Chapitre 18

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- Ethana, dépêche-toi ma chérie ! Ce n'est ouvert que jusqu'à dix heures, nous avons déjà de la chance que ce soit ouvert ! Tiff, met tes chaussures, Ethana, n'oublie pas ton manteau, il fait froid dehors !
Je mets mon manteau à l'envers, et elle rit en me voyant. Son visage s'approche du mien, elle sourit, et m'aide à le mettre à l'endroit. Puis elle se détourne et fait les lacets de Tiff. Elle me plante un baiser sur le haut de la tête, juste sur ma mèche noire, et me caresse la joue en souriant, heureuse.
- Je peux monter à l'avant ? S'il te plaîîîîît !! demandé-je.
Elle rit de nouveau.
- Bon, d'accord, exceptionnellement.
Tiff s'installe sur son siège haut, et je monte à l'avant, euphorique et fière, immensément fière. J'attache ma ceinture, Tiffany aussi, et nous partons en route.
- En route ! dit-elle de sa voie enjouée.

Et j'ouvre les yeux, le museau de Mélio qui me presse violemment la joue.
« Réveille-toi, Thana. »
« Que se passe-t-il ? » je relève la tête de l'oreiller pour regarder mon lion.
« Ne va pas plus loin. Pense à autre chose. »
Je repose la tête sur mon lit, et deux larmes roulent sur mes joues. Le plafond devient flou, je ferme les yeux un bref instant, roule sur le côté, et la patte de Mélio se pose sur ma hanche en un geste protecteur. Je me rendors.

​Au réveil, un message de Félicie, l'infirmière, m'attend pour me prévenir que mon père est réveillé. Je m'habille rapidement, prend soin de me faire belle pour lui faire plaisir, et file à l'infirmerie. Je le retrouve assis, appuyé sur une pile de coussins, reposé et serein. Il lit avec sérieux une feuille qui capte sérieusement son attention, si bien que je suis obligé de lui tapoter l'épaule pour qu'il se rende compte de ma présence. Immédiatement, son visage se détend et ses lèvres s'étendent en un sourire ravi qui me réchauffe comme d'habitude le cœur. Il me donne l'impression d'être son soleil. Chaque fois que je le vois, il sourit de la même manière, comme si j'étais la chose la plus précieuse qu'il avait, et que je venais de lui faire une magnifique surprise. Je l'embrasse, le serre dans mes bras, et m'assois sur le bord de son lit.
- Tu es particulièrement jolie ce matin, Thana, dit-il.
- Tu dis ça tous les matins, répliqué-j' en riant.
- C'est que tu es belle tous les matins, dit-il en riant à son tour. Comment vas-tu ? Bien dormie ?
- Je vais très bien, et oui, ça fait du bien d'avoir une vraie nuit, entière !
Semi-mensonge.
- Et toi ? continué-je.
- Bof, les lits sont affreusement inconfortables, j'ai mal au dos... et puis tu vois la femme en blouse blanche là ?
- Elles sont toutes en blouse blanche !
- Bon, la rousse au chignon sévère. Tu vois ?
- Oui...
- Un cauchemar d'être son malade ! Elle passe sa vie à ronchonner et refuse que j'aie la moindre visite ! Heureusement, Félicie est gentille et t'a prévenue que j'étais réveillé.
- Oui, c'est sympa de sa part. A ce propos... je voulais te parler.
- De quoi ?
- Je voulais savoir si je pouvais dormir sur Terre, cette nuit.
- Euh... bien sûr ! Pas de problème ! Quelque chose ne va pas ?
- Pourquoi cette question ?
- Tu veux dormir sur Terre alors je voulais savoir si quelque chose n'allait pas, ou s'était mal passé ici...
- Ah non t'inquiète papa ! Tout va bien, j'ai juste envie de passer un peu de temps sur Terre.
- OK, bien sûr, pas de problème ! Tu pars à quelle heure ?
- Je ne sais pas, après le dîner, vers vingt-trois heures certainement.
- D'accord.
La rousse se retourne alors vers nous, et me jette dehors. Je lève les yeux au ciel, irritée, et décide d'aller voir Teria. Je sors dans le jardin-parking-de-dragon de devant le château et je retrouve la grande dragonne parme. Elle ouvre doucement les yeux, nullement surprise de me voir.
« Bonjour, Thana, je suis contente de te voir. Comment vas-tu ? »
« Bonjour Teria. Le plaisir est réciproque. Bien et toi ? »
« J'ai connue des jours meilleurs. »
« Quelque chose ne va pas ? »
« Je n'aime pas ce qui se passe au royaume ces temps-ci. De plus, tant que ton père n'est pas en excellente santé, je reste inquiète pour lui. »
Je regarde ses prunelles, attendant qu'elle m'explique ce qu'elle entend par sa première phrase.
« Cet attentat sur ton père et toi ne me plaît pas, évidemment, car il a attenté à votre vie, mais également car cela signifie que les démons ont trouvés le moyen de pénétrer dans le royaume sans que personne n'ai été capable de les arrêter. Et à moins que cet homme ne travaille seul, et dans ce cas, je ne sais pas quelles sont ses motivations, il travaille pour quelqu'un qui veut votre mort à tous deux, donc il ne sera que le premier d'une série que je devine longue. La paix a été longue, mais une paix longue signifie une guerre violente et plus longue encore. La guerre qui se prépare, car il y en aura une, sera meurtrière, tu peux en être sûre, Ethana, et personne ne sera épargné. »
Je suis glacée d'effroi face à ses paroles. « Les règles ont changées, Ethana, et tu ne sais pas à quel point ta valeur pèse dans la balance de l'issue de la guerre. Tu es bien trop précieuse pour pouvoir te fier à quiconque. N'écoutes plus que toi désormais, et cache à tout pris cette marque. » Les paroles de Félicie me reviennent en mémoire. L'infirmière en saurait-elle plus qu'elle ne le montre ? Je dois lui parler, de toute urgence. Que représenté-je dans la guerre qui se prépare ? Et comment être sûre qu'il y en aura une ? Les questions, les évènements récents et mes maigres connaissances se bousculent dans ma tête. Une guerre. Il y aura donc une guerre. Ce mot a si peu de sens pour moi... je n'en ai connu aucune, et je n'arrive pas à voir pourquoi il devrait y en avoir une. Maintenant, je veux dire. Parce que je sais pourquoi les démons et les anges sont ennemis, et pourquoi ils se font la guerre, mais je ne vois pas pourquoi maintenant.
« Teria... pourquoi tu parles d'un moyen de pénétrer dans le royaume ? »
« Il n'y a que deux moyens de pénétrer dans le royaume. Soit on a le don de téléportation et on peut y aller grâce à ça, soit on utilise les Passages. Ce sont des endroits sur Terre qui nous téléportent directement soit au royaume, soit à l'empire, chez les démons, je veux dire. Mais évidemment, tu te doutes que ces passages sont férocement gardés et cachés, pour que les démons ne les trouvent pas et ne puissent pas pénétrer sur le territoire des anges. De même pour les démons. »
« Mais, si on a le don de téléportation, on peut aller directement dans les deux pays non ? »
« Pour se téléporter quelque part, il faut y être déjà allé. Et peu sont ceux qui ont pénétrés dans l'empire. »
Je hoche la tête, pensive.
« Pourquoi une guerre maintenant ? »
« Cela fait quelques années que des choses arrivent, qui me tracassent et me laissent penser que la situation devient de plus en plus dangereuse. L'héritier des démons et toi êtes nés le même jour. Le lendemain de ta naissance, tes yeux ainsi que ceux d'Emilie, Martha et Iz avaient changés de couleurs, puis tu as été exilée, et lorsque la sentence a été prononcée, un rugissement si fort qu'il a fait trembler la terre a retenti. Tu es partie sur Terre, et ton père a envoyé de nombreux anges dans ton entourage pour veiller sur toi, ce qui a attiré des démons. Le problème, c'est qu'un Passage se trouve près de ton lycée. Nous avons donc dû éviter encore plus les infiltrations en plaçant une protection supérieure autour du Passage. Avec ça, la population des démons placée à Budapest a fortement augmentée, et nous avons dû effacer la mémoire de plus en plus d'humains à qui les démons s'étaient révélés sous leur vraie forme. Et là-dessus, tu découvres non pas un mais plusieurs pouvoirs sur le lieu le moins magique de l'Univers, tu reviens au royaume, tu te lies avec un lion, ce qui n'était pas arrivé depuis seize ans, et on se tape une infiltration ! Donc, oui, je pense qu'une guerre se prépare, et qu'elle ne va pas tarder à nous en faire baver, parce que personne n'est au courant du quart de ces informations, et que les rares qui le savent ferment les yeux ou essaient en vain de trouver une solution pour arrêter cet enchaînement beaucoup trop rapide d'évènements. »
C'est comme si elle m'avait giflée. Parce que j'ai vraiment l'impression que tout est de ma faute. Je cherche l'air qui a déserté mes poumons, et regarde le sol pour ne plus voir ses prunelles violettes.
« Thana. Regarde-moi. »
Je m'exécute difficilement, incapable de prononcer un mot ni même de refuser.
« Rien de tout ça n'est de ta faute. Tu es une victime impuissante de ces évènements, comme nous tous, et nous ne pouvons que nous serrer les coudes pour essayer de nous préparer à une guerre qui va être terrible. Si les gens apprennent ça, et ils ne vont pas tarder à le savoir, ils vont chercher un coupable pour déverser leur haine et cacher leur peur. Tu seras cette coupable, Thana, car tu es au centre de ce qu'il s'est passé. Mais n'oublie jamais, jamais tu m'entends ?, que tu n'y es pour rien. Il va falloir que tu prennes les bonnes décisions, car si tu es au centre de tout ça, c'est que tu as une place importante dans cette situation. Sache que tu peux compter sur moi, d'accord ? »
Je la regarde, muette. Puis je respire un grand coup.
« OK. Mais qu'est-ce qu'on peut faire pour éviter ça, au niveau où on en est ? »
« Pas grand-chose. Ce qu'on peut faire, c'est essayer de limiter au possible les dégâts, d'accord ? Dans un premier temps, il faut prévenir Aymeric de tout ce que nous savons. Thana, surtout, ne néglige pas ton entraînement. Il est ce qui te permettra de faire pencher la balance en notre faveur, en ta faveur. Donne-toi à fond, fais tout ce que tu peux. Ecoute ce que te dit Aurélien. Il est rude, mais il le fait pour toi. Documente-toi, fais des recherches. Intéresse-toi à la politique, ce sera le seul moyen d'avoir accès aux archives et aux documents importants. Et surtout, fais très attention à ce que tu racontes, et à qui. »
Je hoche la tête, essayant d'assimiler tout ce qu'elle me dit.
« Aymeric sort de l'infirmerie demain je crois, tu lui rapporteras notre conversation ? » demandé-je.
Elle hoche sa grosse tête violette et sourit. Sur ce, son immense aile s'étend et s'enroule autour de moi en un geste protecteur. Je la regarde et souris à mon tour, heureuse, avant de la laisser se reposer. Je retourne dans ma chambre, enlève mes chaussures qui me démolissent les pieds, et me recouche, un mal de crâne épouvantable m'ayant pris après cette discussion.
​Je me réveille sous les draps chauds et doux de mon lit, un poids contre moi. J'identifie le poil doré de mon ami, qui tourne les yeux vers moi lorsque je bouge. En sous-vêtements sous les draps, la mémoire me revient peu à peu. Je repousse ma couette, me lève et vais m'habiller, enfilant une robe de chambre légère. Pieds nus, la moquette est douce sous mes pieds qui la foulent jusqu'au canapé, sur lequel je m'affale. Mais je ne me suis pas dépensée depuis trop longtemps et il est temps que je sorte de mon repaire. Mélio m'accompagne, pour une fois, et nous décidons d'aller dans le jardin. Je respire à pleins poumons l'air frais du mois d'octobre qui souffle en une brise calme. Je tends la main devant moi, et le vent tournoie en une boule furieuse au-dessus de ma paume ouverte. Je lève la main doucement, et la boule s'envole. Je continue à marcher, et mes pieds nus sentent l'herbe froide qui me chatouille. Le vent tourne autour de moi à ma demande muette, mes cheveux s'envolent, se plaquent sur mon visage, le vent souffle de tous les côtés et m'entoure en une bulle violente. Je continue mon chemin, protégée du monde extérieur par ma bulle. Je me sens... dans un état second. Ailleurs. Il y a le monde d'un côté, et moi en dehors. Je le regarde de l'extérieur, hors de ce monde et de ses règles, ses lois. Je suis hors de tout ça. Je suis différente. Et je donnerais tout pour être un peu plus « comme les autres ». Je suis fatiguée d'être le mouton noir, le vilain petit canard de ce monde.
​Je marche longtemps ainsi, avant d'être appelée pour le dîner. Je rebrousse chemin, à contrecœur, et arrive avec une demi-heure de retard au dîner. Mes voisins de table ronchonnent, mais je m'en fiche, toujours dans ma bulle. Je picore à peine, l'odeur m'écœure plus qu'autre chose, et les plats en sauce me donnent envie de vomir. Je mange quelques bouchées de mon plat, sèche le dessert et prends congé, retournant directement dans ma chambre pour préparer mes affaires pour aller sur Terre. C'est déjà ma dernière nuit de repos, avant de reprendre l'entraînement intensif. Je soupire, récupère mon pyjama et ma trousse de toilette, vais saluer mon père à l'infirmerie, et demande à Lachlyn de me ramener sur Terre. Je retrouve la maison, et Louis dans un état catastrophique. C'est vrai que je ne suis pas venue du week-end. Je passe l'aspirateur, dépoussière les meubles, fais le lit et prépare le repas tandis que Lachlyn lave Louis. Ils s'installent tous deux à table, je nourris Louis, et ensuite je me mets à la vaisselle, sors une nouvelle bouteille à Louis qui s'impatiente, continue le ménage, et décide d'aller courir. Mélio m'accompagne, et je cours pendant deux heures avant de rentrer. J'ouvre les fenêtres, file sous la douche, mets mon pyjama, et file au lit pour profiter d'une dernière nuit tranquille avant je ne sais combien de temps sans repos. Je me relève aussitôt et file dans le minuscule carré de jardin derrière pour être seule, avec Tiff. Elle me rejoint, froide.
- Tiff, je suis désolée... je voulais te prévenir mais je n'en ai pas eu le temps... commencé-j' en baissant les yeux, morte de honte.
- Oui, bien sûr, Tiff la moins que rien, par rapport à la belle et grandiose Thana, qui a une vie à mener, elle ! Mais pourquoi je me plains ? Après tout, je suis morte, alors je n'ai pas mon mot à dire ! N'est-ce pas ? Pas un seul mot, rien ! RIEN ! Rien pour me prévenir, rien, juste le vide !
- Tiff, je suis tellement, tellement désolée...
Et je ne parle pas que des évènements récents. Je suis désolée de vivre, de vivre sans toi. Ma chérie, si tu savais combien je t'aime et combien je m'en veux... elle commence à pleurer, à pleurer des larmes de rage, et de tristesse. Je la serre contre moi, elle me repousse faiblement avant de se laisser aller dans mes bras. Elle est si seule. La faute à qui hein ? Je me hais.
- C'est pas grave, Thana, murmure-t-elle, et elle aussi ne parle pas que des évènements récents.
Je soupire.
- Il faut que je t'expliques pourquoi j'étais pas là ces dernières semaines... tu vas halluciner !
Et je lui raconte tout, en détail. Je passe l'histoire de la guerre sous silence, mais je lui parle de tout, y compris du fait que je suis fille de roi, et que j'ai été adopté. Ses yeux s'ouvrent très, très grands, et un sourire se dessine lentement sur son visage enfantin. Je lui dresse un portrait idyllique du royaume, je ne parle pas de l'Enfer que je vis, ni de l'attentat, mais je lui parle des Chutes, des aurores boréales, et des merveilles que je vois là-bas. Je lui parle des robes, du maquillage, des talons, de ce qui peut la faire rêver, en somme.
- Je te rapporterai une robe à ta taille, si tu veux, proposé-je dans l'espoir de la rendre heureuse.
Elle rit en hochant la tête avec ferveur.
- Oh oui oui oui oui !! Merci Thana ! s'écrie-t-elle, au comble du bonheur.
Je la serre dans mes bras, et retourne me coucher pour être en forme demain.

- Nous retournons voir Locas. Tu me seras utile, pour détecter ses mensonges, et c'est une bonne leçon que tu viennes.
​Je suis Mentor, et nous redescendons dans les étranges cachots. Locas nous y attend, propre et reposé, le visage narquois. Il est en forme, ce qui signifie que rien n'a été entrepris pour lui soutirer des informations. Mentor a réservé le terrain. Nous entrons, et je me sens calme et sereine. Mon maître sourit, et s'avancer vers le prisonnier.
- Bonjour Locas.
Celui-ci lui adresse un signe de tête sec, et se tourne vers moi, un sourire moqueur s'épanouissant sur son visage. Je le regarde, hoche la tête pour le saluer.
- C'est donc toi, l'héritière... murmure-t-il. J'avoue que je suis surpris. Autant par ton histoire que par... toi, en fait. Ce qui s'est passé est extraordinaire, mais ce que tu es... incroyable ! Et dire que tu es enfermée ici comme un lion en cage... une cage dorée, certes, mais une cage, tout de même.
- Cesse de persifler, Locas, coupe Mentor sèchement. Thana, assieds-toi, je t'en prie.
Il s'assoit en tailleur, et je prends place en face de lui, surprise et méfiante.
- Locas et moi sommes nés frères.

Des ailes dans le dos - MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant