Chapitre 14

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- Thana, reste un moment, dit Mentor de sa voix grave.
Il vient de sonner la fin de l'entraînement, il n'a pas le droit d'encore me retenir. J'ai déjà un pied dehors. Je fais volte-face, à contrecœur.
- Tu as ton week-end de libre. On reprend l'entraînement lundi soir.
Et il s'éloigne. En un mois, c'est mon premier week-end de libre. Après cette journée de cours, trois nuits de sommeil... Voilà une idée réconfortante ! Je cours dans ma suite, saisis mon fide, envois un message à mes amis, et revient sur Terre avec Lachlyn. Je cours me coucher, profiter de mon lit chaud et réconfortant, pendant que je laisse ma pauvre femme de chambre s'occuper de Louis. Elle me rejoint vite, se couche à mon côté, me serre dans ses bras, et je m'endors. Elle me réveille à sept heures quarante-cinq, je me prépare, elle m'emmène, et je passe une magnifique journée.
« Premier week-end de perme, Mélio, ça fait vraiment du bien... »
« Tu en avais vraiment besoin, tu t'es regardée dernièrement ? Il était temps que tu fasses une pause ! Regarde-moi ce pauvre prof, si peu écouté... »
J'éclate de rire sans comprendre pourquoi, attire tous les regards, et me prend un coup de coude dans les côtes de la part d'Emilie.
- J'ai reçu ton message, tu as le week-end entier ? Souffle-t-elle.
- Oui !
- Cool ! Je vais concocter un parfait petit programme pour te faire découvrir notre monde, ça va être fabuleux !
Je souris, heureuse et détendue, pour la première fois depuis longtemps.
- Je te préviens, tu me laisse des nuits entières et trèèèèès longues OK ? dis-je en la voyant sortir son fide.
- T'inquiète, répond-elle en souriant malicieusement.
« Tu vas revoir Norbert pendant tout un week-end... »
​Je donne une tape sur l'oreille de Mélio, qui ricane. Norbert est à fond sur moi, c'est évident, cependant ce n'est 1) pas compréhensible (et ce n'est pas de la fausse modestie, ce n'est vraiment pas mon genre d'être faussement modeste, mais je suis parfaitement consciente de n'avoir pas un visage gracieux et délicat, des cheveux soyeux et brillants, et des manières qui attirent) 2) pas réciproque, le pauvre garçon. Il se heurte à un mur, mais il le sait. Après qu'il ait fait quelques remarques salaces lors des dîners et qu'il ait vu que je ne répondais à ses remarques ambiguës que par de l'ironie ou de l'humour, il a laissé tomber en souriant, s'y attendant certainement. Malgré tout, nous sommes très amis. Je le suis d'ailleurs avec tous. Iz, très sociable et sans complexe, est très rapidement devenu un ami très proche, Norbert également, grâce à son humour, Martha a mis plus de temps car elle est timide, et c'est moi qui aie eu du mal avec Maxime, qui m'énerve, en vrai macho qu'il est.
« Sois sympa avec lui, il essaie simplement d'impressionner Emilie, tu le sais bien. »
« Oui, tout comme je sais que ça marche ! Enfin... Je m'en fous, je n'ai nullement l'intention de sortir avec lui, alors qu'est-ce que ça peut bien me faire ? »
​Il me gratifie d'une œillade sceptique, et je lui souffle violemment sur le nez. J'ai découvert que cela a le don prodigieux de l'énerver, ce qui me fait beaucoup rire. Il secoue la tête en me hurlant mentalement toute sorte d'insanités, et je ricane. Moi, avoir des vues sur Maxime ? Je n'en ai sur personne, et encore moins sur lui ! C'est quoi, cette sale manie des adolescents de dix-sept de vouloir sortir avec tout le monde tout le temps ? Le moindre regard et hop, tout devient calculateur, il faut faire attention au moindre de ses gestes pour que la personne que l'on « convoite » aussi vulgairement d'un objet se sente délaissé et essaie par tous les moyens d'attirer de plus en plus l'attention de l'autre en étant complètement ridicule. Cela m'écœure. Et me fait bien rire, aussi... voir Emilie jouer la préadolescente de quatorze ans qui dévore des yeux son Roméo et qui se conduit de manière ridicule avec lui, ha ha, qu'est-ce que je ris ! Mon Dieu, mais qu'est-ce que je ris ! Aux larmes... en y repensant, je souris malicieusement, et étouffe un ricanement. Ils sont aussi ridicules l'un que l'autre. Elle se comporte comme une gamine avec son premier amour, ce qui me prouve qu'il compte vraiment pour elle, vu qu'elle était terriblement à l'aise avec les humains avec lesquels elle est sortie auparavant, et lui joue le macho bad boy en restant distant avec elle pour lui cacher son affection pour elle. Mon Dieu, mais Seigneur qu'est-ce que je ris ! Rien qu'en y repensant... j'ai encore mal aux côtes de mon fou rire d'hier. Mélio me plante ses griffes dans la cuisse, et je sursaute sous la douleur.
« Arrête de te moquer d'eux, les pauvres ! »
« Non mais tu l'as vu ? Elle le dévorait des yeux et lui ne l'a pas regardé une seconde, hier au dîner, faisant des blagues sexistes et jouant les gros durs, jusqu'à ce que Stan lui plante par mégarde sa fourchette dans la main, et qu'il hurle comme un goret ! A mourir de rire ! Et elle qui se précipitait sur lui pour le soigner, et lui qui tentait héroïquement de refuser, alors qu'il avait les larmes aux yeux ! »
« Et vous qui pleuriez de rire sur la table en vous tenant les côtes, mais vous n'avez pas honte ? Les pauvres ! Lui souffrait le martyr mais essayait de garder la face, et elle essayait maladroitement de l'aider, sauf que lui refusait ! »
« Oui, vraiment, à mourir de rire ! »
​Rien qu'à y penser, j'ai les larmes aux yeux. Finalement, nous parlons d'autre chose, mais je sais que lui aussi a bien ris suite à cet incident. Une fois la journée terminée, Lachlyn nous emmène directement, Emilie et moi, et je vais dans ma suite me changer. Je revêts la robe que mon père préfère, la rouge rubis, Lachlyn me prépare consciencieusement, me pare de bijoux, me coiffe, me maquille, et je descends rejoindre mon père. Je sais qu'il aime que je sois présentable lorsque je ne suis pas au lycée ou en entraînement. Juchée sur mes talons et moulée dans ma longue robe, je descends rejoindre mon père dans la grande salle. Il m'accueille avec un grand sourire, ce qui me réchauffe le cœur.
- Comment vas-tu, Thana ? demande-t-il.
- Bien et toi ? Comment s'est passée ta réunion avec les ministres ?
- Je vais bien, je te trouve très belle dans cette robe. Elle s'est plutôt bien passée, mais elle était terriblement longue, un calvaire. Et toi, cette nuit d'entraînement ?
- Bien, dis-je en enchainant sur autre chose. J'ai mon week-end de perme !
- Oui, Aurélien m'a dit. J'ai organisé quelque chose pour toi, en plus de ce que tes amis t'ont concocté, dit-il en souriant.
- C'est quoi ?
- Une surprise. Rendez-vous demain matin à quatre heure dans la grande salle, ajoute-t-il avec un clin d'œil.
- Quatre heures ? m'insurgé-je. Moi qui comptais profiter de ce week-end pour me reposer...
- Crois-moi, tu ne regretteras pas, Thana.
- OK, demain quatre heures. Je vais rejoindre mes amis, on se voit au dîner ?
- Oui, dans une heure.

- Bon, pour ton premier week-end de libre, on a décidé de te laisser ta première soirée tranquille, tu fais ce que tu veux, claironne Norbert de son habituel ton enjoué. Que proposes-tu ?
Je réfléchis un instant. J'avoue que je ne sais pas trop...
- Euh... je sais pas vraiment, qu'est-ce que vous voudriez faire ?
Tous se regardent, et Iz sourit de toutes ses dents immaculées.
- Cache-cache ?

J'avoue que sur le coup, je l'ai regardé comme s'il avait proposé de tuer des chats pour s'en faire des couvertures. Un cache-cache... quel âge avions-nous pour jouer encore à ce type de jeu ? Mais maintenant que je cours à perdre haleine dans les escaliers à colimaçon du grand château tout en essayant d'échapper à Martha, la proposition prend tout son sens. C'est le rêve même des joueurs, ce château. Grand, emplit d'escaliers, de salles similaires, d'armoires et de couloirs, c'est quasiment impossible de se retrouver. Pour des humains. Car Norbert, avec son don de percevoir les présences d'êtres vivants, n'a eu aucun mal à gagner dans le temps imparti. De mon côté, contrôler les éléments m'a été d'un grand secours, et je n'ai plus eu qu'à leur courir après. Bon, c'est vrai que pour Maxime, Emilie, Martha ou Iz, leurs pouvoirs ne les avancent pas beaucoup, mais voler leur permet d'aller beaucoup plus rapidement. Et je suis en train de le découvrir. Franchement, vivement que je puisse voler, parce que je commence sérieusement à fatiguer. Je sens que Martha se rapproche, j'entends le bruit que fait le vent, rejeté par ses grandes ailes blanches. Je sens son odeur, unique, qui se rapproche un peu trop à mon goût. Et soudain, la cloche annonçant le repas retentit, une poignée de secondes avant que ne surgisse mon amie de derrière le coin. L'expression « sauvée par le gong » prend tout son sens.
- Yes ! crié-je en savourant ma victoire in extremis.
- Je t'ai vue avant ! s'écrie Martha.
- N'importe quoi !
​Nous discutons à propos de ma victoire tout en descendant dîner, et nous croisons en chemin nos amis, éparpillés dans le palais. Je remonte rapidement dans ma chambre remettre ma robe rouge que j'avais troquée contre un jogging et un t-shirt, et je redescends à toute allure, mes talons à la main, pour minimiser mon retard. Heureusement, lorsque j'arrive, les plats ne sont pas encore servis, et je prends place entre Martha et Maxime, en face de mon père. Le dîner est comme d'habitude extraordinaire, les plats se succèdent et amènent des odeurs, des couleurs et des goûts exquis, mais je ne touche qu'à peu, je picore à peine. J'ai perdu mon appétit, juste au moment où je peux manger à ma fin. Je mâche mes haricots verts en écoutant mon père raconter sa réunion, j'avale mes deux asperges tandis qu'Emilie confie à Aymeric le souhait que mes amis ont de « m'emprunter » pour le week-end, et je repousse de la main ma part de gâteau, n'ayant déjà plus faim. Une fois le repas terminé, je monte dans ma chambre où je retrouve Lachlyn, et je file dans un bain fumant. Mon fide sonne et ma femme de chambre me le tend.
« RDV minuit en haut de la Tour Haute avec vêtements chauds. Norbert »
Je ronchonne. Ils se sont passés le mot ou quoi ? Moi qui escomptais me reposer pendant ces trois nuits... voilà que je dois les rejoindre à minuit, et me lever à quatre heures pour mon père. Finalement, je plonge la tête sous l'eau, et la ressors brusquement.
- Lachlyn ! appelé-je.
- Oui ?
- Il y a une piscine au palais ?

​L'endroit est féérique. Une piscine aux couleurs turquoises, surplombée par les étoiles que je vois à travers les vitres de verre, m'attend, calme. Etonnamment petite, elle me convient parfaitement. Je pénètre doucement dans le bassin, et plonge la tête sous l'eau. Elle semble glacée, en comparaison de mon bain fumant, mais elle me revigore et me rafraichit. J'aperçois deux jambes entrer à leur tour doucement dans l'eau, et Lachlyn me rejoint, mon fide à la main. La plaque bleue luit doucement, et le temps semble comme suspendu, alors. Je sens mes longs cheveux me chatouiller le dos, tandis que je vois ceux, bruns, entourer le beau visage de Lachlyn, illuminée par mon fide. Elle s'approche doucement de moi, et je souris. A ce moment-là, le bruit, rendu imperceptible par l'eau, me parvient, et je prends la plaque pour la photographier à mon tour. Elle est magnifique, toute menue, toute fragile, et si belle dans son maillot de bain rouge. Ses cheveux bruns flottent autour d'elle, elle ressemble à une nymphe égarée, que l'on aurait placée ici, dans ce cadre magique, pour veiller sur moi. Elle comme moi remontons à la surface, je me rapproche de son visage, et nous replongeons pour retrouver ce silence et cette paix qui suspendent le temps. Ses yeux verts regardent les miens, je m'approche encore, et elle pose alors doucement ses lèvres rouges sur les miennes. Je ferme les yeux, nos lèvres se séparent, ma main lâche la plaque, l'eau nous fait remonter à la surface, et je contemple, sur le dos, les étoiles scintillantes qui éclairent le fond noir de la nuit sans lune.

Des ailes dans le dos - MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant