer Aymeric. Je lui ai ordonné de me laisser tranquille, seule. Il est reparti, avec ses gardes, et j'ai lutté de toutes mes forces pour rester éveillée. J'ai tenu toute la nuit. Jusqu'à ce qu'Aymeric revienne au matin. Je suis restée muette, je ne l'écoutais pas, je n'ai aucun souvenir de ce qu'il a bien pu me dire ce matin. Il est resté toute la matinée face à moi, mais je n'ai rien dit, pas une parole, et quand il a voulu s'approcher pour m'emmener au palais et me soigner, j'ai failli lui arracher le bras. Il est reparti, est revenu tous les matins, en vain. Je ne voulais pas entendre un mot. Les Chutes ont été fermées tout le temps de ma guérison, il m'a fallu trois mois pour recouvrir totalement mes mouvements. Un mois d'immobilité complète. J'ai été nourrie par Lax, qui m'apportait tous les soirs de quoi manger, en cachette. Une fois, il a failli se faire prendre, et n'est pas revenu pendant trois jours. Mais sinon, tous les soirs, pendant trois mois, Lax chassait pour moi, se cachait, courait un risque énorme, me soignait, aussi. J'ai refusé qu'il touche à la plaie pendant une semaine, mais elle s'est infectée, et la douleur était trop grande. Il m'a soigné, a veillé sur moi pendant mon sommeil. Au bout de trois mois, j'ai pu recouvrir tous mes mouvements. Je ne pouvais pas voler sur de longues distances, il m'a fallu encore trois jours pour revenir au palais. Et quand je suis rentrée, je me suis enfermée dans mon antre. Le contact aurait pu être créé de nouveau entre Aymeric et moi, car il regrettait vraiment son geste, me croyait en danger, n'avait pas su écouter ma joie mais avait plutôt vu Ezda au-dessus de moi comme un danger. Il s'est excusé pour la balle que j'ai reçue, aussi, bien que je n'en ai jamais eu rien à faire. Mais le contact ne s'est jamais vraiment recréé, car je ne voulais pas qu'il sache l'élément le plus important à mes yeux. J'étais amoureuse d'Ezda, et ça, je ne voulais pas qu'il le sache. Si je le laissais entrer dans mon esprit, il le verrait, ce que je voulais éviter à tous prix. Je me suis refermée. Un jour, quatre mois après l'incident, j'ai déclaré ne plus jamais vouloir en parler, et le sujet n'a plus jamais été abordé. Nous avons reparlé de nouveau, j'ai cessé d'être énervée contre lui, j'ai fini par comprendre ses motivations. Mais le contact était définitivement rompu, impossible. Il s'est plongé dans les affaires sans m'en faire plus part, à dater de cet évènement, et de mon côté, j'ai cessé les sorties nocturnes, les journées se sont faîtes longues, à attendre la nuit, puis le lendemain, puis la nuit, puis le lendemain. Mais te voilà, toi. Tu n'as pas idée d'à quel point j'apprécie nos conversations quotidiennes. Tu es devenue l'évènement de ma journée ! Tu sais tout, Thana. Et tu ne dois rien dire. Mais j'ai confiance. »

Des ailes dans le dos - MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant